La Question de Dieu...

DIEU, vaste sujet !... Existe-t-il au moins ? Et puis aujourd’hui vaut-il la peine d’en parler ? Et si l’on en parle, de quoi parle-t-on au juste ? Voilà ce qu’on entend très souvent, au hasard d’une conversation, quand Dieu fait soudain et inopinément « questions ». De bon- nes questions, sans doute, qui méritent qu’on s’y arrête, et tel est le propos général de cet Essai : y répondre au fur et à mesure et comme elles se présentent ; y répondre du mieux possible, en essayant d’aller au-delà de ce qui n’est souvent que clichés. À qui notre propos s’adresse-t-il ? À ceux qui abordent ainsi la Question de Dieu, qu’ils soient croyants ou non. Car chacun s’interroge sur Dieu à sa manière, et s’interroger sur son existence est une façon de faire parmi beaucoup d’autres. Au demeurant, la question d’existence reste incontour- nable, même si elle n’est pas nécessairement première.


DIEU, vaste sujet !... Existe-t-il au moins ? Et puis aujourd’hui vaut-il la peine d’en parler ? Et si l’on en parle, de quoi parle-t-on au juste ? Voilà ce qu’on entend très souvent, au hasard d’une conversation, quand Dieu fait soudain et inopinément « questions ». De bon- nes questions, sans doute, qui méritent qu’on s’y arrête, et tel est le propos général de cet Essai : y répondre au fur et à mesure et comme elles se présentent ; y répondre du mieux possible, en essayant d’aller au-delà de ce qui n’est souvent que clichés. À qui notre propos s’adresse-t-il ? À ceux qui abordent ainsi la Question de Dieu, qu’ils soient croyants ou non. Car chacun s’interroge sur Dieu à sa manière, et s’interroger sur son existence est une façon de faire parmi beaucoup d’autres. Au demeurant, la question d’existence reste incontour- nable, même si elle n’est pas nécessairement première.

Si Dieu est d’actualité, aujourd’hui ? Mais on n’en a jamais autant parlé sur la place publique depuis que, à ce qu’on raconte, ses affaires vont mal ! (Du moins en France ; car, dans le monde, la première re- ligion en nombre, le christianisme, est en pleine expansion, avec l’islam, la seconde.) Aujourd’hui, à la radio par exemple, il semblerait même que les gens affirment davantage leur croyance, parfois sans que le thème de l’entretien l’ait nécessité. Dieu n’est pas encore une curiosité du passé, s’il reste toujours vrai que le mot seul prête déjà à discussion et qu’il faut chaque fois préciser de quel Dieu l’existence fait problème.

Les médias ne sont toutefois qu’une caisse de résonance, parce que la véritable actualité de Dieu réside d’abord et toujours dans les personnes. Dieu est d’actualité, aujourd’hui comme hier, pour chacun, ici et maintenant, – simplement parce que c’est aujourd’hui que je crois ou ne crois pas.
Une démonstration de l’existence de Dieu est-elle utile pour un croyant ? Un catholique répondrait peut-être que c’est nécessaire et que c’est possible. On peut poser la question autrement : Comment démontrer Dieu pour comprendre sa foi et faire ainsi la différence entre elle et celle des autres, sinon entre la foi et la crédulité ?

Quoi qu’il en soit, le thème « Dieu » est traditionnellement envisagé en deux problématiques, celle de son existence et celle de sa nature. Dans cet Ouvrage, nous ne dérogerons pas à la tradition, et ce sera le plan général de notre propos.

La problématique de l’existence démontrée est toutefois loin d’être la seule façon d’appréhender la Question de Dieu. En fait, la Question, c’est « Dieu en questions », en de nombreuses questions, – un écheveau de questions et de réponses, elles-mêmes constituées aussitôt en d’autres questions de plus en plus sensibles. Admettons que la Question de Dieu soit la réponse à toutes nos interrogations. Question étrange et unique, nous en convenons, puisqu’elle serait réponse définitive, elle, non remise en question, faute d’autre ques- tion. Alors la Question de Dieu devient celle-ci : Y a-t-il une réponse définitive à tout ce qui compte vraiment ?

Question : Existe-t-il, pour la raison humaine, un système « cohérent », fermé, c’est-à-dire ne laissant rien en dehors, – un système où « Dieu » est affirmé ?

Réponse : affirmation, c’est-à-dire la Question énoncée exhaus- tivement et univoquement, mais sans le point d’interrogation : Oui, un tel système existe, un Dieu qui répond parfaitement à toutes nos attentes. Une tautologie ? Oui, mais pour la raison pure seulement. Or, l’homme n’est pas que raison.

Cela dit, n’est-il pas étrange de prétendre centrer son propos sur le thème de l’existence de Dieu et, dans le même temps, insister sur d’autres cheminements théologiques possibles tout aussi valables, et, pour commencer, de mettre en exergue à son Introduction la problématique de l’immortalité de l’âme ? Nullement. L’une des thèses que nous défendrons est que nous ne pouvons prétendre traiter sérieusement de l’existence de Dieu sans jamais aborder des thèmes essentiels comme celui du bien et du mal, – du mal que nous subissons, c’est-à-dire de souffrance et la mort, sans oublier le mal dont nous sommes la cause volontaire ou involontaire, c’est-à-dire la faute ou le péché. La Question de Dieu ne peut être qu’exhaustivité.

L’idée du mal, dira-t-on, est diamétralement opposée à celle de Dieu. En fait, elle en est l’envers et par là renvoie directement à la Question de Dieu.

Dans Si c’est un homme, Primo Levi rapporte un souvenir doulou- reux : « Et justement, poussé par la soif, j’avise un beau glaçon sur l’appui extérieur d’une fenêtre. J’ouvre, et n’ai pas plutôt détaché le glaçon, qu’un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas de- hors vient à moi et me l’arrache brutalement. « Warum ? » dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein Warum » (ici il n’y a pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l’intérieur. » Si ce n’est pas l’enfer, cela y ressemble et les camps d’extermination nous en donnent le goût. (On a dit fort justement de ces camps qu’ils représentaient le « mal absolu ».) Là, il n’y a plus de Dieu, plus de réponse à attendre, de nulle part. L’homme est présenté en pleine déréliction, seul, face à lui-même. Sans céder au dolorisme, Jean Rostand, amoureux de la Science, va dans le même sens quand il écrit : « Pour nous, il n’y a rien à comprendre, et, hors de nous, il n’y a personne pour comprendre. » La Question du mal signifierait-elle qu’il n’y a de réponse à aucune question, seulement une kyrielle sans fin d’interrogations ?

Du mal à la mort et à la question de l’immortalité de l’âme, il n’y a guère loin. L’envers oblige à penser l’endroit, le mal à Dieu, la mort à la vie. Le sentiment de la mort est ce qui nous empêche de comprendre la vie éternelle et, à la fois, ce qui nous convainc que nous existons bel et bien, faisant entrevoir une différence entre exister et vivre. Jean Rostand le laisse entendre quand il écrit : « Il n’y a pas de noir dans la nature, disent les peintres. Dans la pensée humaine, il y a la mort. » Pour ajouter, – ce qui en dit long : « Mes illogismes me rassurent : je suis encore en vie. »

Dieu existe-t-il ? Quelles existences peut-on sérieusement nier sans dommage ? La sienne ? On cite des cas pathologiques où le patient, quand il peut s’exprimer, se plaint douloureusement de n’avoir pas de « moi ». Il existe et c’est comme s’il n’était pas ! Quant à ceux qui professent que le monde n’existe pas, l’instinct de conservation prouve sans cesse qu’ils ne parlent pas sérieusement, lorsque, sans réfléchir, ils évitent d’un saut le danger inopiné. La Question de Dieu s’énonce alors : Peut-on nier sans dommage l’existence de Dieu ?

Au bout du compte, la Question de Dieu oscille entre : Dieu existe- t-il ? et : Peut-on vivre durablement sans Dieu ? À cela, on ne peut répondre que pour soi-même.

Nietzsche parle d’un « gai savoir ». Jean Rostand, lui, est très clair en ce qui le concerne : « J’ai dit non. J’ai dit non à Dieu, en affirmant les choses un peu brutalement, mais à chaque instant la question re- vient. Je me dis : est-ce possible [...] Je suis obsédé, disons le mot, sinon par Dieu, obsédé du moins par le non-Dieu. [...] Ce n’est pas un athéisme serein, ni jubilant, ni content. Ah non ! Il n’est pas satisfaisant ni apaisé ; plutôt à vif : la plaie se rouvre sans cesse. »

                                                                                          
Oleg Arkhipoff

 

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