Eduardo ARROYO - Dans le respect des traditions

Fondation Maeght
1er juillet - 19 novembre 2017

Du 1er juillet au 19 novembre 2017, Eduardo Arroyo investira les cimaises de la Fondation Maeght. Considéré comme l’un des grands artistes espagnols de sa génération, Eduardo Arroyo dépeint l’humanité à travers des jeux d’images dont l’origine est tant la société que l’Histoire, l’histoire de l’art ou de la littérature. Il le fait avec une vérité et un humour qui se jouent des scénographies mythologiques ou politiques. Il utilise la narration par fragment, avec goût du paradoxe, et livre une œuvre picturale extrêmement construite et faisant preuve d’une liberté constante. Également écrivain, Eduardo Arroyo a choisi avec un soin particulier, mariant l’absurde et l’ironie, le titre de l’exposition à la Fondation Maeght, « Dans le respect des traditions ».
La mujer del minero Pérez Martinez llamada Tina es rapada por la policia, 1970.

Huile sur toile, 163 x 130 cm. © Adagp Paris 2017. Photo DR. // Titan White Rembrandt I, 1969
 

Du 1er juillet au 19 novembre 2017, Eduardo Arroyo investira les cimaises de la Fondation Maeght. Considéré comme l’un des grands artistes espagnols de sa génération, Eduardo Arroyo dépeint l’humanité à travers des jeux d’images dont l’origine est tant la société que l’Histoire, l’histoire de l’art ou de la littérature. Il le fait avec une vérité et un humour qui se jouent des scénographies mythologiques ou politiques. Il utilise la narration par fragment, avec goût du paradoxe, et livre une œuvre picturale extrêmement construite et faisant preuve d’une liberté constante. Également écrivain, Eduardo Arroyo a choisi avec un soin particulier, mariant l’absurde et l’ironie, le titre de l’exposition à la Fondation Maeght, « Dans le respect des traditions ».


La Fondation Maeght propose un parcours thématique d’œuvres réalisées depuis 1964, composé de tableaux célèbres et de peintures inédites dont une série de toiles réalisées spécialement pour cette exposition. Elle présente aussi de nombreux dessins, un ensemble de sculptures, dont des « pierres modelées » et des assemblages, entre fiction et réalité, comme une série de têtes hybrides.
Spectaculaire par sa diversité de matières, par la profusion de personnages, par son éventail de couleurs, l’accrochage met aussi en scène des petits théâtres comme celui autour du tableau l’Agneau Mystique ou celui du Paradis des mouches, royaume des vanités.

« Si l’art est l’un des moyens les plus perspicaces et les plus justes pour comprendre la psychologie humaine, pour mettre en lumière la vérité d’un individu, il peut, également, tenter d’exprimer non plus l’identité d’une personne mais celle d’une « humanité », d’un groupe d’hommes confrontés au temps ou à l’Histoire. L’art prend, chez Eduardo Arroyo, une dimension de fable politique, philosophique ou sociale, quand il cherche à représenter les jeux, les signes, les langages, les chansons de geste des pouvoirs après lesquels court l’humanité », explique Olivier Kaeppelin. « Avec Adrien Maeght, nous trouvions qu’il était également intéressant de ne pas oublier les dialogues que ses œuvres entretiennent avec celles de Fernand Léger ou Francis Picabia. »

Rattaché au courant de la Figuration narrative qui se développe en Europe dans le début des années 1960, Eduardo Arroyo, artiste engagé, refuse toute esthétisation complaisante de l’art et des images. Il défend l’exemplarité de l’œuvre. Il veut que sa peinture soit accessible au plus grand nombre. Ses toiles sont peintes en aplats, mais il emploie aussi fréquemment une composition tributaire du collage. Il exécute également des sculptures pour lesquelles il manie la terre cuite, le fer, la pierre, le plâtre ou le bronze. L’usage du « non sense », de l’illogisme, en fait un héritier direct de Lewis Carroll et de l’humour noir.

Eduardo Arroyo utilise les images produites par nos sociétés. Il s’en est toujours servi pour démontrer l’efficacité de l’art contre les idéologies, notamment lorsqu’il quitte l'Espagne franquiste en 1958 pour s’exiler à Paris. Il réalise des peintures d’histoire(s), désacralise les personnalités politiques et use, comme il l’entend, des grands héros ou des personnages de pouvoir. Il repeint également l’histoire de l’art ou celle de la pensée. La Fondation Maeght, après avoir exposé en 2013 La Datcha dont le sujet était les philosophes et la révolution dans la période des années 1960-1970, présente ici l’un de ses grands chefs- d’œuvre intitulé Ronde de nuit aux gourdins où il réinterprète le tableau de Rembrandt. Eduardo Arroyo utilise également l’imagerie médiatique, la photographie publicitaire, le cinéma américain ou les films noirs. Il joue avec la littérature comme il se joue des catégories, des styles et des techniques et circule dans l’histoire des arts. Au détour des salles, nous rencontrons Rembrandt, Van Gogh, Ferdinand Hodler ou Antonio Saura, mais aussi Sylvia Beach ou Miguel de Unamuno. Eduardo Arroyo tourne, pique, virevolte, comme le font certains boxeurs qu’il admire, comme Panama Al Brown. En peintre il s’inspire, en quelque sorte, des champions du noble art.

Peindre l’Histoire, l’histoire des hommes, l’histoire de la littérature, l’histoire de la peinture...
« La peinture est en quelque sorte littéraire; et c’est dans ce sens que je travaille sur des thèmes. Il y a un début, une fin, des personnages, et l’ambiguïté propre aux romans. C’est donc un récit, comme si j’avais écrit une quinzaine de romans... », explique Eduardo Arroyo.

Le langage pictural d’Eduardo Arroyo se construit autour de l’idée d’écriture et d’autobiographie, souvent articulée en séries où rivalisent auto-ironie, tragi-comique et art du pastiche. Fidèle à un art narratif extrêmement libre, il mêle le public et le privé, l’historique et le légendaire. Chacune de ses œuvres raconte la complexité d’une époque, d’une situation ou d’une femme, d’un homme, qu’il soit peintre, écrivain, éditeur, ramoneur, espion, futur empereur, boxeur, reine d’Angleterre... Ces derniers traversent le temps et l’espace. Enfant, Eduardo Arroyo apprend à lire les œuvres de Goya, de Vélasquez, Le Greco. Capable de déchiffrer la subtilité narrative des représentations figuratives, il apprécie aussi les significations cachées des tableaux et leur puissance expressive. S’il décide de pratiquer la peinture à l’huile, le collage, le dessin, la sculpture, il n’abandonne pas pour autant sa passion pour les romans et l’écriture. Dans toute son œuvre, Eduardo Arroyo joue et s’amuse à mixer écrivains, héros ou héroïnes de fiction, leur procurant ainsi une nouvelle identité. Avec malice, il se glisse dans des duos, presque des « oxymores », en pierre, céramique, bois, acier et plomb, aux visages doubles comme ceux de Dante-Cyrano de Bergerac ou encore Tolstoï-Bécassine, mais aussi dans des portraits sculptés de Frida Khalo, Honoré de Balzac, Orson Welles, Géronimo... qui expriment son attachement à ces figures. Eduardo Arroyo, peintre, dessinateur, sculpteur, cherche un langage approprié à chaque situation. Il porte une attention remarquable au détail et use d’une incroyable habileté technique, d’une fantaisie qui lui est essentielle. Son éclectisme délibéré le conduit à utiliser tous les matériaux capables de traduire son univers. Il travaille autant le graphisme, l’estampe, la sculpture, que la céramique ou l’assemblage de matériaux variés, pour revenir à l’huile et à la toile avec une énergie toujours renouvelée. « Je ne suis qu'un peintre qui fait beaucoup de choses, qui se balade de l'écriture à la poésie, de la sculpture à la scénographie, pour arriver à la peinture, et peindre avec plus de force », déclarait Eduardo Arroyo récemment dans un entretien.

« L’art, chez lui, n’est jamais un objet et une image mais toujours un espace et une forme, expression de son alchimie personnelle au milieu de la société et du temps », souligne Olivier Kaeppelin. « Remarquons que si son œuvre se sert de l’histoire en s’y soustrayant, si elle fuit comme la peste le statut d’objet social échangeable, c’est pour offrir un art qui ne relève que de lui-même, et d’un créateur qui ne dépend que de lui seul. Qui est cet artiste solitaire en proie à l’Histoire qu’il combat ? Sans doute le protagoniste d’un espace scénographique qui se construit par d’étonnantes compositions où le gai savoir, le « non sense » et le paradoxe mènent à une lutte incisive avec la mort. Celle-ci prend de nombreuses formes, celles des corridas avec chimères « unicornes », toréadors et picadors, celles de matchs de boxe, d’affrontements politiques avec leurs cortèges de pouvoirs et d’agents doubles, leurs jeux toxiques et secrets, leurs masques, leurs mascarades accompagnés des crânes et vanités qui attendent chacun d’entre nous », ajoute-t-il à propos du travail d’Eduardo Arroyo.

Les œuvres d’Eduardo Arroyo manifestent, à des degrés divers, aussi bien la malice, le rire que la critique corrosive. La figure humaine constitue un terrain de prédilection: il sait donner aux portraits des attributs touchants et subtils. Ce témoin privilégié refuse tout dogmatisme et ne se laisse enfermer dans aucune formule.

L’Espagne obsédante
Né à Madrid en 1937, Eduardo Arroyo est un enfant de la Guerre d’Espagne. Très vite, il se libère de ses obligations militaires en devançant l’appel pour abandonner au plus tôt, l’atmosphère irrespirable de l’Espagne franquiste. Il s’exile en 1958 à Paris avec l’intention de se consacrer au journalisme. Il choisit finalement l’art et se sert du pinceau pour combattre l’arbitraire politique notamment celui de son pays sous le régime dictatorial du général Franco. Il pratique une peinture provocatrice et combative et donne toute sa place à la force de l’image et à son intelligibilité immédiate. Activiste en mai 1968, il se lie d’amitié avec Gilles Aillaud et Antonio Recalcati. Ils fondent leur revue Rebelote qui jouera un rôle important dans le monde des idées de cette époque. Militant contre la politique du Caudillo, il ne cesse d’être préoccupé par la réalité espagnole: les luttes, Franco, le césarisme en général, la dictature, l’Église. Comme Antonio Saura, réfugié en France, il devient un acteur de la résistance à ce régime.

Le spectre de ce que sera l'Espagne jusqu'à la mort de Franco, son « Espagne obsédante » a, dans ses tableaux, une présence récurrente. Son œuvre raconte l’exil, traite d'assassinats politiques et d'oppression. Son pays d’origine est toujours présent. Il entretient avec lui des rapports passionnels allant de l’adoration à la haine. Ses toiles, entre réalité et fiction, évoquent, sur un ton dramatique, quelques figures sacrificielles d’exilés comme l’écrivain et diplomate Ángel Ganivet ou encore l’intellectuel José Maria Blanco White qui prend la forme, dans une série de tableaux, d’un personnage vidé de sa substance, composé plus de vêtements que de corps et observé par les espions de lieu en lieu (Cock Lane, British Museum, Tate Gallery).

L’humanité divisée atteint une intensité déchirante dans le portrait intitulé La mujer del minero Perez Martinez, Constantina, llamada Tina es rapada por la policia. Tina, femme de mineur porte des boucles d’oreilles aux couleurs de l’Espagne. Celles-ci sont également présentes, comme dans certains faire-part, dans l’angle gauche du tableau. Au centre, le visage de cette femme, dont la tête vient d’être rasée publiquement par les Franquistes, pleure et les larmes coulent le long de ses joues. Avec une retenue traduite par une extraordinaire économie de moyens, le peintre crée une icône digne et noble de la douleur dont les origines sont politiques mais aussi ontologiques. Elle est la confrontation avec la mort, sous toutes ses formes, qui ne cesse de ponctuer l’œuvre d’Arroyo.

Le tableau le plus ancien de l’exposition, Double portrait de Bocanegra ou le jeu des 7 erreurs, présente deux toréros peints dans un étrange mélange de « flou » et de précision. Ils sont poings fermés et expriment une violence sourde sous les jets de fleurs qui tombent du ciel. Serait-ce la manne des Dieux qui apprécient leurs passes taurines? De quelles corridas s’agit-il? Les angles supérieurs du tableau sont marqués aux couleurs de l’Espagne. Au centre se tient la colonne coupée des cimetières et des tombes symbolisant la fin, la ruine. Ciel bleu badigeonné de blanc, couleurs des œillets et des habits sang et or, il n’y a pas de taureau et pourtant la mort est, au milieu de l’espace, remuée par la peinture. La mort est ici présence et absence.

À la fin de son exil en 1976, Eduardo Arroyo doit se confronter à une Espagne qu’il ne reconnaît plus. Son retour au pays est difficile, traumatique. Il continue de panser les plaies ouvertes dans ses créations. Comme un accès de fièvre lancinant, l’image de l’Espagne revient dans ses obsessions picturales.

Ciseaux et crayons
Eduardo Arroyo revendique sa passion pour le dessin, et la place qu’il lui donne nourrit autant sa peinture que l’ensemble de son travail : crayon, aquarelle, pastel, découpage, collage,... Tout au long de son parcours, son œuvre sur papier frappe, tour à tour, par la force, la douceur, la séduction des couleurs et des traits, ou par le graphisme emprunté à la publicité et à la bande dessinée. Pour Eduardo Arroyo, dessin et écriture font bon ménage et il accompagne volontiers les écrits pour lesquels il a de l’intérêt.

Avec la série des Ramoneurs, Eduardo Arroyo tire parti des effets du papier de verre en ton sur ton dans une ambiance sombre, obscure. Arroyo fait du ramoneur un masque, une figure de l’ombre, un être ambivalent, à la lisière du bien et du mal, qui, à la manière d’un gentleman cambrioleur ou d’un justicier, grimpe sur les toits et agit dans le silence de la nuit. Smoking, chapeau haut-de-forme et cravate remplacent les instruments et la tenue de travail habituels. Ce jeu avec les « écarts » et cet art du contre-emploi plongent le personnage dans un théâtre où il devient un clown intrigant, triste et menaçant. L’atmosphère de cette série, proche de celle des films noirs, annonce le cycle des peintures policières Toute la ville en parle réalisé dans les années 1980 et inspiré du film éponyme de John Ford de 1935. Eduardo Arroyo réalise également une série de dessins intitulés La Nuit espagnole en hommage à l’œuvre du même nom de Francis Picabia. Il réinterprète l’ambiance énigmatique du célèbre tableau de 1922 du peintre surréaliste représentant deux silhouettes en noir et blanc, l’une masculine et l’autre féminine « criblée » de cibles colorées. Il reprend les positions ambiguës des deux personnages, l’homme levant les bras pouvant évoquer un lanceur de couteaux ou un danseur de fandango.

Eduardo Arroyo met en scène dans l’exposition de la Fondation Maeght, une œuvre exceptionnelle intitulée Agneau Mystique. Il réinterprète, au crayon, sur des feuilles de papier, en transposant à taille réelle et en noir et blanc, le retable de L’Adoration de l’agneau mystique, polyptique de dix panneaux de bois de la cathédrale Saint- Bavon de Gand, peint à l’huile par les frères flamands Hubert et Jan Van Eyck dans la première moitié du XVe siècle. « Dans les panneaux inférieurs de cette œuvre, à la place de l’Adoration de l’Agneau par les fidèles, les anges, les personnages illustres ou anonymes attendant de boire à la fontaine de vie, il introduit la multiplication des mouches, alignées sur deux plans, deux planches d’entomologiste. Elles prennent possession de la totalité de l’espace précédemment consacré à « la Vita nova », symbolisé par l’agneau de Dieu, pour l’emmener vers un autre « paradis », horizontal et sans transcendance. Là encore, vie et mort, art et histoire de l’art, héros et martyrs mènent le bal au cœur de cette réécriture du chef-d’œuvre flamand », explique Olivier Kaeppelin. Ce paradis des mouches (autre nom pour l’Espagne), avec lequel il s’amuse dans ce tableau comme dans le dessin Místico y moscas, est récurrent dans son œuvre.

Eduardo Arroyo pratique également, d’une manière intense, l’art du collage. « C’est précisément cet aspect sériel, fragmentaire, divisé, ces différences stylistiques, ces mélanges, toute cette incohérence qui constituent, finalement, la cohérence de mon travail », affirme-t-il. Ses collages empruntent aux genres littéraires de l’autofiction, du carnet de voyage et du roman noir. Arroyo aime les créatures de l’ombre, mystérieuses, ambivalentes. Il rend ainsi hommage à quelques « as de la cambriole » tout autant qu’à l’architecte et designer finlandais Alvar Aalto, ou encore à Sigmund Freud...

Toiles récentes
« À l’origine, mes tableaux étaient plus anecdotiques, travaillés avec des matières. Avec le temps, je l'ai abandonnée, la matière... C'est vrai qu'il y a eu un changement profond dans mon œuvre. Quand l'Espagne a retrouvé sa liberté, moi aussi j'ai retrouvé ma propre liberté. Les thèmes de l’espagnolade m’obsédaient moins. Ma peinture est devenue plus douce, plus cryptique, plus ambiguë plus surréaliste. À présent je peins à Paris, je peins à Madrid, et je peins dans ma montagne de Leon, près des Asturies. Ce sont mes trois lieux de prédilection. »

Le parcours de l’exposition propose de découvrir un ensemble de toiles récentes réalisées par Eduardo Arroyo pour cette exposition. On y retrouve son sens aigu de la mise en scène qu’il a, par ailleurs, développé dans plusieurs décors de théâtre à Salzbourg ou à Paris notamment pour Klaus Michael Grüber. En préservant toujours un côté décalé et facétieux, son travail continue d’interroger l'Histoire culturelle, politique, religieuse et politique tout en traduisant son questionnement permanent sur le temps présent. Dans ces toiles colorées aux allures surréalistes, Eduardo Arroyo met en scène ou évoque différentes personnalités: des peintres comme dans Van Gogh sur le billard d'Auvers-Sur-Oise ou Hodler et son modèle, ou des gens de littérature comme les éditrices Sylvia Beach et Adrienne Monnier ou des écrivains, Arthur Quiller-Couch, James Joyce, Miguel de Cervantès et Oscar Wilde avec au cœur le célèbre personnage de son unique roman dans El retrato de Dorian Gray.

Dans le diptyque intitulé Sylvia Beach fête la publication d’Ulysse de Joyce dans la cuisine d’Adrienne Monnier, Eduardo Arroyo peint ces deux femmes partageant leur vie et leur passion pour les livres. Ulysse roman de James Joyce, qui fut interdit aux États-Unis jusqu’en 1931 pour son caractère obscène fut publié dans son intégralité à Paris en 1922 par la librairie Shakespeare and Company fondée par l’américaine Sylvia Beach qui partagea sa vie avec la française Adrienne Monnier. « Un portrait de Joyce est accroché au mur dans la cuisine d’Adrienne Monnier, rue de l’Odéon. La cuisine est séparée en deux. Le double d’Adrienne Monnier la regarde, chacun reconnaîtra Sylvia Beach. Les deux femmes se font face, elles fêtent la sortie du livre de Joyce, l’atmosphère est tendue, une lune monte dans l’empyrée de la cuisine. L’astre est bleu comme la mer où navigua le chercheur de passes inventé par Homère et comme la couverture de la première édition en anglais d’Ulysse », écrit Daniel Rondeau à propos de ce tableau.

Vanités et mouches
« Toute son œuvre s’oppose à la mort, sa principale partenaire et sa meilleure ennemie. Il spécule, il « joute » contre cette « mort à la vie ». Il la combat par l’art et, grâce à lui, retourne, comme un gant, ce « Viva la muerte » qui retentissait, encore, à son adolescence. C’est cette « muerte » qu’il attaque en permanence non avec tragique mais avec un savoir, une érudition, un éclat de rire et une intelligence déconcertante. Toute son œuvre s’entretient avec cette mort pour la défaire », précise Olivier Kaeppelin.

L’accrochage dévoile un ensemble de vanités et de mouches de tailles différentes, en pierre, plomb, laiton, bronze et acier, installées sur les murs tapissés d’un papier peint représentant lui aussi des mouches. Depuis l'antiquité, la mouche représente, un animal odieux qui peut harceler l'homme et le rendre fou. Elle évoque ici aussi Belzébuth, dont le nom signifie le « seigneur des mouches », divinité maléfique qui annonce le diable des religions du livre chez les Babyloniens, mais également dans l'Egypte ancienne. On retrouve également chez Eduardo Arroyo le thème des vanités sous la forme de crânes, grosses pierres arrondies par les torrents et marquées aux orbites et à la bouche d'inclusions de plomb.

Berlin
Berlin, où Eduardo Arroyo séjourne en 1976 comme invité dans le cadre d’un programme de résidences d’artistes à la DAAD, Académie des beaux-arts, lui apparaît rapidement comme une ville fascinante, propre à stimuler sa création. La population retient notamment son attention. Frappé par la dualité de cette ville fantôme, Eduardo Arroyo confronte, dans sa série noire L’opus berlinois, la misère du quartier turc de Kreuzberg à un Orient florissant, précieusement conservé dans l’île aux musées qui regorge de vestiges de la civilisation égyptienne. Pour évoquer les quartiers où sont installées des communautés d’immigrés turcs, Eduardo Arroyo cherche à se servir à la fois d’objets, comme les tapis, et de la matière même de la ville, grâce au revêtement en caoutchouc des sols de salles d’attente des gares et des aéroports, séduit par « le noir de cette matière nouvelle, d’odeur pénétrante et grasse sans conditions ».
C’est également lors de ce séjour de neuf mois en Allemagne qu’Eduardo Arroyo travaille à la réplique de la Ronde de Nuit de Rembrandt avec sa Ronde de nuit aux gourdins revisitée. Encadré par deux panneaux représentant des paysages urbains crépusculaires, son pastiche présente des personnages portant battes de base- ball, matraques et gourdins remplaçant épées, mousquets, lances et arquebuses des guerriers du XVIIe siècle. Eduardo Arroyo, qui se veut « peintre d’histoire », dénonce ici encore l’oppression et la violence exercées par les régimes totalitaires. Cette période marque un moment particulier dans sa vie et dans son œuvre, avec l’agonie du « Caudillo » qui meurt fin 1975. Ainsi, son séjour dans cette ville qu’il considère, à l’époque, enfermée, emprisonnée et emmurée, s’associera à un sentiment de liberté retrouvée.

La peinture au secours de la peinture
Les figures de la lutte font partie intégrante de l’univers pictural d’Eduardo Arroyo. Parmi elles, celles de la boxe à laquelle l’artiste voue une véritable passion au point de lui consacrer un cycle d’œuvres dès 1972. La figure du boxeur, « athlète de la survie », renvoie de manière métaphorique au parcours solitaire et combattant du peintre.

Eduardo Arroyo fait référence à un épisode du Livre de la Genèse qui fascina Rembrandt, Gustave Doré, mais surtout Delacroix qui lui consacra sa célèbre peinture La Lutte de Jacob avec l'Ange. Chez Arroyo, son interprétation de la lutte de Jacob obligé de se mesurer à l’ange vire au noble art. La lutte de Jacob avec l’ange est un combat semblable à la boxe : « une danse d’athlètes, d’hommes enlacés dans un corps à corps baigné de sueur, une étreinte réglée par des normes dont il faut tenir compte », écrit Eduardo Arroyo qui poursuit « Et la peur du peintre se révèle, il craint qu’à force de chercher des couleurs, des tons, des glacis, la matière de la peinture devienne boue, fange, vase pestilentielle. D’un côté Jacob attaque l’Ange, de l’autre Delacroix lutte contre la peinture tout en sachant qu’il perd peu à peu cette bataille quotidienne contre les verts: vert Véronèse, vert bouteille, vert mer, vert-noir, et dans l’obscurité croît le poison du vert-de-gris. »

Cette passion pour les matières et les effets de peinture se retrouve dans le tableau intitulé Dans le respect des traditions, titre de l’exposition choisi par Arroyo, où le même paysage est traité par quatre « à la manière de » : à la manière d’une peinture de nature du XIXe siècle, disons à la « Corot », puis à la façon du pointillisme ou encore du post-cubisme hollandais, etc. Ce « divertissement » indique que la peinture peut tout. Elle peut nous convaincre de la vérité d’un sujet ou d’un point de vue mais elle n’est aussi qu’un jeu avec les styles, les « manières », avec ce plaisir de leurrer et de faire expérimenter « le peu de réalité » du monde.

Figure Paysage Marine
Pionnier de la figuration narrative, Eduardo Arroyo s’interroge sur le récit pictural. Ses toiles traitent de la vie, du monde et de toutes les images qu’il capte au quotidien. Il bouscule les schémas habituels et il joue avec les notions d’histoires, de contes, de paraboles. Avec toujours cette touche d'incongruité propre à l'artiste, l’huile sur toile La Guerra de dos mundos, dans l'esprit des comics des années 1960, oppose un Mickey enchaîné, symbolisant la jeune Amérique, à un âne porteur des cultures ancestrales de la Méditerranée. Pour Arroyo, la peinture est la prière du peintre. Ici encore, il nous fait part de sa lutte avec l’ange. Le tryptique Yanek Walzak, consacré à l’ex champion de France welter qui combattit notamment Cerdan, Dauthuille, Ray Sugar Robinson, évoque la danse du boxeur, sa position de combat, les mains levées, et la tristesse des gants raccrochés.

Winston Churchill et la reine d’Angleterre
Thème récurrent dans son œuvre depuis les années 1960, Eduardo Arroyo fait du portrait, souvent dressé à charge, un genre privilégié de ses images moqueuses et critiques. Ses tableaux sont peuplés de personnages familiers comme de leurs doubles. L’artiste espagnol y détourne le genre classique de l’autoportrait et du portrait en figurant de « vrais » sujets affublés de « faux » traits, de « faux » visages. Leur préférant des « masques » dévoilant l’intériorité des personnages aux représentations psychologiques ou historiques. Personnages fictifs ou réels, anonymes ou célèbres, Eduardo Arroyo orchestre un véritable jeu de rôles, de masques et de travestissements. On retrouve en effet dans ses mises en scène théâtrales et métaphoriques, bon nombre de personnages historiques (la reine d’Angleterre, Cléopâtre, Bonaparte...), des hommes politiques comme Winston Churchill représenté assis de dos dont on reconnaît l’imposante stature mais en position de peintre sur son pliant, accompagné par ailleurs de céramiques évoquant les ingrédients et la palette de l’artiste Winston Churchill. Pour attaquer les « grotesques » de notre temps, il se délecte d’une mise en scène du vide comme dans Le Meilleur cheval du monde, portrait équestre d'Elisabeth II présentée anonyme, le visage « dévoré » par la peinture.

Saint Bernard et Pont d’Arcole
L’artiste espagnol désacralise également certaines grandes personnalités. Il les figure de façon totalement libre offrant ainsi des interprétations comme pour Napoléon Bonaparte ou pour la série Pont d’Arcole qui propose un double sens. Napoléon Bonaparte, le vainqueur du pont d'Arcole représenté héroïquement dans tous les manuels d'Histoire est caricaturé par Arroyo grâce à des formes anamorphosées. Il y a ici l’image stéréotypée du vainqueur ainsi que l’évocation d’un jeune républicain de 20 ans abattu au cours des Trois Glorieuses alors qu’il défendait le drapeau tricolore de la Révolution.

Toute l’œuvre d’Eduardo
Arroyo pourrait être comprise à l’aide de l’une de ses affirmations : « Je n’ai jamais douté de la force picturale. »
C’est cette force qui détourna Eduardo Arroyo de l’écriture littéraire pour l’écriture picturale. Le pouvoir des formes est pour lui véritablement signifiant. Il est construit par la puissance des jeux de l’analogie, de l’ellipse, de l’insistance réaliste, par l’ironie des rapprochements et des oppositions. Les formes contiennent pour lui une puissance subversive. Il est cependant intéressant de rappeler qu’Eduardo Arroyo n’a jamais renoncé à l’écriture littéraire. « Je ne suis que peintre, mais j’ai toujours eu une folie littéraire. Je voulais être écrivain. J’étais très influencé par la littérature américaine. Je suis un peintre qui fait beaucoup d’autres choses autour. J’écris dans mes moments perdus, en voyage... ». Il est aussi l’auteur d’une magnifique biographie de Panama Al Brown (1982, rééditée en 1998 chez Grasset), ou de la pièce de théâtre Bantam (1986) - qui sont autant d’expressions de son intérêt pour la boxe, de mémoires et d’essais comme Sardines à l’huile (1993, Edition Plon), ou Dans des cimetières sans gloire : Goya, Benjamin et Byron-Boxeur (2004, Grasset), Minuta de un testamento (2009, Editions Taurus de Madrid et Circulo de Lectores de Barcelone) traduit en français chez Grasset l’année suivante.

En janvier 2017, la galerie Virgile Legrand, Paris, a publié Montaigne en nous, un texte de Pierre Nora, enrichi d'œuvres originales d'Eduardo Arroyo.

L’ouvrage Eduardo Arroyo Dans le respect des traditions qui accompagne l’exposition est édité par Flammarion et comprend des textes d’Eduardo Arroyo, Daniel Rondeau, Fabienne Di Rocco, Olivier Kaeppelin et Adrien Maeght. Il permet de comprendre l’œuvre du peintre à travers ses choix esthétiques politiques, épiques, son exil, son esprit corrosif, sa passion pour la littérature. Ce catalogue est, à la fois, une biographie intellectuelle et un guide indispensable qui parcourt l’œuvre depuis le foisonnement des couleurs et des styles jusqu’à l’emploi de l’écriture et de la littérature.
En même temps que le catalogue, Flammarion édite la traduction de Bambalinas (Galaxia Gutenberg, Barcelone, 2016), une sorte de biographie masquée, sous le titre Deux balles de tennis.

À la même date les éditions Galilée publient Eduardo Arroyo et le Paradis des mouches, une biographie rédigée par Fabienne Di Rocco, accompagnée de plus de 40 dessins originaux d'Eduardo Arroyo.

Le programme complet ici

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