Tomber amoureux est une expérience...

Tomber amoureux est une expérience merveilleuse, aussi intense que celle de se sentir aimé. On s’offre à l’Autre. On lui offre des cadeaux.

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Tomber amoureux est une expérience merveilleuse, aussi intense que celle de se sentir aimé. On s’offre à l’Autre. On lui offre des cadeaux.


On aspire à posséder l’Autre et être possédé par lui (elle) (Je suis à toi, tu es à moi, je te veux, je me donne à toi, tu m’appartiens, garde-moi, ne m’oublie pas, pense à moi, je ne pense qu’à toi.) Ce qui est extraordinaire, c’est faire d’un étranger un être familier car en rencontrant l’aimé, nous rencontrons l’altérité. Par amour de sa voix, ses traits, son odeur, ses gestes, son toucher, son esprit, ses connaissances, son unicité (c’est lui et pas un autre), ce qui n’est pas soi le devient, comme si nous faisions de l’Autre une partie de nous-mêmes. Ce besoin d’emprise réciproque nous paraît fou, et il le serait s’il perdurait. Mais c’est un sentiment d’une telle intensité que nous sommes convaincus que la vie ne vaudrait rien sans l’avoir connu au moins une fois. La survenue du sentiment amoureux a quelque chose de magique. Certes, le choix du partenaire, l’élu, se fait a priori sur des perceptions, des valeurs, des goûts, des projets, et le désir sexuel y tient une grande place. Mais, fort heureusement, il conserve sa part de mystère, malgré toutes les explications que l’on peut tenter d’apporter, surtout celles absurdement déterministes. Il n’y a rien de scientifique dans cette affaire (les phéromones n’expliquent pas tout, loin de là !). Einstein disait d’ailleurs avec humour et sagesse : « La gravitation ne peut quand même pas être tenue responsable du fait que les gens tombent amoureux ! »

En revanche, de cette énigme, chacun va s’inventer un scénario propre. À chacun sa théorie, à chacun son roman (« Quand j’ai vu ses yeux, j’étais comme hypnotisé », « Je l’ai sorti du ruisseau », « Il m’a cherchée partout », « Sa voix m’a enveloppée »...). Ce roman nous parle de notre histoire, dont la part inconsciente s’est immiscée dans notre choix amoureux. Ce que nous percevons chez l’Autre sans nous en rendre compte, c’est un signifiant qui vient combler un manque, celui qui fait notre incomplétude d’être humain (cf. le mythe d’Aristophane dans Le Banquet de Platon). Cependant, au-delà de ce qui nous est visible, les qualités et les particularités de l’élu entrent en résonance avec des représentations internes, plutôt inconscientes, issues de notre enfance et notre adolescence. Celui (ou celle) que nous aimons est alors paré, dans notre façon de le (ou la) regarder, de propriétés qu’il (ou elle) possède dans notre fantasme, notre illusion, notre rêve. Christian Bobin le décrit magnifiquement : « J’étais tombé amoureux de Louise Amour avant de la connaître [...] Il n’y avait pas de photographie de Louise Amour dans ce journal, mais l’éclat discrètement ensauvagé de son nom me fascina plus qu’une image6. » Ne dit-on pas que l’amour est aveugle ? Il ne voit que ce qu’il croit ou veut voir. Et ce qu’il voit, c’est un idéal, pour partie inconscient. Cupidon atteint notre cœur d’une flèche inconnue de nous, et nous ignorons quelle corde a vibré. Nous ignorons ce que nous avons reconnu inconsciemment en l’Autre comme étant ce que nous attendions. Stendhal évoquait la cristallisation, cette vision déformée à travers cette façon qu’ont les amoureux de ne voir le monde que par le prisme de leur objet d’amour idéalisé que l’on pourrait comparer à l’hypnotiseur et l’hypnotisé. C’est un ravissement, une captation, un rapt inconscient, voire, pour certains, un ensorcellement.


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Aline vient de quitter a Adrien au bout de dix ans de relation. Ils s’étaient connus très jeunes, au collège, avaient été très amoureux, et depuis, leur lien « allait de soi ». cependant, à l’âge des choix, le pas à franchir pour partager le même appartement était difficile, les résistances étant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. cet obstacle à la construction d’un foyer interrogea Aine sur son couple et l’insatisfaction qu’elle en ressentait. L’illusion ne fonctionnait plus. elle réalisait que sa jeunesse l’avait égarée dans un schéma relationnel avec Adrien bien trop proche de celui duquel elle avait eu tant de mal à se dégager vis-à-vis de ses liens familiaux. L’emprise s’était juste déplacée de personne, mais le mécanisme était toujours le même. en effet, à mesure qu’Aline apprenait à se protéger de la « folie » familiale, elle découvrait le lien ambigu qui la reliait à Adrien, comme une réplique de ce à quoi justement elle voulait échapper dans une répétition mortifère...



Catherine Audibert 

 

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