GÉRARD GAROUSTE : "L’ÉCOLE DES PROPHÈTES"

 

CHAMBON-SUR-LIGNON

Exposition du 5 juillet au 29 septembre 2019

Peinture
Le sous-main et l'âne, 2017,
Huile sur toile, 160 x 195 cm,

Courtesy Galerie Templon Paris, Bruxelles

 La peinture de Gérard Garouste est habitée d’histoire et de récits, de personnages bibliques et d’écrits talmudiques inspirés de ses lectures et de sa fréquentation des intellectuels juifs, notamment ceux qui ont séjourné à Chaumargeais près du Chambon pendant la guerre et qui ont influencé de grands penseurs comme Emmanuel Lévinas. Après l’exposition sur les intellectuels présentée à l’été 2018, le Lieu de Mémoire offre cet été aux visiteurs un autre regard sur le renouveau intellectuel juif né sur ce territoire à la fin de la guerre. Du 5 juillet au 29 septembre 2019, l’exposition consacrée à Gérard Garouste propose un parcours entre peinture et textes bibliques, entre art et histoire autour d’une sélection de tableaux qui entrent en résonnance avec les réflexions initiées par ce groupe de penseurs qui s’est ironiquement surnommé l’« école des Prophètes ».   

 

Entretien avec Hortense Lyon

Que vous évoque le site du Chambon-sur-Lignon ? Que ressent-on à exposer dans un lieu aussi chargé d'histoire ?

Ce haut-lieu de la mémoire est pour moi très impressionnant. Je suis fier d'être invité à exposer dans un village où l'ensemble des habitants a reçu la distinction - rarissime s'agissant d'une attribution collective- de ''Justes parmi les nations''. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'esprit de résistance y a pris des formes diverses, toutes admirables : résistance armée contre le nazisme et résistance intellectuelle d'un groupe de jeunes juifs, mais aussi engagement au profit des générations futures puisque des enfants et des adolescents y ont été accueillis, éduqués et protégés. Je trouve remarquable qu'une telle tradition d'accueil et d'asile aux persécutés soit portée par des Protestants qui furent eux-mêmes poursuivis pour avoir mené un combat, à la fois politique et exégétique, fondé sur la remise en question de textes figés par le dogme. Cette attitude de résistance des premiers protestants est indissociable du secret – leurs offices religieux se déroulaient de nuit sur des autels provisoires –, tant le risque était élevé. Ce n'est pas un hasard si les habitants du plateau du Chambon-sur-Lignon ne sont pas tombés dans le piège de la collaboration et ont pris le risque de cacher des centaines d'enfants juifs. Par les temps qui courent, il est important d'honorer ce courage et d'en célébrer la mémoire.

 

Vous êtes particulièrement sensible à l'une des facettes de cette résistance, incarnée par un groupe d'intellectuels qui a contribué au renouveau du judaïsme français. En quoi l'esprit du lieu et singulièrement celui de ces « prophètes » trouve-t-il un prolongement dans cette exposition ? Ou plus généralement, quelle influence ces intellectuels juifs exercent-ils sur votre œuvre ?

Ce groupe est né d'une prise de conscience de la nécessité qu'il y avait à préserver la culture juive à un moment où elle était en danger. Il y avait alors urgence à agir contre l'effacement des mémoires. Il n'est pas indifférent de constater que ce renouveau s'inscrit en France à un moment tragique de son histoire, où le pays est occupé et les Juifs pourchassés. En abordant l'étude des textes bibliques d'un point de vue philosophique, et non religieux, ces intellectuels ont redonné une actualité à une pensée tout à la fois juive et universelle. Ils ont agi en héritiers de la tradition mais dans la perspective de la faire circuler dans la modernité et vers l'avenir. Pour un peintre, qui se situe nécessairement dans une tradition, cette démarche en elle-même est déjà passionnante.

Par ailleurs ces philosophes se sont concentrés sur le versant haggadique du Talmud composé de fables et de contes par l'interprétation desquels ils ont revivifié une éthique et une pensée philosophique propre au judaïsme. Ce faisant ils ont ouvert la voie à l'école d'Orsay qui, à son tour, a valorisé quelque chose de très moderne dans le judaïsme. André Neher par exemple, lorsqu'il revisite le Maharal de Prague, donne une actualité fascinante au Golem, dont je me suis nourrie dans mes tableaux sur le Faust de Goethe. Marc-Alain Ouaknin avec qui j'étudie le Talmud se situe, par sa liberté d'interprétation, dans la lignée de l'école d'Orsay. Pour un artiste qui partage cet état d'esprit, ces fables sont très inspirantes. Les mythes grecs et chrétiens sur lesquels je me suis penché quand j'ai commencé à peindre, s'ils sont toujours présents dans ma peinture, ont cédé le pas depuis quelques années aux mythes bibliques et aux récits issus du Talmud. Ces derniers constituent pour moi une réserve inépuisable d'images et de réflexions dont le point de départ est souvent une situation irrationnelle voire absurde, ce qui me plait beaucoup. Dans l’esprit talmudique, on ajoute le commentaire au commentaire. Le sens des mots et des récits se révèle à travers des recoupements infinis d’occurrences et d’associations. Toutes proportions gardées, je peins dans le même esprit. Mais je ne suis pas philosophe, encore moins talmudiste, je suis peintre et la peinture est muette. A partir d’une fable, je me nourris de correspondances entre les mots, les symboles, les couleurs et de tout ce qui peut enrichir l’interprétation...

 

À votre tour, quelle influence aimeriez-vous exercer, à travers votre peinture, sur le temps présent ?

Que voulez-vous transmettre ?

Pour commencer, je dirais que cette exposition tombe à pic à un moment de résurgence de l'antisémitisme en Europe. Elle réactualise l'importance d'une résistance morale qui ne peut s'exercer que par des actes. Nous ne sommes pas ici dans un musée mais dans un village et cet îlot noyé dans l'actualité a déjà fait la preuve qu'il pouvait prendre une importance considérable, à force de détermination. Je pense que notre époque nous invite à rester en éveil, et à considérer Chambon-sur-Lignon comme une forteresse et le symbole de ce qu'il faut protéger. Ma peinture, mon sujet consiste à prendre la Bible en tant que mythe, à l'envisager par le biais de son langage et de sa poésie. J'aimerais transmettre l'idée que la Bible n'est pas de l'histoire ancienne. Les mythes sont intemporels, il faut relire aujourd'hui l'histoire de la reine Esther... Nous avons besoin du récit, à condition de ne pas être dupe de ce qu'il raconte, à condition de savoir l'interpréter. De la même manière, je ne suis pas dupe de mes images et j'invite les spectateurs à ne pas se laisser duper, mais à rester en éveil. Mes tableaux posent des questions que j'adresse aux spectateurs qui, si j'atteins mon but, y apporteront leurs interprétations et leurs propres commentaires. Les mythes ne finissent pas d'être décryptés. En tant que peintre, je participe à cette aventure qui consiste à rendre la Bible actuelle et à transmettre son message de tolérance, comme un appel au savoir-vivre ensemble.

Informations pratiques :

Adresse
Lieu de Mémoire
23, route du Mazet
43400 Le Chambon-sur-Lignon
+33 (0)4 71 56 56 65
www.memoireduchambon.com

Horaires d'ouverture
Du mardi au dimanche
De 10h à 12h30 et de 14h à 18h