En Égypte ancienne, durant des millénaires, le soleil, élevé au rang de la divinité, a profondément influencé l’histoire.
Dans le récit de la Création, Toum, entité originelle, s’est dédoublée et a créé le soleil Râ. À eux deux, formant une seule personne exprimant la force créatrice, ils vont organiser le chaos. Alors apparaîtront les couples de dieux successifs qui constitueront les éléments du créé : terre, ciel, air, eau, vie des espèces... Ainsi, dès le stade primordial, Râ, le soleil, est présent, agissant et puissant sur tous les plans.
Par les récits du Livre des morts (en fait livre de la « sortie au jour »), on découvrira la réalité de Râ, « âme-dieu créant la matière ». Le mot même, Râ, par ses deux lettres en égyptien, est l’expression d’un mouvement emplissant l’univers d’une « matière ». Le soleil n’est-il pas cet émetteur d’un rayonnement-matière ? Pour les Égyptiens, cette « matière » allait devenir constitutive des éléments de l’univers, matière qui sera ensuite modelée par d’autres divinités. L’homme sera l’un de ces éléments, « parcelle du tout divin douée d’âme et de corps à l’image du Créateur1 ». Et, dans cette œuvre majeure, Râ, le soleil, est cause originelle.
À certaines époques, l’iconographie a particulièrement explicité le rôle attribué à Râ ou attendu de lui, même dans la vie de tous les jours. Les deux images ci-après montrent le pharaon Akhenaton opérant avec le « disque solaire ».
Râ est représenté comme émettant des rayons qui se terminent par des mains. Les mains sont l’expression d’un apport et d’un faire, soit des rayons agissant pour tous. Et le pharaon présente des objets dans les rayons, offrandes de reconnaissance, dit-on souvent. N’est-ce pas, plus encore, des offrandes présentées pour recevoir l’énergie du rayonnement, devenir plus actives pour leur utilisation dans la vie ? Et ces fleurs au sol ne sont-elles pas là pour recevoir aussi cette énergie ? Et ces vases-guéridons en dessous des fleurs, seraient-ils là pour recevoir une sorte d’exsudat – quintessence extraite par le rayonnement ?
Le disque solaire est dans la même représentation rayonnante. Les personnages sont là, le couple royal, Akhenaton et Néfertiti. Leurs trois enfants sont aussi présents. Il y a manifestement une exposition des membres de la famille aux effets de Râ. Les mains, extrémités des rayons, témoignent encore d’une action en cours, et certaines de ces mains sont accompagnées du signe de la vie (« croix de vie »). Ce sont donc des effets multiples attendus qui concernent le corps et l’âme des personnages. Assiste-t-on à une « solarisation » corporelle et spirituelle des êtres présents ? Et ces êtres, ce sont eux qui à leur tour transmettront vers leur peuple les effets de Râ. Mystère des effets du soleil sur le devenir des hommes...
Cette présentation au soleil des êtres vivants sur terre va aussi se retrouver, tel que dit dans le Livre des morts, sur le trajet du défunt dans l’au- delà. L’objectif pour le défunt, son désir le plus formel, c’est « d’être avec nombre de ceux qui entourent le soleil, qui forment sa cour et reçoivent sa lumière1 ».
Tout sera entrepris par le défunt pour, durant le jour, sortir de sa tombe pour bénéficier des effets du soleil qui éclaire le monde extérieur. C’est la « sortie au jour ». Durant la nuit, pour l’Égyptien, le soleil circulait dans le monde souterrain et atteignait ainsi directement le défunt dans son lieu de repos. Ainsi, dans le circuit journalier, l’objectif du défunt est de recevoir cette « solarisation » permanente, nuit comme jour. L’homme alors s’ac- complit totalement en Râ, stade ultime de la plénitude. L’homme accède ainsi à la nature divine. Il entre dans l’Éternité.
Bien grand mystère ! Quelle puissance dans le soleil, qui confère une force d’éternité... !
Le thème des effets du soleil Râ sera déroulé tout au long des trois millénaires de l’Égypte ancienne. Même à la basse époque, au temps de l’Égypte des Ptolémées, alors que l’ère chrétienne est naissante, ce thème sera encore très vivant.
Ainsi retrouve-t-on dans les écritures murales du temple de Dendera, construction achevée vers 50 après J.-C., le récit de scènes rituelles d’exposition au soleil Râ, sur un espace précis de la toiture-terrasse du temple. À la fête du Nouvel An, la statue de la déesse Hathor est sortie du naos pour être conduite en procession. Dans le cours de cette procession se situait la montée sur le toit du temple vers le lieu précis où se déroulerait « l’union au disque solaire, au moment sans doute où le soleil dardait les premiers rayons d’une année nouvelle1 », moment durant lequel « la lumière de l’astre infusait mystérieusement une vie renouvelée ». Ainsi se produisait un « retour de la vie correspondant à la marche cosmique du Monde ».
Mystère encore, imprégnation périodique nécessaire de la représentation de la divinité elle-même, par les effets de Râ, alors que se renouvelle l’année.
Et ainsi, permanentes et infiniment nombreuses seront les manifestations de « solarisation » de reénergétisation par le soleil de toutes espèces vivantes ou tous objets accompagnant la vie sur terre et dans l’au-delà. Recherche permanente d’intégration des effets du soleil...
Alors que se manifestait, pour les Égyptiens, l’intense relation permanente aux effets du soleil, qu’en fut-il pour ce peuple hébreu qui côtoya pendant des siècles le peuple égyptien, sur ce même territoire ?
Comment la Bible hébraïque, élaborée progressivement par cette nouvelle tradition – dont nous sommes les héritiers culturels et spirituels encore plus proches –, traduit-elle cette relation au soleil ?
Sommairement : autant Râ est omniprésent dans la vie religieuse égyptienne, autant la notion du soleil (Chemech), dans son activité subtile sur les êtres et les choses, est quasi absente des textes hébraïques.
Les Hébreux rejetant toute représentation physique de leur Dieu unique, il est compréhensible que le soleil n’ait pas sa place dans le propos religieux. Il faut cependant remarquer qu’il ne figura pas au nombre des idoles fortement pourchassées dans la pensée hébraïque. Jamais le soleil ne sera apparenté au rejet du « veau d’or ». Tout au plus est-il fait allusion à ce que ne s’élèveront plus de monuments au soleil (obélisques) avec cependant, en plus forte intensité, au moment de l’exil, l’évocation de la destruction de tels monuments.
Le soleil occupera en fait, sereinement, une place physique importante dans les textes.
Il marquera le temps. Il se lève, se couche et ainsi encadre le jour. Il est aussi présent comme témoin de la longueur du temps, de l’éternité même. Il est avec Elhoim, auquel il est soumis, gérant de la pérennité. Ainsi, dans l’Ecclésiaste, on trouve : « Il n’y a rien de tout neuf sous le soleil... »
La puissance du soleil, sa chaleur bienfaisante, sa nécessité pour que la vie soit, sera évoquée dans les Psaumes en particulier. Ainsi sera reconnu le pouvoir régénérateur du soleil au point que la Torah lui sera comparée sur ce point. Et même, on découvrira : « Adonaï est un soleil, un bouclier ... » (Ps 84/12).
Tout simplement, le soleil a sa place dans sa puissance et sa nécessaire présence pour la vie. Il s’intègre à la Création. Il n’est pas le Créateur.
De ce bref aperçu, il apparaît que, jusqu’au début de notre ère, la tradition de l’Égypte ancienne a entretenu dans la société des pratiques d’usage des effets physiques et spirituels du soleil. La tradition hébraïque ne les a pas relayées.
Au-delà de ces deux traditions, le courant chrétien semble avoir en partie assuré une continuité avec l’Égypte. Le recours au rite de la procession de la statue du saint local censé protéger la communauté du pays et, plus encore, la procession de la Vierge noire sortie de sa crypte pour être chaque année amenée au jour se rapprochent fort des pratiques égyptiennes.
La solarisation du médicament-plante est-elle aussi un héritage égyptien ? Dans notre recherche, nous n’en avons pas trouvé de preuve formelle... Michel Estavoyer
Dr. Claudine Luu
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