Les artistes oubliés du XIXe siècle : Jean-Jacques Feuchère

du XVIe siècle dans la sculpture romantique,
une nouvelle biographie

 

Par Pierre-Louis Calatayud
Diplômé du premier cycle et de muséologie à l’Ecole du Louvre
Etudiant en Master 2 Expertise et Marché de l’Art -  Sorbonne Université

 

Au travers de différentes sources textuelles Pierre-Louis Calatayud propose ici une biographie originale du dessinateur, graveur et sculpteur de Paris, Jean-Jacques Feuchère. De ses années de formation jusqu’à ses années de notoriété, le parcours de cet artiste est ici retracé au travers d’une chronologie détaillée de ses productions artistiques, de ses expositions, de ses commandes publiques et de ses collaborations dont nous retiendrons en particulier celle qui s’est nouée avec l’orfèvre Vechte. Si la sculpture de Satan paraît être encore de nos jours une œuvre emblématique de Jean-Jacques Feuchère, la diversité et la richesse des productions de cet artiste du XIXe siècle, mérite d’être reconnue.

 
Au travers de différentes sources textuelles Pierre-Louis Calatayud propose ici une biographie originale du dessinateur, graveur et sculpteur de Paris, Jean-Jacques Feuchère. De ses années de formation jusqu’à ses années de notoriété, le parcours de cet artiste est ici retracé au travers d’une chronologie détaillée de ses productions artistiques, de ses expositions, de ses commandes publiques et de ses collaborations dont nous retiendrons en particulier celle qui s’est nouée avec l’orfèvre Vechte. Si la sculpture de Satan paraît être encore de nos jours une œuvre emblématique de Jean-Jacques Feuchère, la diversité et la richesse des productions de cet artiste du XIXe siècle, mérite d’être reconnue.
 
Né d’un père ciseleur, formé à la sculpture, puis à la réalisation des bronzes, Jean-Jacques Feuchère exprime très tôt son goût particulier pour l’art du XVIe siècle et s’inscrit naturellement dans l’histoire du mouvement romantique du XIXe siècle. C’est un artiste qui par ses écarts à l’académisme suscite les critiques, divise, mais construit une carrière dont nous verrons les collaborations successives avec différents artistes, les succès, et la reconnaissance. Progressivement, en suivant une chronologie qui retrace la biographie de Jean-Jacques Feuchère, s’établit ainsi une production artistique où style d’un temps lointain et nouvelle esthétique romantique s’entremêlent dans des thématiques diverses qui prennent leurs sources dans des inspirations d’une grande variété tout en essayant se conformer aux exigences des commandes publiques.

Le point de départ pour reconstituer la vie de Jean-Jacques Feuchère est la note biographique rédigée par l’éminent critique Jules Janin dans le catalogue de la vente du cabinet de Feuchère en février 1853. Celui que l’on nomme alors Jean Feuchère est né à Paris le 26 août 1807 du ciseleur Jacques-François Feuchère, parfois dit Feuchère père, et de Marie-Louise Dutilloy. Janin adopte un style très littéraire pour son récit. Il raconte que Feuchère eut une « jeunesse active et laborieuse » et qu’il travailla tôt. Janin précise que le peintre Blondel et le sculpteur Ramey étaient les principaux maîtres dans le monde de l’art de cette période. Quelques années après la mort de Feuchère, le Dictionnaire de la conversation et de la lecture et la Nouvelle biographie générale rapportent qu’il fut élève des sculpteurs Cortot et Ramey. Janin indique que le jeune Feuchère appris à peindre, dessiner et émailler, en dehors de la pratique de la sculpture qui constituait son principal revenu. On retrouve cet éclectisme également dans ses goûts et influences artistiques, que reflète la diversité de sa collection, même si son intérêt pour le XVIe siècle semble marquer tout particulièrement ses jeunes années. Feuchère père est membre de la Réunion des fabricants de bronze de la ville de Paris, dont il est trésorier en 1818, puis président en 1822 et 1826. Son fils en est président à son tour en 1829. Ces faits sont attestés par l’Almanach de messieurs les fabricants de bronze réunis de la ville de Paris : pour l’année 1834. C’est également en 1829 que Jean-Jacques Feuchère réalise un bas-relief en pierre, et non en marbre comme l’affirme Stanislas Lami, pour le tombeau du peintre Louis Lafitte au cimetière du Père-Lachaise. Il rencontre le jeune Honoré Daumier et réalise son portrait âgé de 22 ans en lithographie durant l’année 1830. Ils resteront proches jusqu’à la mort de Feuchère.

Les livrets du Salon nous apprennent qu’il expose pour la première fois en 1831 et qu’il réside au 25 rue Notre-Dame-de-Nazareth, adresse qu’il partage avec son père. A cette occasion, Feuchère présente « David montre aux israélites la tête de Goliath », une esquisse en terre cuite. Il présente également une esquisse en plâtre intitulée « Judith, après avoir sauvé son pays, remercie Dieu de sa victoire ». Une « Nymphe sur une coquille » est également citée dans le livret du Salon détaillant les œuvres de Feuchère exposées tandis que le deuxième supplément ajoute deux bas-reliefs représentant un « ange jouant d’un instrument » et « la Victoire et la Paix ». Le monde de l’art, au moins par les critiques du Salon, prend enfin connaissance de l’art du sculpteur. Si Gustave Planche ne mentionne pas ces œuvres, Augustin Jal critique violemment le travail du jeune artiste de 24 ans, dans l’ouvrage qu’il consacre au Salon de 1831. Le reproche se concentre sur l’influence jugée trop forte et qualifiée de « copie servile » de l’art du XVIe siècle, en particulier celui du sculpteur français de la Renaissance, Jean Goujon. Cependant, aucun de ces critiques ne cite directement les œuvres de Feuchère. C’est au cours de cette même année que Feuchère réalise un bas-relief représentant la « Résurrection de Lazare », fondu en bronze par Honoré Gonon.

Dès 1829 et au moins jusqu’en 1834, Jean-Jacques Feuchère travaille avec le fabricant de bronzes Jules Fossey au 25 rue Notre-Dame-de-Nazareth. Des pendules bornes en bronze doré, patiné et parfois avec marbre, nous sont parvenues avec la double signature de Feuchère et Fossey. Malheureusement elles furent maintes fois attribuées à Pierre-François Feuchère sans que la différence d’âge avec Fossey n’alerte les experts. Feuchère et Fossey collaborèrent avec l’ébéniste Alexandre Maigret, fournissant probablement les bronzes agrémentant ses meubles. Cette activité commerçante avec Fossey suffisait possiblement à financer les recherches artistiques destinées au Salon tant que Feuchère partageait une adresse avec son père. En 1832, Feuchère et Fossey livrent un lustre au mobilier de la couronne. Quatre dessins de projets de lustres de la main de Jean-Jacques Feuchère sont vendus aux enchères à Paris en 2014 ainsi qu’un autre en 2016, et attestent de son rôle de dessinateur au sein de cette collaboration. Feuchère et Fossey livrèrent également des bronzes pour le mobilier de la couronne en 1832 comme l’attestent encore les archives de la Maison du Roi. Ils exécutèrent les bronzes pour un mantelet et trois brides pour les écuries de Versailles, prenant la suite du travail de bronzes de Lucien-François Feuchère et travaillant avec les bronziers Duchesne et Mairet ainsi que le bourrelier Gagnery.
 
De gauche à droite : Jean-Jacques Feuchère  - Sculpture du "cavalier arabe" sur le pont d'Iéna - Etude préparatoire pour le "cavalier arabe" - La "Loi", sculpture en marbre, place du Palais-Bourbon

En 1833, il est installé au 14 quai de Jemmapes. Il pourrait s’agir d’un atelier puisque l’année suivante, alors que Feuchère a déménagé, le peintre Amédée Angelot Tissot occupe cette adresse. Au Salon de 1833, Jean-Jacques Feuchère expose deux bas-reliefs : « Jeune homme suppliant des moines de le recevoir dans leur ordre », et une esquisse pour la « Résurrection de Lazare » dont le bronze de 1831 est acquis le 27 mai de cette même année par le ministre du Commerce et des Travaux publics pour 1000 francs. Il expose également un modèle en plâtre représentant deux enfants et un cadre de médaillon en plâtre. Le supplément du livret ajoute aux œuvres exposées : un plâtre représentant un portrait en médaillon et un bas-relief en médaillon représentant la pêche. Augustin Jal se contente de rapprocher le travail de Feuchère au Moyen Age tandis que les « imitations de la renaissance de M. Feuchère » séduisent Charles Lenormant. Laviron et Galbacio écrivent plus à propos de l’artiste, notamment de l’intérêt suscité par ses médaillons. Dans leur publication Le salon de 1833, le nom du sculpteur est écrit avec un « s » final et constitue, à ce jour, la première attestation de cette graphie erronée. Dans cet ouvrage, Feuchère occupe une place importante. Il y est présenté comme un artiste à l’écart de l’académisme et dont l’attachement au XVIe siècle et à l’art de Jean Goujon, à défaut de le doter d’un style original, lui vaut la reconnaissance de son goût.

C’est en cette même année 1833 que Feuchère achève et signe la première version du fameux « Satan » qui ne sera pas celui présenté au Salon l’année suivante, contrairement à ce qui est souvent écrit. Il s’agit d’une version qui fut tirée en plâtre et en bronze à deux tailles différentes. La plus grande présente une hauteur de 34,5 centimètres tandis que la réduction mesure environ 22 centimètres de haut. Cette sculpture est devenue une œuvre emblématique du romantisme noir et de cet artiste aux yeux du marché de l’art tout comme des institutions. Cependant le succès de ce bronze, bien que valorisant l’artiste, limite grandement l’attention accordée à son œuvre globale. Transformée en garniture de cheminée et parfois montée en pendule, cette version du Satan fut agrémentée de deux vases en bronze « chauve-souris » représentant des démons sur des vases ornés de cet animal nocturne et quasi systématiquement montés sur des socles de marbre. Une autre version de cette garniture de cheminée nous est connue à travers quatre ensembles, où le Satan est encadré de deux bougeoirs en bronze en forme de dragons sur des socles de marbre.

L’attribution de ces « bougeoirs dragons » est non seulement certaine puisqu’ils accompagnent le Satan de Feuchère mais également par la frise décorative faisant le tour de leur base en bronze. Cette frise de goût Renaissance se retrouve au centre d’une composition circulaire exécutée par Vechte puis ses collaborateurs : « Le Combat des Amazones ». Or un dessin pour une composition également circulaire pour un bouclier représentant aussi un « Combat des Amazones », fut vendu parmi les dessins du sculpteur à sa mort. Le catalogue précise même que ce dessin fut exécuté par Antoine Vechte au repoussé. Il est donc possible d’affirmer que cette composition célèbre de Vechte est due à Feuchère et qu’il est bien l’auteur des « bougeoirs dragons ».

Le début de l’année 1834 est synonyme de difficultés financières pour Feuchère et Fossey. Demeurant toujours au 25 rue Notre-Dame-de-Nazareth, les fabricants de bronzes sont en retard pour produire leurs titres de créances. Le 17 février, ils sont convoqués pour motif de concordat par le juge-commissaire Audenet. Feuchère réalise la deuxième version du « Satan » dont il présentera le plâtre au Salon. Cette version fera l’objet de plusieurs tirages en bronze de 80 centimètres de haut. A 27 ans, il expose au Salon de 1834 « le Pont d’Arcole », la version en plâtre de son bas-relief destiné à orner l’Arc de Triomphe de la place de l’Etoile et commandé par le ministère du Commerce et des Travaux publics d’Adolphe Thiers par arrêté ministériel du 19 août 1833 et payé 40 000 francs. Gabriel Laviron en livre la plus longue critique, dans la seule publication sur le Salon de 1834 évoquant quelques œuvres de Feuchères: «M. Feuchère n’a pas mis dans la composition de son œuvre toute l’intelligence et la délicatesse de goût qu’on est habitué à retrouver dans ses sculptures. L’exécution en est lourde et peu achevée; c’est plutôt une esquisse en grand qu’un ouvrage terminé ; quelques parties surtout sont excessivement lachées. ». Il présente également les plâtres du « Satan » et a priori du « Raphael », deux autres œuvres majeures pour la carrière de l’artiste.

La critique de Laviron souligne, une fois de plus, l’influence de l’art de la Renaissance chez Feuchère : « Une imitation plus habile et plus adroitement déguisée, c’est celle que fait M. Feuchères, des artistes élégants de la renaissance. Ces traces d’imitation toujours trop visibles et quelquefois peu intelligentes, sont le plus grand reproche qu’en puisse faire au médaillon de Raphaël, exposé par cet artiste; toutefois ce portrait se recommande par des qualités louables et par une grande finesse d’exécution. ». Laviron parle d’un « médaillon de Raphaël », sans doute parle-t-il du plâtre aujourd’hui conservé au musée du Louvre représentant le buste de Raphaël dans un médaillon signé et daté 1834. Or le seul Raphaël de Feuchère mentionné dans le livret du Salon est une « statue » ce qui interroge sur les circonstances dans lesquelles Laviron a pu voir le « médaillon de Raphaël ».

Pour en savoir plus : https://ao19e.hypotheses.org/119
 
Crédit Photos : © Pierre-Louis Calatayud