Exposition Paris-Novi Sad à la Galerie du Centre

Paris-Novi Sad 40 ans de passion.
"L'exposition jumelle"
18 mai - 24 juin 2017

 

Une exposition relatant l'histoire d'une galerie française dans un musée étranger est un fait très rare. C'est pourtant ce qui arrive à la Galerie du Centre : le MSUV à Novi Sad, second musée d'art contemporain de Serbie, met la Galerie du Centre à l'honneur en lui offrant ses cimaises du 27 avril au 27 mai 2017. Elle a choisi d'y montrer 16 artistes représentatifs du travail accompli depuis plus de 40 ans.

ASCAL - AUTHOUART - BOSHIER - COMPIANO - Aurélie de la CADIERE - Antony DONALDSON - GRATALOUP - GUYOMARD - Jann HAWORTH -KRIKI - MORTEYROL - OBJECTAL - PROWELLER - Peter SAUL - TEYSSIER - TYSZBLAT


Pour donner plus d'écho à cet évènement une exposition jumelle est organisée à la galerie avec les mêmes artistes mais naturellement des oeuvres différentes.
 
A cette occasion, le MSUV a édité un catalogue de 54 pages couleurs avec une préface de Renaud Faroux.


Texte de Renaud Faroux

Au cœur de la création : le jubilé de la Galerie du Centre

Voir, c’est comprendre, juger, transformer, imaginer, oublier ou s’oublier, être ou disparaître. (Paul Eluard)

Si certains sont fatigués des discours usés qui accompagnent périodiquement les anniversaires, peut-être, par contraste, auront-ils plaisir à se plonger dans la fraîcheur des œuvres des artistes qui ont marqué à Paris l’histoire de la Galerie du Centre. Chez son directeur Alain Matarasso, accueilli par sa collaboratrice Sabine Matarasso (sa fille, une vraie passionnée née dans le monde de l’art et des galeries), créateurs et amateurs se croisent aux confins du réel et l’imaginaire sur des chemins de fortune. L’exposition du Musée d’Art moderne de Novi Sad retrace les points forts de la Galerie du Centre et nous ouvre une route pour nous convier à un périple à travers plus de 40 ans de foisonnement de l’art vivant en France. Ce parcours exceptionnel sur la scène de l’art contemporain rend compte d’un équilibre éclectique et unique entre artistes travaillant dans la vieille Europe et d’autres venant de la vigoureuse Amérique. A l’origine, une des spécificités du travail d’Alain Matarasso est de créer des ponts, de mettre en relation des artistes –hommes et femmes- de différents pays comme de différentes générations. Ainsi il fut à l’initiative de la rencontre de deux « monstres » de la contre-culture en peinture, l’un américain, Peter Saul, l’autre français, Bernard Rancillac ; c’est lui aussi qui fit découvrir des artistes majeurs du courant Pop britannique en France comme Jann Haworth, Derek Boshier, Jeff Keen, Antony Donaldson ; c’est encore lui qui organisa sur la Côte Ouest des Etats-Unis la première exposition de la Figuration Narrative avec Erro, Klasen, Monory, Rancillac, Stämpfli et Télémaque.        


La plus ancienne galerie du quartier Beaubourg

Au cœur de Paris derrière le musée Georges Pompidou, en plein quartier Beaubourg et à l’entrée du Marais, depuis maintenant plus de 40 ans Alain Matarasso dirige donc la Galerie du Centre. Ce bel espace niché rue Pierre au Lard au cœur du Paris artistique,   avant d’être une galerie d’art était un entrepôt de pommes de terre pour les Halles toutes proches ! Elle existait donc avant même la création du Musée Pompidou  et reste la plus ancienne du quartier ! Tenue par Pierre Nahon et Patrice Trigano sous le nom de  Galerie Beaubourg, le lieu fut investi en novembre 1976 par Alain Matarasso qui marqua son territoire avec une exposition du monde féérique et poétique d’Henri Dimier (1889-1986). Quand le galeriste évoque ses débuts il rappelle : «  A l’ouverture de la galerie il y avait encore les baraques de chantier du musée Pompidou dans la rue. Le quartier était véritablement en train de naître et j’ai encore en mémoire les récriminations de tous ceux qui détestaient le nouveau bâtiment, le comparaient à une usine, une raffinerie, un vieux paquebot… Au début de mon parcours je baignais encore dans l’Ecole de Paris et l’abstraction des années 1950/60 avec des artistes comme Poliakoff, Manessier, Bissière, Estève, Atlan…  Je vais véritablement tracer ma ligne esthétique en 1980 après ma rencontre avec Daniel Authouart qui fut une vraie révélation pour moi. Tout d’un coup je me suis dit : la figuration existe ! »


Par la suite la Galerie du Centre devient un des fers de lance de la Figuration Narrative, du Pop Art, de l’Art vivant… avec des artistes incontournables comme : Daniel Authouart, Herman Braun-Vega, Derek Boshier, Christian Bouillé, Jean-Paul Chambas, Claude Gilli, Guy-Rachel Grataloup, Gérard Guyomard, Jann Haworth, Kriki, Emanuel Proweller, Bernard Rancillac, Peter Saul, Emilio Tadini, Fernand Teyssier, Michel Tyszblat, Jack Vanarsky, Hugh Weiss…


L’amour de l’art d’aujourd’hui

Ce qui fait véritablement la spécificité de la Galerie du Centre c’est plus particulièrement celle de son directeur Alain Matarasso : sa curiosité est marquée par une certaine prise de risque et un regard toujours porté vers la qualité aussi bien que l’avenir et la jeunesse. Quand la majorité des galeries se tournent vers des valeurs sûres, des artistes refuges, son goût toujours renouvelé pour la recherche, la découverte, l’invention le pousse à tourner ses investigations du côté de la fraîcheur et de la nouveauté. Il persiste à visiter les ateliers d’artistes en devenir ou à dénicher des peintres honteusement oubliés par l’histoire de l’art. Ainsi on découvre ici de nouvelles tendances marquées par l’esprit critique et contestataire du Pop Art historique avec des artistes comme Christophe Compiano ou encore Aurélie de la Cadière aussi bien que des maîtres malheureusement méconnus des années 1960/70 comme Emanuel Proweller, Edgard Naccache ou encore Fernand Teyssier. Ce qui prime c’est la qualité de la peinture et le regard pointilleux du maître des lieux. Les bons critères de son point de vue pour bien choisir un artiste doivent tenir compte selon ses termes « de sa propre personnalité car il semble impossible d’avoir un discours convaincant sur une œuvre à laquelle on n’adhère pas. L’histoire de l’art joue aussi un rôle important car un artiste n’apportant pas sa petite pierre à la grande histoire des formes depuis les grottes de Lascaux jusqu’à ce jour, ne peut laisser son empreinte. Il est un simple copiste : seule l’originalité perdure. La rentabilité aussi est nécessaire ! Il se peut que celle-ci ne soit pas immédiate, c’est souvent le cas, mais elle doit en tout état de cause exister à terme sinon l’entreprise est en péril ! »


Plus de 40 ans d’expérience

Impossible évidemment de retracer rapidement plus de 40 ans d’expérience d’expositions, de découvertes, de visites d’ateliers, d’accrochages, de foires d’art contemporain… Une coupe transversale dans l’histoire de la Galerie du Centre permet pourtant de sortir les grandes orientations et les choix marquant de son directeur. Aujourd’hui Alain Matarasso propose avec cette sorte de jubilé non pas un regard nostalgique mais plutôt un documentaire idéal qui veut arrêter le temps un instant. Si cette exposition a l’aspect d’un puzzle à l’image de notre époque comme un miroir brisé de nos différences et de la fragmentation de nos expériences, c’est pour dessiner un planisphère des formes en train de naître. Son concepteur nous donne les moyens de participer à l’aventure de l’art d’aujourd’hui, d’inventer l’avenir sur des chemins qui conduisent toujours ailleurs, du côté d’un monde qui refuse obstinément l’uniformité ! Quand on lui demande d’expliquer sa démarche il explique doctement : « Deux qualités requises sont essentielles pour exercer cette profession et elles sont totalement antinomiques : d’une part, un petit brin de folie pour promouvoir des idées créatrices nouvelles qui obligatoirement dérangent, donc peu commercialisables, d’autre part une grande dose de raison car il s’agit d’une entreprise commerciale avec toute sa rigueur comptable. Marier l’eau et le feu n’a jamais été simple. »


Il explique aussi son rôle de passeur face à un public qui est malheureusement  toujours, dans son immense majorité, aussi fermé, voir aussi réticent face à la création d’aujourd’hui : «  Il y a vingt ans, les gens découvraient, regardaient, mais réagissaient très peu  par crainte sans doute de passer pour des imbéciles ou des béotiens. Aujourd’hui ils manifestent parfois leur enthousiasme, souvent leur indignation… Mon rôle est d’expliquer et d’affirmer par mes choix tout le parcours de ma vie motivée par la promotion des artistes de ma galerie ! Mais qu’est-ce qu’un artiste pour moi ? Quelqu’un qui regarde, écoute, observe même s’il n’est jamais absolument certain de comprendre dans leur totalité les êtres, les actions, les choses qu’il s’est donné pour devoir d’étudier. Tout simplement quelqu’un qui veut s’imposer par la peinture, la sculpture, ou toute forme d’art, avec en tête inlassablement l’idée et l’espoir d’apporter une lumière personnelle. » Pour lui, l’art est une entreprise de sensibilité, d’engagement et d’intelligence !


Le rôle du galeriste est de faire passer des vérités dans le public et ce rôle Alain Matarasso le joue toujours à merveille ! Quand Rilke voyait Cézanne en chien, «  le chien de son travail qui ne cesse de l’appeler, qui le frappe et l’affame », le galeriste vit dans la familiarité de peintres et de sculpteurs qui lui démontrent par l’exemple que l’art ne va pas sans acharnement, sans la muette et inquiétante résolution d’aller jusqu’au bout, au risque de connaître l’incompréhension, la lassitude et, nécessairement, la solitude qu’il est là pour atténuer. Comme Balzac qui affirmait vivre «  sous le plus dur des despotismes : celui qu’on se fait à soi-même », et s’épuisait à composer une œuvre à la mesure du monde, le marchand lui, doit conforter  le créateur auquel le motif ne cesse d’échapper, le peintre désespéré de n’atteindre jamais qu’à une imitation incomplète, douteuse et décevante. Le galeriste est là pour soutenir chez son « poulain » la volonté de saisir l’insaisissable, un instant, une apparence sans durée, une harmonie trop brève. Alain Matarasso joue dans sa galerie à la fois le rôle de censeur, de conseiller, parfois d’accoucheur…. et aussi de bateleur !


« Le second regard »

Depuis les années 1970/80 la France et l’Europe, dans la continuité des Etats-Unis, se sont ouvertes à l’art contemporain comme jamais. C’est l’époque de la multiplication des musées, des centres d’art, des fonds régionaux, des galeries, des expositions, des colloques… Comment comprendre, ou tout simplement prendre en compte, une activité créatrice aux propositions tellement nombreuses et diverses, alors que notre regard subit sans cesse le matraquage visuel des médias, de la publicité, d’internet dans un monde livré en ses moindres parcelles à l’image numérique. C’est là où le rôle du galeriste prend toute son importance car il tient en premier lieu un rôle de défricheur et d’éveilleur. Alain Matarasso aime à parler d’un regard plus attentif et réfléchi, moins marqué par le côté instinctif. Il précise : «  Ma spécialité c’est le second regard ! Des expositions se succèdent mais comme le temps va très vite on les oublie, on occulte des artistes importants au profit de celui qui devient le porte-drapeau et pour finir le seul dont on se souvienne. Moi mon but grâce à l’histoire de l’art c’est de mettre aussi en avant ces laissés pour compte ! J’aime redécouvrir ces oubliés et c’est là que doit fonctionner « le second regard » pour remettre en avant des artistes qui auraient dû compter mais qui n’ont pas été retenus. C’est passionnant car il y a alors beaucoup de choses à redécouvrir. J’aime à donner l’exemple de Patrick Procktor qui était la véritable coqueluche du Pop Art britannique des années 1960, beaucoup plus connu à l’époque que David Hockney mais qui est aujourd’hui complètement tombé dans les oubliettes ! C’est comme cela que je me suis mis aussi à travailler avec un artiste exceptionnel comme Derek Boshier qui est un des plus proches compagnons de route de David Hockney. Dès les années 1960 Boshier est l’un des premiers représentant du Pop anglais. Il emprunte ses motifs au quotidien mais il en altère les formes pour en souligner les implications sociologiques ou politiques et dénonce les manipulations de l’homme contemporain. Dans cette même continuité on trouve aussi le fabuleux travail d’Antony Donaldson qui avec des couleurs très vives propose des versions aplaties de pin-up empruntées aux images publicitaires. Chez lui l’image répétée, découpée, désarticulée devient quasiment abstraite. J’ai aussi montré pour la première fois en France Jeff Keen, un cinéaste d’avant-garde de Brighton qui n’ayant aucun moyen pour fabriquer ses décors composait de fabuleux tableaux Pop et qui est aussi un des précurseurs du Street art. Aujourd’hui après mon travail sur lui il vient d’avoir une rétrospective à la Tate Modern de Londres ! Pour rester dans le monde outre Atlantique un de mes derniers dadas est le travail de Jann Haworth que j’ai découvert lors d’une grande expo sur le Pop Art à Bilbao. Nous nous sommes trouvé un ami commun dont la démarche m’a toujours intéressé, le galeriste historique Nicholas Treadwell dont le stand délirant déclenchait l’hystérie aux premiers temps de la FIAC ! Jann Haworth est une des premières à faire un travail artistique à partir de la couture et j’ai tout de suite été extrêmement séduit par la vivacité et l’intelligence de sa démarche ainsi que par ses visions très féministes du monde. Son travail a vraiment eu sur moi un effet coup de poing et m’a même amené à changer complètement mon regard sur les femmes ! C’est aussi cela que j’attends d’un grand artiste ! »


La Figuration Narrative :

Historiquement le mouvement de la Figuration narrative est né à Paris en 1964, à l’occasion de l’exposition « Mythologies quotidiennes » montée par Bernard Rancillac et Hervé Télémaque, désireux d’offrir une alternative aux diverses abstractions qui dominaient alors la scène artistique internationale. Vont s’associer à eux Peter Klasen, Jacques Monory, Edouardo Arroyo, Gilles Aillaud, Antonio Recalcati, Valerio Adami, Erro, Henri Cueco, Gérard Fromanger… dont les travaux apparurent aussi comme des réponses européennes au Pop art naissant. Alain Matarasso s’intéresse véritablement à ce mouvement dès la fin des années 1970 et plus particulièrement lors d’une exposition organisée à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris par les collectionneurs Philippe et Carlotta Charmet. Il s’en explique : «  C’est le peintre Denis Rivière qui a été ma première étape, mon marche pied vers la Figuration narrative. Ensuite j’ai suivi le travail d’artistes liés de près ou de loin au mouvement comme Gérard Guyomard qui m’a amené vers Jean-Paul Chambas, Herman Braun-Vega, Christian Bouillé, Le Boulch’, Bernard Morteyrol, Michel Tyszblat, Tadini, Spadari…  A l’instar du Situationnisme, qui prônait le détournement des images de la publicité et des bandes dessinées, les protagonistes de la Figuration narrative proposaient aussi une esthétique gaie, grinçante, humoriste, responsable et inventive.  Une des préoccupations de ce large courant qui déborde les piliers historiques du mouvement est de redonner une fonction critique et politique à la peinture. C’est le cas avec Guyomard qui avec son « esprit anar » dénonce la société de consommation dans son univers polychrome composé d’images éclatées et érotiques. J’ai vite été séduit aussi par Morteyrol, par les hommages à la littérature et à la peinture de Chambas, le métissage des styles chez Braun-Vega, l’équilibre instable de Tyszblat… Mon intérêt pour le Pop art et la Figuration Narrative vient aussi de mes racines de fils d’immigré. Quelque part avec ces artistes je défends ma caste. Je prône un art accessible à tous : un art du peuple pour le peuple. Une autre raison est liée à ma jeunesse qui a été  marquée aussi bien par le « swinging London » et la pop musique qu’en France par Mai 1968. »


« America, America »

Une autre trouvaille importante d’Alain Matarasso a été de montrer des parallélismes intéressants entre des artistes d’une même génération dans des pays différents. Amoureux des Etats-Unis qu’il a parcourus d’Est en Ouest et du Nord au Sud il va remettre en avant un artiste très important qui attendait son heure au purgatoire de l’histoire de l’art à Austin Texas : Peter Saul. Laissons lui raconter l’histoire : «  J’essayais d’introduire aux Etats-Unis des peintres de la Figuration narrative.  J’étais ami avec Tom Monahan qui s’occupait de l’œuvre de Valerio Adami à Chicago et c’est lui qui m’a fait découvrir le premier l’œuvre de Peter Saul avec qui j’ai véritablement eu la sensation d’enfin trouver ma voie ! Peter Saul transforme objets, personnages et décors en formes molles, viscérales, par un dessin « spaghetti » proche du graffiti et des couleurs criardes, volontairement vulgaires. Son style se rapproche d’une caricature agressive et véhémente par ses distorsions d’échelle et l’exagération de certains détails physiques. L’impact clairement politique de ses thèmes, exaltations des héros noirs, dénonciation du capitalisme, de l’impérialisme… en font le Donald Duck noir de l’Amérique bien-pensante ! Saul a choisi, non seulement d’agresser le pouvoir et les formes visibles auxquelles il n’en finit pas d’infliger des distorsions plus ou moins réjouissantes, mais d’être aussi « un manipulateur d’archétypes, un dénonciateur de mythologies » selon la formule de Gérald Gassiot-Talabot. Je mets sur un même plan un autre peintre américain lui aussi maître de l’autodérision mais qui lui vivait en France : Hugh Weiss. Pour moi c’est le Woody Allen de la peinture ! Je reste très fier d’avoir organisé avec le critique d’art Gérard Durozoi une grande exposition de ces deux peintres au musée de Maubeuge. Saul y révèle ce que nous préférions ne pas (sa)voir de la réalité (notamment sociale) qui nous entoure et nous est imposée : la violence, la drogue, la guerre… Weiss propose ses incertitudes, ses doutes, ses rêveries, ses angoisses intimes, pour que nous les confrontions aux nôtres. Aujourd’hui encore avec les jeunes artistes que je défends comme Christophe Compiano ou Aurélie de la Cadière je pense rester  très fidèle à ma manière de penser, à ma vision de l’art marquée par un côté critique et féérique. Que je l’ai clairement voulu ou non, ma galerie affirme souvent avec les artistes que je défends des revendications sociales et politiques. Celui qui symbolise peut-être le mieux  toute cette démarche c’est Kriki avec son univers punk aux couleurs fluorescentes et ses personnages taillés au couteau. »


Jardin secret :

Si la majorité des artistes qui font la Galerie du Centre sont donc marqués par leur volonté de raconter des histoires dans leurs tableaux, de prendre position dans leurs récits, d’affirmer une conviction politique ou sociale, une exception confirme la règle : le précieux travail de Guy-Rachel Grataloup qui a amené Alain Matarasso comme il le dit lui-même  « dans une autre dimension ». Marqué par la philosophie, la métaphysique, la théosophie l’œuvre de Grataloup est celle d’un alchimiste. Ni figuratif, ni abstrait, il est un peintre symboliste qui confronte les éléments que sont l’air, la terre, l’eau et le feu. A côté de lui un autre artiste inclassable de la galerie est Jack Vanarsky dont les étranges sculptures animées nous plongent dans un univers proche du surréalisme. Il se rapproche de Hugh Weiss par son espièglerie, son côté blagueur, son goût pour le canular et la boutade.


Quand pour finir on demande à Alain Matarasso ce qui fait un bon galeriste il répond justement avec un air un peu espiègle et sympathique : «  J’ai toujours cherché à créer un équilibre entre l’artiste, l’amateur et moi au milieu… J’ai toujours considéré qu’il fallait réaliser des affaires saines pour qu’aucune des trois parties ne soit lésée. Il y a chez moi une vraie fidélité. C’est mon secret pour avoir duré. Il est très important de respecter ses clients. Il faut surtout être à l’écoute et ne pas les tromper sur la valeur des choses. C’est la clef de ma réussite. Je suis très fier que mon premier acheteur du 1er octobre 1973 soit aujourd’hui encore toujours un de mes clients ! Un bon galeriste c’est paradoxalement quelqu’un qui montre quelque chose que le public n’attend pas, que tout le monde ne connaît pas, qu’on va voir parce qu’on sait que l’on va être agréablement surpris. Par exemple à une époque plutôt que d’exposer comme tout le monde le travail de Robert Combas, qui est un artiste que j’admire beaucoup,  j’ai préféré faire découvrir Peter Saul ! Mais il y a toujours des artistes dont je regrette de ne pas avoir pu défendre l’œuvre comme Ron Kitaj, Allen Jones, Richard Lindner…. Quand on rentre dans ma galerie je tiens mon rôle qui n’est pas seulement celui de marchand mais aussi celui de passeur. L’important pour moi est de transmettre quelque choses aux visiteurs : de l’émotion, du savoir, de l’histoire, du plaisir, de la réflexion, de la méditation… Tout ce que propose au fond une bonne œuvre d’art. »  


Renaud Faroux, Historien d’art. Paris février 2017.