CAMILLE PISSARRO L'ATELIER DE LA MODERNITÉ

3 septembre 2021 - 23 janvier 2022

KUNSTMUSEUM, BÂLE

 Commissaires : Christophe Duvivier, Josef Helfenstein

 amille Pissarro (1830-1903) compte parmi les artistes majeurs dans la France du XIXe siècle. Figure centrale de l’impressionnisme, il marqua ce mouvement de manière décisive. Camille Pissarro. L’atelier de la modernité au Kunstmuseum Basel est la première rétrospective consacrée à cet artiste en Suisse depuis plus de 60 ans. Elle offre à la fois un vaste aperçu de l’œuvre de Pissarro et accorde une attention particulière à sa pratique collaborative et à son influence déterminante sur l’art moderne. Elle rend hommage à un artiste parfois relégué au second plan lorsqu’on évoque les grandes figures de l’art du XIXe siècle. Des artistes de différentes générations, hommes et femmes
 Femme au Fichu vert - Paris, musée d'Orsay, Photo © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) - © Franck Raux

 

 

« (…) nous sortons peut-être tous de Pissarro. Il a eu la veine de naître aux Antilles, là, il a appris le dessin sans maître. Il m’a raconté tout ça. En 65, déjà il éliminait le noir, le bitume, la terre de Sienne et les ocres. C’est un fait. "Ne peins jamais qu’avec les trois couleurs primaires et leurs dérivés immédiats" me disait-il. C’est lui, oui, le premier impressionniste

Paul Cézanne, « Conversations avec Cézanne »*

Camille Pissarro (1830-1903) compte parmi les artistes majeurs dans la France du XIXe siècle. Figure centrale de l’impressionnisme, il marqua ce mouvement de manière décisive. Camille Pissarro. L’atelier de la modernité au Kunstmuseum Basel est la première rétrospective consacrée à cet artiste en Suisse depuis plus de 60 ans. Elle offre à la fois un vaste aperçu de l’œuvre de Pissarro et accorde une attention particulière à sa pratique collaborative et à son influence déterminante sur l’art moderne. Elle rend hommage à un artiste parfois relégué au second plan lorsqu’on évoque les grandes figures de l’art du XIXe siècle. Des artistes de différentes générations, hommes et femmes confondus, parmi lesquels plusieurs devinrent des figures de proue de la modernité au tournant des XIXe et XXe siècles, suivirent ses conseils d’ami et de mentor. L’exposition met en lumière les échanges intenses de ces artistes avec Pissarro et situe son œuvre foisonnante dans le contexte historique à l’aide d’œuvres de Claude Monet, Paul Cézanne, Paul Gauguin, Georges Seurat, Paul Signac, Mary Cassatt et d’autres. Ainsi, tout en embrassant la naissance de l’art moderne, cette exposition raconte une histoire au-delà du courant dominant de l’histoire de l’art.

Les expositions consacrées à l’impressionnisme ont une longue tradition au Kunstmuseum Basel. À ce titre, Pissarro revêt une importance particulière pour le musée, sa collection abritant pas moins de huit peintures, dix dessins et aquarelles ainsi que dix travaux d’art graphique. Son œuvre Un coin de l’Hermitage, Pontoise de 1878 fut le premier tableau impressionniste à entrer dans la Öffentliche Kunstsammlung Basel, la collection publique bâloise. Acquise en 1912 à l’initiative de trois jeunes artistes, cette peinture posa les fondements de la collection impressionniste. Au printemps de cette année, le Kunstmuseum Basel s’est félicité de la donation de La Maison Rondest, l’Hermitage, Pontoise (1875) de Pissarro par une collection particulière suisse.

De prestigieux prêts

L’exposition Camille Pissarro. L’atelier de la modernité réunit quelque 180 œuvres de collections suisses et internationales parmi lesquelles le Museum Folkwang d’Essen, le Musée d’Orsay de Paris, The Museum of Modern Art de New York, The Metropolitan Museum of Art de New York, la National Gallery of Ireland, The National Gallery de Londres, la Kunsthalle Mannheim, le Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid, la Tate Modern de Londres, The British Museum de Londres, le Dallas Museum of Art, la National Gallery of Art de Washington, le Musée du Petit Palais de Genève, le Ashmolean Museum d’Oxford, les Musées de Pontoise, The Art Institute of Chicago, la Staatsgalerie Stuttgart, le Kunstmuseum Bern et le Kunst Museum Winterthur.

Politique, société et marché de l’art

La posture artistique de Pissarro est plus complexe que celle de ses amis. Son approche se distingue clairement des sujets de Claude Monet, d’Auguste Renoir ou d’Edgar Degas appréciés du public. Ainsi, Pissarro fut le seul impressionniste s’attachant à représenter la vie simple, en particulier celle des gens de la campagne. Ses peintures montrent des paysages cultivés par l’homme, elles sont une plongée dans le monde paysan et agricole, bien loin de l’existence de la bourgeoisie aisée.

À la différence de Monet ou Renoir, Pissarro était réticent à toute esthétisation. Cela explique sans doute le fait qu’il subit un échec commercial et eut des problèmes financiers jusqu’à un âge avancé. Pissarro a joué un rôle moteur lors de la création d’une association libre et coopérative qui réunissait des hommes et des femmes souhaitant exposer et vendre eux-mêmes leurs œuvres. Cette Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs entrera plus tard dans l’histoire de l’art sous le nom de groupe des impressionnistes.

Dans les années 1880, l’impressionnisme, longtemps sujet à controverse, commence à recueillir davantage l’adhésion du public, à entrer dans les collections particulières et publiques, et à rapporter de l’argent aux artistes. C’est précisément à ce moment-là que Pissarro se consacre à une autre révolution picturale – le néo-impressionnisme – et manifeste de nouveau une volonté ferme en faveur du progrès artistique. L’esthétique radicale et la méthode scientifique du néo-impressionnisme défendues notamment par Georges Seurat, Paul Signac, Louis Hayet et le fils aîné de Pissarro, Lucien, représentent pour l’artiste une évolution logique de l’impressionnisme. Même s’il revient à une touche plus libre dans les années 1890, il reste fidèle à ses convictions : le bon art contient un noyau révolutionnaire et affiche une foi inébranlable en la modernité.

Le peintre ne fait pas mystère de son intérêt pour les écrits anarchistes et de son engagement en faveur des publications anarchistes. Comme nombre de ses contemporains, dont les néo-impressionnistes, Pissarro est convaincu que la répartition inégale des ressources (en particulier dans des grandes villes comme Paris ou Londres) mènera à un renversement sociétal à plus ou moins long terme. À la différence de certains de ses camarades politiques, Pissarro croit cependant en une révolution pacifique et non violente.

La manière dont ses convictions politiques transparaissent dans son art suscite l’intérêt depuis longtemps d’une histoire de l’art socio-historique. Bien que Pissarro ne considérât pas ses tableaux comme des professions de foi politiques, sa technique picturale révolutionnaire, son aspiration à l’autonomie et à la liberté en toute circonstance, de même que sa volonté d’emprunter de nouvelles voies envers et contre tous, associent son art à l’idée centrale de l’anarchisme compris comme une libéralisation de l’individu et de ses aspirations.

Une soif d’expérimentation

Le parcours de Pissarro est marqué par les événements et les dynamiques historiques qui ont jalonné le XIXe siècle. Il incarnait certains des conflits les plus complexes de son temps et considérait qu’il était du devoir des artistes de mener une réflexion critique tant sur l’esprit de l’époque que sur le contexte politique, social et économique. La manière dont il abordait ces réalités en fait aujourd’hui un artiste des plus actuels.

Du fait de ses origines, Pissarro occupait une position marginale parmi les artistes français qu’il fréquenta activement tout au long de sa vie. Né en 1830 de parents juifs sur l’île Saint-Thomas dans les Caraïbes, alors colonie danoise, il est le seul impressionniste à grandir sur deux continents. Trilingue (français, anglais et espagnol), il est sensibilisé à la diversité ethnique et culturelle dès son enfance. Son identité, sa conception de la peinture et sa vision du monde étaient à la fois le fruit d’une culture aux origines complexes, et donc par essence anti-nationaliste, et d’une volonté constante d’échanger avec d’autres créateurs.

Pissarro éprouvait une curiosité singulière pour les expérimentations artistiques et les nouvelles formes de représentation. Dans l’entourage de précurseurs à l’instar de Camille Corot et Gustave Courbet, il recherchera toujours à dialoguer avec ceux qui, comme lui, nourrissaient une vision de l’art indépendant de l’Académie.

Un don pour l’amitié

Comme nul autre, Pissarro était disponible pour entretenir ses amitiés avec les peintres, valoriser leur potentiel et apprendre d’eux en retour. Il possédait ce qu’on pourrait appeler un « don » pour l’amitié. Le respect de la singularité artistique de chaque personnalité en constituait le fondement. Pissarro éprouvait de la méfiance envers les contraintes hiérarchiques et s’opposait par principe à tout dogmatisme. Pour lui, la collaboration artistique n’avait rien à voir avec l’ancienneté, mais reposait sur la base d’un échange sur un pied d’égalité. L’exposition révèle ses différentes relations avec les protagonistes de l’époque et montre ainsi une image bien différente  de celle de l’artiste-génie travaillant à l’écart du monde extérieur.

Catalogue

L’abondant catalogue de l’exposition avec des contributions de Timothy J. Clark, André Dombrowski, Claire Durand-Ruel, Christophe Duvivier, Sophie Eichner, Colin Harrison, Josef Helfenstein, Jelle Imkampe, David Misteli, Olga Osadtschy, Joachim Pissarro, Esther Rapoport, Valérie Sueur-Hermel et Kerstin Thomas paraît aux éditions Prestel Verlag.


Repères biographiques

Camille Pissarro naît en 1830 de parents juifs sur l’île antillaise de Saint-Thomas alors sous domination danoise. En 1855, il s’installe à Paris où il travaille dans l’entourage des pré-impressionnistes. Il renonce à entrer dans l’entreprise de son père et à suivre une formation académique comme l’exigent ses parents. À la place, il privilégie l’atmosphère plus libre de l’Académie Suisse où il rencontre Claude Monet, Paul Cézanne et Armand Guillaumin, ses futurs compagnons de route. En 1861, il fait la connaissance de Julie Vellay qui travaille comme gouvernante chez ses parents. Malgré des réticences familiales, leur relation s’inscrit dans la durée et le couple donnera naissance à huit enfants.

Au cours des années précédant la guerre franco-allemande de 1870, Pissarro marque l’évolution de l’esthétique impressionniste. Puis le cercle des impressionnistes lui doit sa forme d’organisation indépendante caractéristique. Entre 1872 et 1886, il réunit et anime ce mouvement révolutionnaire ; il est le seul membre à participer à l’ensemble des huit expositions du groupe. En 1886, Pissarro joue également un rôle moteur dans le renouveau et la dissolution du cercle en contribuant au développement d’une nouvelle génération : les néo-impressionnistes.

La disposition de Pissarro à explorer sans cesse de nouvelles voies artistiques l’éloigne de perspectives financières favorables jusqu’à ses soixante-cinq ans. Tandis que Claude Monet connaît une prospérité croissante à partir de la moitié des années 1880, Pissarro s’en voit privé jusqu’au milieu des années 90. Dans le même temps, il fait face aux charges familiales toujours plus nombreuses et les soucis financiers seront très longtemps son quotidien.

Camille Pissarro passe les vingt dernières années de son existence à Éragny-sur-Epte, un village normand proche de Gisors au Nord-Est de Giverny entre Paris et Rouen, où sa famille réside depuis 1884. Il quitte alors régulièrement son atelier d’Éragny-sur-Epte pour séjourner et travailler dans les grands ports normands (Rouen, Le Havre et Dieppe), passer l’hiver à Paris ou rejoindre ses fils à Londres. La dernière décennie de son œuvre sera ainsi marquée par de grandes séries urbaines et portuaires qui renouvèlent ses motifs et font la synthèse de toutes ses recherches antérieures. Il meurt en 1903 entouré de ses proches.

Aujourd’hui, les œuvres de Pissarro sont représentées au sein des plus importantes collections du monde. Récemment, de grandes expositions ont été organisées au Musée d’Orsay (2005), au Museum of Modern Art de New York (2005), au Fine Arts Museum of San Francisco et au Sterling and Francine Clark Institute, Massachusetts (2011/2012), au Museo Thyssen-Bornemisza de Madrid (2013) ainsi qu’une double exposition à Paris, au Musée Marmottan-Monet et au Musée du Luxembourg (2017).

L’exposition bénéficie du soutien de :

Credit Suisse (Schweiz) AG                                                                    Bertha Hess-Cohn Stiftung
Office fédéral de la culture (OFC)                                                 Isaac Dreyfus-Bernheim Stiftung
Rita & Christoph Gloor                                                                                         Bérengère Primat
Famille Fahrenberg                                                                                        Trafina Privatbank AG
HEIVISCH                                                                                                     Bienfaiteurs anonymes
Stiftung für das Kunstmuseum Basel

 

 

* Propos rapportés par Joachim Gasquet initialement dans «Cézanne», Paris, 1921, P.M. Moran (éd.), Paris, Macula, 1978, p.121