Art et christianisme en Afrique centrale
23/11/16 – 02/04/17 Mezzanine Est
Consacrée exclusivement et pour la première fois à l’influence que jouèrent le catholicisme romain et l’iconographie chrétienne sur l’art et la culture kongo entre le 15è et le 20è siècle, cette exposition présente un ensemble exceptionnel de 100 uvres kongo d’inspiration chrétienne – crucifix, sculptures, pendentifs, gravures et dessins – issues des collections du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, du musée du quai Branly - Jacques Chirac et de collections privées belges et françaises.
L’exposition évoque d’abord les premières étapes de la christianisation du royaume kongo depuis les premiers contacts avec les Portugais, dès 1482, jusqu’au 18è siècle. Le parcours présente ensuite différents types d’attributs de pouvoir des dirigeants kongo aux 19è et 20è siècles. Une vingtaine de grands crucifix sont ici rassemblés pour la première fois, ainsi que des « objets métisses », reconnaissables du point de vue de l’iconographie chrétienne.
Les figures de saints, de vierges, voire les curieux Christ féminins, s’éloignent par leur fonction d’un strict usage catholique ou cultuel. L’exposition évoque aussi l’influence catholique exercée chez d’autres groupes ethniques de la République Démocratique du Congo ou de l’Angola, avant de s’achever sur l’histoire des religions traditionnelles vues à travers le prisme du christianisme.
* INTRODUCTION : UN PEU D’HISTOIRE
Le royaume Kongo existant depuis au moins le 14e siècle et découvert par les Portugais en 1482, relève de l’aire culturelle kongo qui est en fait un groupement de peuples et d’unités politiques divers allant du sud du Gabon au milieu de l’Angola ayant en commun des variantes d’une langue : le kikongo. Comme relevant de cette aire culturelle kongo, on peut citer d’autres états/royaumes également disparus comme le Loango, le Kakongo ou le Ngoyo.
Les principaux Européens présents au Royaume de Kongo entre le 15e siècle et le début de l’époque coloniale (fin 19e) furent les Portugais. Ils n’occupaient souvent que quelques bastions le long des côtes et entretenaient une présence réduite dans l’entourage de dirigeants locaux. Dans les années 1640, les Hollandais ont occupé certaines parties de la côte de l’Angola prises aux Portugais. Les Français, de leur côté, ne furent véritablement présents que dans la partie nord de l’aire culturelle kongo (royaumes de Loango et de Kakongo surtout) par le biais de commerçants et de missionnaires catholiques arrivés au 18e siècle.
Jusqu’au 19e siècle, les raisons qui poussèrent les Européens à établir des contacts avec le Royaume de Kongo furent avant tout commerciales. Les esclaves constituaient la principale « marchandise » d’exportation du royaume Kongo. Ils étaient achetés au moyen de divers produits européens considérés comme précieux par les Kongo (armes, perles de verre, textiles, alcool...). Le cuivre, la cire, l’ivoire et les tissages de raphia étaient aussi exportés mais dans des quantités moindres. Contrairement à certaines idées reçues, il y avait déjà des esclaves au Kongo avant l’arrivée des Européens ; cette classe était initialement constituée de criminels, de gens échangés contre des dettes existantes ou de captifs de guerre.
Si, pendant un temps, la couronne du Portugal avait espéré établir une colonie au royaume Kongo, elle développa par la suite des « ambitions plus modestes » et se limita à envoyer des artisans, des commerçants et des soldats. Royaume catholique, le Portugal soutint également l’envoi de missionnaires de différents ordres au royaume Kongo. Il en fut de même pour les États pontificaux qui eurent un rôle à jouer dans les luttes diplomatiques existant entre le royaume Kongo et les puissances européennes.
Bien que, en théorie, une grande partie de la population se soit fait chrétienne, on peut en réalité parler d’une majorité de « conversions de surface ». Culturellement, l’un des heurts majeurs pour une christianisation plus complète était l’interdiction de la polygamie, un aspect important des cultures de cette partie de l’Afrique. Au niveau des classes dirigeantes, la conversion au catholicisme fut aussi habilement utilisée pour servir des desseins politiques et religieux sur un plan national...comme international.
* PARCOURS DE L’EXPOSITION
I. LA CROIX ET LE CHRIST DANS L’ART KONGO
L’histoire des peuples kongo entre le 15e et le 18e siècle met en relief les relations de différents royaumes locaux (Loango, Kakongo, Kongo...) avec les états portugais, français et hollandais. À partir de la deuxième partie du 19e siècle commence véritablement la période coloniale dont l’une des acmés sera la Conférence de Berlin (1885) qui fit dépendre les différents groupes kongo des puissances portugaises, françaises et de la couronne puis de l’État belge. C’est durant cette période, qui prendra fin dans les années 1960-1970, que furent collectés plusieurs objets (cannes-sceptres, stèles funéraires, cuillères, pendentifs...) dont le Christ ou la Croix sont le sujet. Si certaines de ces pièces relèvent possiblement de l’influence missionnaire des 19e et 20e siècles (la seconde évangélisation), d’autres en revanche témoignent d’une intégration dans l’art et la culture kongo de l’imagerie chrétienne de la première évangélisation (15e – 18e siècles). La catégorie d’objets illustrant le mieux cette origine iconographique ancienne concerne les très emblématiques nkangi-kiditu, les crucifix des chefs, dont de nombreux exemplaires sont datés de plusieurs siècles et furent transmis de génération en génération.
1- Objets de pouvoir
Une des matérialisations les plus révélatrices des relations et des influences survenues au cours des siècles entre les Kongo et les Européens concerne l’étude des regalia acquises auprès de dirigeants locaux.
De fait, certains attributs de pouvoir attestent, par le biais des matériaux, de l’iconographie ou de la typologie, de changements économiques, politiques et religieux auxquels furent confrontés, en premier lieu, les différents détenteurs de l’autorité kongo. Ces objets témoignent également d’une volonté de maintien des traditions et des symboles anciens confrontée à une nécessaire adaptation à un monde changeant irrésistiblement.
Les chinzembe des 19e-20e siècles s’inscrivent dans la continuité d’autres vêtements tressés observés chez les Kongo dès les 16e – 17e siècles répondant au nom de zamba kya mfúmu (« cape du chef »). Selon certaines hypothèses, ces chinzembe pourraient être dérivées de vêtements européens comme les pèlerines ou bien encore les mosettes ecclésiastiques.
2- nkangi kiditu : présentation
À la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e, certains mfumu (chefs) kongo conservaient parmi leurs regalia des crucifix majoritairement de fabrication locale. Ces objets dont beaucoup étaient vieux de plusieurs siècles, étaient appelés localement nkangi kiditu/klistu (« le protecteur »). Les nkangi kiditu ne se retrouvaient pas chez tous les Kongo et étaient plutôt l’apanage de certains groupements, rattachables à l’ancien royaume de Kongo et aux «comté et duché » de Soyo et de Mbamba, comme les Solongo, les Mboma, les Mushikongo et les Ndibu.
Reliques du catholicisme remontant à la première évangélisation, ces objets ont, au fil du temps, été intégrés à la pensée kongo et leur usage s’est imprégné de celui réservé à d’autres objets de pouvoir traditionnels comme les bracelets cheffaux. Quant à la symbolique chrétienne de la croix, elle semble avoir rencontré ou bien avoir évolué vers une symbolique kongo faisant de ce motif la représentation du monde des vivants et de celui des ancêtres, des défunts.
Un nkangi kiditu était remis solennellement à la mort d’un chef à son successeur lors d’une cérémonie particulière et était garant de sa légitimité. Lors de palabres importantes qui nécessitaient l’avis du mfumu, le nkangi kiditu pouvait intervenir. Les individus concernés par le jugement devaient se saisir du crucifix du mfumu et jurer de parler honnêtement. Les nkangi kiditu revêtaient parfois une fonction thérapeutique et pouvaient être mis au contact d’un malade afin de l’aider à guérir.
Un crucifix de mfumu pouvait également intervenir lors de cérémonies importantes renforçant le lien entre les vivants et les morts. Ces rites, dirigés par le mfumu, sont assimilables à une « fête des morts » et consistaient à honorer les défunts importants et à entretenir les tombes en y apportant notamment des nouvelles offrandes telles que de la vaisselle européenne. En ces occasions, le chef exhibait le nkangi kiditu une fois les rites achevés.
Les nkangi kiditu en ivoire sont les plus rares et la plupart des exemplaires connus sont approximativement datables entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. En 1858, les missionnaires Ferreira et Gaviaõ assistèrent à la cérémonie funéraire du roi kongo Henrique II (parfois appelé Henrique III) à São Salvador et notèrent la présence d’un crucifix en ivoire, haut d’une palme, aux pieds du souverain défunt.
3- Oeuvres de pierre et iconographie chrétienne
La pierre n’est pas le matériau le plus fréquemment utilisé en Afrique sub-saharienne pour réaliser des sculptures. Quelques cultures en ont pourtant fait usage, notamment certains groupes kongo, comme les Mboma et les Solongo, en Afrique centrale. Chez ces derniers, l’usage de la pierre était quasi essentiellement réservé à la réalisation de statues ou de stèles funéraires destinées à orner les tombes de notables. Quelques nkisi (fétiches) et d’autres objets aux fonctions mal connues furent aussi réalisés en pierre chez les Kongo.
4- Interpréter une gestuelle
La représentation sur des uvres kongo de personnages aux mains jointes peut évoquer, dans l’esprit européen, la prière chrétienne. Cependant, il est possible que cette symbolique étrangère se soit amalgamée, voire se soit effacée dans certains cas, à une symbolique autochtone plus ancienne de la même gestuelle. En effet, chez différents groupes kongo, deux paumes jointes visent à représenter le claquement de main de déférence vis-à- vis d’un puissant et/ou d’un ancien.
Le sujet du crucifix connut une large diffusion dans le monde kongo. Les quelques pièces présentées ici visent à montrer la diversité de cette production qui, bien que partageant l’iconographie des nkangikiditu, n’en eurent pas la fonction.
5- Le rite kimpasi et la symbolique des nkangi kiditu
Le kimpasi était une initiation très importante qui concernait habituellement des jeunes kongo des deux sexes. Elle se déroulait lorsque des évènements graves frappaient la communauté (épidémies...) et son existence est attestée de manière certaine depuis le 17e siècle jusqu’à la première moitié du 20e siècle. Plusieurs groupes kongo comme les Mboma, les Ndibu, les Mushikongo ou bien encore les Kongo orientaux (Mbata, Mpangu) le pratiquaient.
La tenue d’un kimpasi dépendait des plus hautes autorités. On trouve des renvois à cette institution dans les titres honorifiques du souverain kongo Antonio Ier (mort en 1665). D’autres importants personnages historiques, comme la prophétesse Kimpa Vita, entretinrent des liens forts avec cette institution.
Le rite du kimpasi, qui se faisait sous la protection de certains charmes, impliquait un « décès » et une « résurrection » des jeunes initiés. Il trouvait l’une de ses expressions symboliques dans la représentation de croix matérialisées par un fossé cruciforme rempli d’eau ou bien par des gravures/dessins notamment présents sur des parois rocheuses. Certains épisodes de la vie du Christ narrés par les missionnaires (crucifixion, résurrection...) ont pu être perçus localement comme étant l’expression d’un «kimpasi des Blancs»... et la symbolique du kimpasi kongo a pu se superposer à celle du Christ en croix sur certains nkangi kiditu.
6- Comparaisons stylistiques et méthode de datation
La datation des objets en métal est délicate, mais théoriquement possible par le carbone radiogénique. Toutefois, de telles analyses nécessitent la réalisation de prélèvements incompatibles avec la préciosité du corpus de crucifix. Il convient donc de mettre en place d’autres méthodes analytiques.
De nombreux crucifix européens furent envoyés à différentes époques en territoire kongo pour les besoins de l’évangélisation. Certains de ces crucifix servirent ensuite de modèles pour ce qui est de la réalisation locale des crucifix des chefs. L’identification des modèles européens permet ainsi de poser certaines bases fiables pour ce qui est de la datation desdits crucifix.
7- Le goût des hommes d’Église
Le pontificat de Pie XI (1922-1939) joua un grand rôle dans la découverte et l’étude des crucifix kongo en Europe. Pie XI croyait fermement en l’importance qu’avait à jouer l’art dans la diffusion du catholicisme et spécialement dans les pays de missions. Pour ce faire, il ne suffisait pas d’exporter des uvres occidentales mais d’utiliser les talents artistiques locaux afin de produire des Oeuvres chrétiennes empruntes d’une sensibilité locale. C’est sous l’impulsion de cette idée que des ateliers d’art chrétien se développèrent dans le but de permettre à des artistes « indigènes » de créer des uvres pieuses. Si des ecclésiastiques soutinrent clairement le bien fondé et les résultats des ateliers de mission, d’autres critiquèrent un art de commande trop encadré sacrifiant l’émotion et la créativité locale.
Plusieurs détracteurs des ateliers firent appel aux crucifix kongo à titre de contre-exemples. En effet, l’expressivité et la qualité plastique de ces témoins matériels de la longue christianisation du royaume de Kongo constituaient la meilleure illustration de ce vers quoi pouvait aboutir le travail d’un artiste autochtone chrétien au moyen de sa sensibilité propre que ne bridaient pas la surveillance et les directives d’un superviseur intransigeant. Bien entendu, cette démonstration semblait ignorer résolument la véritable fonction des nkangi kiditu.
II. VIERGES ET SAINTS DANS L’ART KONGO
Le Christ ne fut pas le seul personnage chrétien a intégrer le répertoire des sujets traités par les artistes kongo. D’autres personnages saints comme la Vierge et Saint Antoine de Padoue/Lisbonne furent aussi matérialisés. Certaines peintures et sculptures importées par les Portugais pour les besoins d’églises locales purent servir de modèles aux sculpteurs et aux fondeurs locaux. En ce qui concerne Saint Antoine, son implantation ne peut complètement être appréhendée si l’on passe sous silence un évènement historique kongo marquant.
Au début du 18e siècle, Dona Beatriz Kimpa Vita, une jeune femme kongo de haute lignée reçut une vision de Saint Antoine l’enjoignant à restaurer la grandeur du royaume alors en pleine déliquescence et en butte aux luttes entre factions. Le mouvement religieux qui résultera de cette vision mystique est connu sous les termes d’antonionisme, antonisme ou bien encore antonianisme.
Ce mouvement messianique qu’est l’antonionisme bâtissait son pilier de foi autour de la personne du saint franciscain perçu comme un second dieu supérieur à tout autre saint et parlant par la bouche de Kimpa Vita qu’il possédait. Porteur de revendications religieuses et politiques, ce mouvement défendait une réappropriation et une transformation des pratiques catholiques afin de libérer les Kongo de l’emprise des prêtres blancs. Pour les antonionistes, les sacrements du mariage et du baptême étaient sans valeur et n’avaient pas de raison d’être. Toujours selon les antonionistes, Jésus n’était pas né à Bethléem mais en la capitale kongo de São Salvador. Saint Antoine (Toni malau) était également noir. En 1706, Beatriz Kimpa Vita, fut arrêtée sur ordre du souverain kongo Pedro IV, allié des Portugais. Elle a ensuite été jugée par un tribunal mis en place par les capucins Bernardo Da Gallo et Lorenzo da Lucca la même année. Convaincue de sédition et d’hérésie, elle fut finalement condamnée au bûcher.
De nos jours encore, plusieurs mouvements politiques et religieux comme le Bundu-dia-Kongo accordent une place toute particulière à la prophétesse Kimpa Vita.
1- Saint Antoine
L’importance de Saint Antoine chez les Kongo s’explique en partie par l’ancienne présence portugaise. En effet, de par ses origines lisbonnines, ce saint jouissait d’une grande renommée dans ce pays. Comme le signalait l’écrivain italien G. Baretti en 1760 : les douze Apôtres ensemble n’avaient pas la centième partie des prières que les Portugais adressaient à Saint Antoine.
Par ailleurs, le rôle que jouèrent les Capucins (une des branches du franciscanisme) à partir du 17e siècle dans l’évangélisation en terre kongo n’est pas à négliger dans le culte de Saint Antoine qui fut lui-même un religieux franciscain.
Chez les Kongo, Saint Antoine, appelé localement Toni malau, est le plus souvent représenté tenant une croix d’une main et soutenant le Christ enfant de l’autre. Cette iconographie était bien implantée dans l’art flamand des 15e et 16e siècles et fut également adoptée par des peintres de l’école portugaise à partir du 16e siècle.
2- Saint hybride et missionnaire
Certaines sculptures kongo présentent une iconographie peu évidente qui fait s’interroger sur la nature du personnage représenté. Sommes-nous en présence d’un saint ou d’un missionnaire ? S’agit-il d’une représentation d’Antoine de Padoue ou bien d’un autre saint ?
3- Sainte Vierge
À partir du dernier quart du 19e siècle (début de la période coloniale), on assista au Congo belge (actuelle République Démocratique du Congo) à un développement du culte de la Vierge faisant écho à celui présent en Europe à la même époque. Beaucoup de congrégations catholiques présentes au Congo se plaçaient d’ailleurs sous le signe de ce renouveau marial que cela soit sous celui de l’Immaculée Conception, de Notre-Dame-de-Lourdes ou bien encore du Cur Immaculé de Marie. Par un bref pontificat de Léon XIII en 1891, le Congo fut même placé sous le Patronage de la Vierge duquel naîtra la figure coloniale de Notre-Dame-du- Congo, sauveuse des « païens égarés ». Si Notre-Dame-du-Congo n’a pas été une grande source d’inspiration pour les sculpteurs locaux, il n’en va pas de même pour d’autres figures mariales que l’on retrouve dans l’art kongo de la fin du 19e et de la première moitié du 20e siècle.
4- Pendentifs
Les pendentifs puisant dans le répertoire iconographique catholique sont relativement rares dans l’art kongo et ont majoritairement comme sujet la Vierge Marie et Saint Antoine.
Les pendentifs de Toni malau (Saint Antoine), réalisés en laiton, en ivoire ou en terre-cuite sont initialement à rattacher au culte antonioniste. En 1705, le père capucin Lorenzo da Lucca présent dans la principauté de Sohio/Soyo (actuel territoire solongo) témoigna de l’arrestation d’un « prêtre antonioniste » qui utilisait lors de ses « messes » une petite figurine en métal de Saint Antoine qu’il enjoignait de vénérer.
Les pendentifs en laiton ayant pour sujet la Vierge orante sont encore moins courants que les précédents et se rattachent très possiblement à un culte précédant et annonçant l’antonionisme. Ce mouvement messianique marial apparut vers 1703-1704 et avait à sa tête la prophétesse kongo Appolonia Mafuta qui avait eu une vision de la Vierge. Aux 19e-20e siècles, les pendentifs en laiton de la Vierge avaient encore un usage magico-religieux. Appelés nsundi malau («Vierge des réussites»), ils auraient eu une fonction apotropaïque et seraient intervenus lors de rites de guérison.
III. INFLUENCES CHRÉTIENNES AUX MARCHES DES KONGO ET AU-DELÀ
Si les contacts privilégiés que connurent certains groupes kongo occidentaux et méridionaux avec les Européens favorisèrent durablement l’implantation d’un art d’inspiration catholique, il serait pour autant très réducteur de limiter ce type de création à ces cultures. De fait, l’influence chrétienne qui résultait en grande partie de la présence de missionnaires de différents ordres et de différentes branches aux 19e-20e siècles dans des pays comme l’Angola et l’ancien Congo belge (actuelle République Démocratique du Congo) eurent aussi une influence non négligeable sur certaines pratiques cultuelles ainsi que sur la réalisation de pièces s’y rapportant chez d’autres peuples.
Certains objets, comme les santu nzaambi pourraient même tirer une partie de leur iconographie d’une présence missionnaire plus ancienne (17e siècle). À l’inverse, d’autres artefacts, comme des masques du Katanga (région du Sud-Est de la République Démocratique du Congo) se rattachent à des mouvements syncrétiques qui apparurent dans la période postcoloniale (notamment dans les années 1970).
1- Santu/Klusu
Au tournant du 20e siècle, les Européens, surtout des missionnaires, découvrirent chez les plus orientaux des Kongo ainsi que chez des groupes voisins, des croix singulières. Seuls leurs noms santu ou klusu, dérivés du portugais santo/saint et cruz/croix, semblaient faire référence au christianisme. Détenues par des ritualistes, elles servaient à assurer le succès à la chasse. En outre, leur structure en croix renvoie manifestement au cosmogramme cruciforme kongo qui sous le nom de dyowa, était tracé dans le sol lors du rituel initiatique kimpasi. Ce cosmogramme symbolise chez différents groupes kongo le cycle de la vie de l’Homme de la naissance à la mort ainsi que le monde des défunts.
Santu, début 20e siècle © MRAC de Tervuren, photo J. Van de Vyver
2- Santu Nzaambi
La plupart des santu nzaambi holo mettent en scène un personnage anthropomorphe inscrit dans un cadre, les bras relevés à l’horizontale. Ces uvres, évoquant manifestement la crucifixion, pourraient avoir été influencées par l’action des Capucins installés dans la région au 17e siècle. Mais le culte thérapeutique auquel ces objets étaient voués (institution commune à plusieurs communautés de la région du Kwango) ne s’adressait qu’à des entités spirituelles autochtones ; le nom même de ce culte, Nzaambi, fut adopté par les missionnaires pour nommer le dieu des Chrétiens.
3- Le culte hamba chez les Tshokwe et leurs voisins
Les hamba peuvent être considérés comme des esprits influant sur le monde des hommes et ce à divers niveaux : chasse, fertilité, maladies... À la suite de certains rites les désignant comme cause de problèmes particuliers, ils étaient matérialisés sous la forme de petites statuettes destinées à être placées sur des autels leur étant réservés. Parmi les nombreux hamba existent les hamba vimbali, des hamba « étrangers » qui pouvaient être matérialisés sous les traits d’un Européen qu’il soit commerçant, missionnaire ou religieux. Il existait également des hamba santu plus directement liés aux personnages saints chrétiens considérés localement comme des êtres invisibles et puissants. Ces hamba santu prenaient sur les autels la forme de petites sculptures inspirées des statuettes de saints ou de Vierge d’importation.
4- Divers artefacts à iconographie chrétienne de République Démocratique du Congo et d’Angola
La plupart des objets présentés témoignent de la grande diversité des objets d’inspiration iconographique chrétienne produits au sein de diverses cultures de l’actuelle République Démocratique du Congo et d’Angola. À la différence d’autres objets comme les santu nzaambi ou les klusu, ces pièces se rattachent à des cultes plus éphémères ayant connu une implantation géographique peu élargie. Certaines uvres se rattachent même à des pratiques cultuelles créées pour le besoin d’un individu ou d’un très petit groupe d’individus. D’autres objets témoignent en revanche plus d’une production destinée à des catholiques congolais ou angolais.
Masque de Christ © Collection privée
IV. L’ÉVANGÉLISATION CONGOLAISE DES 20E ET 21E SIECLES
Le 20e siècle et le 21e siècle furent et sont encore propices à l’apparition de nouvelles spiritualités chrétiennes en Afrique centrale se démarquant clairement du catholicisme et du protestantisme traditionnels.
Le plus connu est certainement le kimbanguisme qui provient de l’émergence en 1921, dans l’ex-Congo belge, du prophète Simon Kimbangu. Kimbangu opère ce qui est perçu comme des miracles, tels que des guérisons et des résurrections, tout en s’érigeant contre le fétichisme et la sorcellerie. Il dit agir sous la force du Mpeve (l’Esprit, assimilé à l’Esprit Saint). Il interprète la Bible, prophétise le renversement de l’ordre colonial. Il se trouve rapidement accusé par les coloniaux d’incitation à la xénophobie et à l’incivisme, et d’atteinte à l’ordre public. En septembre 1921, Kimbangu est arrêté, traduit devant un Conseil de guerre et condamné à la peine de mort, qui sera commuée en servitude pénale à perpétuité. Kimbangu demeurera reclus de 1921 jusqu’à sa mort, en 1951. En dépit de la répression, le mouvement se maintient et, porteur d’un nationalisme kongo, il s’étend chez les Kongo du Congo français (actuelle République du Congo) et d’Angola; il se diversifie et débouche sur d’autres mouvements prophétiques. Après l’Indépendance, nombre de ces mouvements subsistent. La branche kimbanguiste issue de la descendance de Kimbangu se fonde en Église et épouse une forme dynastique.
Plus récemment, depuis les années 1980-1990, on assiste au Congo-Kinshasa à une prolifération de nouvelles Églises (néo)pentecôtistes/charismatiques – dénommées « Églises de réveil » –, à la faveur des crises économique et politique très aigues que connut alors le Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) présidé par Joseph Mobutu. Ces Églises tendent à la rupture avec le passé et la tradition. Elles partagent avec les Églises initiées par des prophètes africains, comme le kimbanguisme, des noyaux imaginaires et rituels communs : le combat contre la sorcellerie, la délivrance (exorcisme), l’importance de l’Esprit Saint, le prophétisme ou bien encore la guérison par la prière. Les unes comme les autres proposent une étiologie des souffrances morales et physiques – tant individuelles que collectives – endurées dans le présent comme dans le passé, et cristallisent l’espoir d’y remédier.
1- Iconoclasme
2- Pierre Bodo
Le peintre Pierre Bodo (1953-2015) devint pasteur d’une église pentecôtiste. La vocation évangélique de Bodo est particulièrement palpable dans sa production des années 1980 et 1990. À cette époque, Pierre Bodo peut véritablement être considéré comme un peintre-prêcheur condamnant les travers humains (la consommation d’alcool, l’adultère, la violence conjugale, le vol, le meurtre...), dénonçant les actions des « sorciers », mettant sous le signe du diable les professions de devins et autres marabouts. Il présente, en définitive, une vision du monde toujours à la merci du mauvais esprit contre lequel seule la puissance rédemptrice du Christ, et non celle des interlopes guérisseurs, peut agir.
À partir des années 2000, son bestiaire démoniaque se fait moins fréquent bien qu’on le retrouve au hasard de certaines toiles. La peinture de Bodo se tourne ensuite vers un public et des acheteurs européens. Il privilégie alors des sujets moins sombres qui se caractérisent par des couleurs plus vives et qui donnent la part belle aux dandys-oiseaux et aux femmes arbres...avatars de l’univers de la sape congolaise.
3- Syms
Syms (né en 1957) est un artiste engagé qui a notamment retranscrit sur toile les terribles évènements de l’ « actualité Mobutu » comme la marche pacifique des chrétiens de février 1992 qui se termina par une répression sanglante menée par les forces de l’ordre. Peintre satirique, il a aussi moqué dans ses uvres les politiques corrompus, ainsi que les pasteurs tartuffes issus notamment de la mouvance des Églises de Réveil qui trahissent la confiance de leurs paroissiens et se livrent à toute sortes d’abus et d’escroqueries.
*GLOSSAIRE
Chinzembe : Vêtement tressé
Hamba : Esprits influant sur le monde des hommes, matérialisés sous la forme de petites statuettes
Kimpasi : Rite d’initiation très important des jeunes Kongo, pratiqué lorsque de graves événements frappaient la communauté.
Marial : Relatif à la Vierge Marie Mfumu : Chef
Mosette : Pèlerine courte que revêtent certains ecclésiastiques
Mpeve : Esprit assimilé à l’Esprit Saint
Nkangi kiditu : Crucifix protecteur des chefs
Nkisi : Fétiches très puissants qui servaient notamment à lutter contre les sorciers
Nsudi malau : Vierge de réussite Regalia : Ensemble d'objets symboliques
appartenant au chef
Santu nzaambi : Objets mettant en scène un personnage anthropomorphe et évoquant la crucifixion, voués à un culte thérapeutique
Toni malau : Saint Antoine
*COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION
Julien Volper est titulaire d’un doctorat en Histoire de l’Art (Université Paris I Panthéon-Sorbonne). Il est actuellement conservateur Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren, Belgique) et Maître de conférence au Centre d’Anthropologie Culturelle de l’Université Libre de Bruxelles. Auteur d’articles et d’ouvrages portant sur les arts et les cultures anciennes d’Afrique centrale, il a en outre organisé ou participé à plusieurs expositions dont : Masques Géants du Congo (Bruxelles 2015), Kuba Textiles (Purchase 2015), Initiés : bassin du Congo (Paris 2013), Kongo across the Waters (Floride, 2012), Carnets de voyages (Sarran 2010).
Une partie des objets présentés dans l’exposition appartient aux collections du Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren : ils sont prêtés dans le cadre des projets "Pop-Up Museum" de cette institution.
La scénographie de l’exposition a été concue par David Lebreton et Benjamin Tovo.
Exposition Art et christianisme en Afrique Centrale
23 novembre 2016 / 2 avril 2017
Musée du Quai Branly
37 quai Branly
75007 Paris
www;quaibranly.fr