Sexualité / Homme, femmes : apprendre à se connaitre

La sexualité féminine a subi au cours des siècles une inhibition féroce. La culture et la religion ont voulu la réduire à néant en ne conservant d’elle que le strict nécessaire, la maternité. Malgré cet holocauste, elle est toujours vivante et renaît actuellement. Cette réémergence prouve ce que l’on savait déjà : la sexualité est une énergie trop importante pour qu’on puisse l’anéantir. Le refoulement reste partiel et le retour du refoulé inévitable.
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La sexualité féminine a subi au cours des siècles une inhibition féroce. La culture et la religion ont voulu la réduire à néant en ne conservant d’elle que le strict nécessaire, la maternité. Malgré cet holocauste, elle est toujours vivante et renaît actuellement. Cette réémergence prouve ce que l’on savait déjà : la sexualité est une énergie trop importante pour qu’on puisse l’anéantir. Le refoulement reste partiel et le retour du refoulé inévitable.

Par ailleurs, on peut aller plus loin et penser que c’est la puissance même de la sexualité féminine qui a pu être la cause de son malheur. Trop intense, sans doute parais- sait-elle menaçante pour la société, en particulier pour les hommes lorsque la communauté était organisée en patriarcat. La renaissance de la sexualité féminine pousse notre société à se réorganiser. Mais actuellement les dis- cours sont falsifiés. Notre société prétend être sexuellement libérée, mais pour qui ? Elle propose aux femmes des modèles prêts à porter, simplistes et trop parfaits. Le fossé qui sépare cette pseudo-normalité de la réalité ne réussit qu’à générer de l’angoisse sans soutenir réelle- ment les femmes ni les mettre sur la bonne voie. En effet, proposer des recettes ne permet pas aux femmes de défi- nir leur sexualité ni de découvrir qui elles sont. Aussi risquent-elles aujourd’hui de passer d’une morale dominante à des modèles imposés sans atteindre le seul objectif valable : se définir et s’autonomiser.

La féminité toujours dévalorisée
Mais revenons au premier écueil sur lequel butent l’émergence et l’épanouissement du désir féminin : le poids massif de l’inhibition morale. Comment effacer d’un coup d’éponge des siècles d’interdits et de répression ? Cette entrave prend de multiples visages. Dès l’adolescence (âge critique par excellence où se finalise l’inscription dans une identité sexuelle), les femmes manquent de repères, l’identification à un modèle maternel étant souvent impossible ou très négative. Contraire- ment aux garçons, très fiers de leur musculature naissante, les filles dévalorisent des changements corporels parfois assimilés à une prise de poids ou à une perte de liberté physique au regard de l’insouciance corporelle de leur enfance. Quant à l’émergence de la pulsion sexuelle, elle n’est pas toujours bien accueillie par la famille. Le refoulement et la culpabilité sont fréquents.

Les filles sont très souvent encouragées à demeurer dans une position sexuelle infantile. Elles vont privilégier le romantisme, un habillage intéressant de la pulsion sexuelle mais qui en méconnaît l’existence et la réalité. Surprotégées, les filles cherchent un compagnon prolongeant le cocon familial en leur prodiguant tendresse et câlins. L’expression d’un désir masculin adulte plus brutal, est alors vécue comme un danger. Le sexe apparaissant comme risqué et les femmes comme des victimes potentielles, elles adopteront une position défensive. La période qui entoure l’adolescence est riche en questionnements. Alors, beaucoup de jeunes femmes s’interrogent sur leur sexualité. Elles cherchent à comprendre qui elles sont et ce qu’elles veulent devenir. La période des premières amours conduit bon nombre d’entre elles à réfléchir : « Pourquoi cette relation ne se passe-t-elle pas comme je l’avais imaginée ? Pourquoi mon désir est-il différent de celui de mon compagnon ? Pourquoi a-t-il envie de relations sexuelles alors que moi je me contenterais bien de câlins ? »

Le deuxième écueil pour les femmes survient lorsqu’elles s’installent en couple sur le long terme. Que se passe-t-il alors chez toutes celles qui n’éprouvent plus de désir sexuel ? La plupart ne s’en plaignent pas vraiment, même si au fond d’elles-mêmes, elles sentent bien que quelque chose s’est perdu. Cependant elles réalisent que le couple est en danger. En effet, actuellement dans notre société, l’épanouissement sexuel paraît obligatoire à la réussite de la vie à deux. Cette exigence difficile à satisfaire conduit à bien des échecs. Pourquoi les hommes conservent-ils leur désir malgré les contraintes de la vie commune, alors qu’il disparaît souvent chez leur compagne ? Nous y répondrons dans ce livre...

Cette difficulté surmontée (ou pas), très vite s’en pré- sente une autre : la naissance des enfants. L’accouchement et l’irruption d’une troisième personne au sein du couple constituent un cataclysme. Le corps est bouleversé et les rapports entre l’homme et la femme modifiés. D’amants, ils deviennent parents. La nouvelle mère est obligatoirement confrontée aux représentations sociales de la maternité et à l’image que lui a renvoyée sa propre mère. Elle doit patiemment, durant les mois qui suivent la naissance de son enfant, reconquérir sa sexualité avec l’aide de son compagnon. Le désir féminin est soumis à rude épreuve et les échecs sont fréquents. L’attitude de l’homme est, en l’occurrence, fondamentale. Cependant, comme sa compagne, il souffre d’un manque de repères. La société a changé. Difficile pour lui de se référer à ses propres parents...

Mais d’autres difficultés attendent encore les femmes. Le vieillissement met en échec la séduction qui se confond avec la jeunesse. Là encore, les modèles sociaux imposent aux femmes des exigences contradictoires et impossibles à suivre : rester éternellement jeune et séduisante ou bien renoncer brutalement à sa sexualité. La ménopause, cette évolution naturelle, renvoie encore une fois la femme à son corps biologique si complexe.

Les femmes ne se connaissent pas
À travers ces vies de femmes surgissent des thèmes récurrents. Fréquemment, la féminité n’est pas valorisée.

Beaucoup de femmes rêvent encore d’être des hommes tandis que l’inverse est très rare. L’objectif des premières féministes était l’égalité. Il convient de saluer ce nécessaire combat d’avant-garde qui présentait néanmoins l’inconvénient de vouloir abolir les différences, de passer par le gommage du féminin. Heureusement, le mouve- ment s’est affiné depuis. Les femmes ont compris leurs erreurs. Pourtant, ces maladresses montrent qu’elles ne sont pas assez fières de leur sexe et que le discours social est encore très timide sur la féminité.

Les femmes ne se connaissent pas. Elles sont trop à distance de leur corps, de leur sexualité. Elles restent passivement à attendre que tout leur soit révélé. Paradoxale- ment, elles pensent que cela viendra d’un homme, alors que lui, et pour cause, n’y comprend pas grand-chose. Les conséquences de cette passivité sont souvent catastrophiques. La sexualité masculine, très différente, n’est pas adaptée aux caractéristiques féminines. Lorsqu’elle s’impose, elle ne fait au mieux « aucun effet ». Au pire, elle est vécue comme une violence devant laquelle on se ferme. Cette position passive rejoint l’idée d’un infantilisme ou d’une immaturité dans laquelle les femmes ont été trop longtemps maintenues.

La pratique auto-érotique est plus rare chez les jeunes filles que chez les garçons. Elles méconnaissent leur corps et l’énorme potentiel de leur sensualité. En ne s’autorisant que des rêveries romantiques, en refoulant trop souvent les évocations plus sexuelles, elles restent en marge de la richesse de leur imaginaire.

Les femmes méconnaissent les caractéristiques de leur désir, son aspect cyclique, fluctuant, un peu paresseux. Elles attendent trop souvent qu’il surgisse naturelle- ment en s’accrochant à des croyances très discutables telles que : seul le désir spontané est acceptable, aimer un homme et en être aimée suffit obligatoirement à le désirer.

Toute démarche active, visant à stimuler ce désir, est jugée artificielle et perçue très négativement. Ignorant quels sont les stimuli nécessaires à la naissance du désir, elles sont souvent incapables d’en jouer. Une fois passée la période passionnelle (pendant laquelle le désir s’exprime facilement), elles doivent bien constater son insuffisance ou sa disparition.

Le plaisir féminin est lui aussi complexe, moins systématique et plus difficile à obtenir que chez un homme. La méconnaissance de son fonctionnement joue, là aussi, un mauvais tour aux femmes. Il est évident que désirer sera difficile si le plaisir n’est pas au rendez-vous. Cependant, cette explication est loin de résumer à elle seule l’ensemble de la problématique féminine du désir. Il serait bien dommage de la limiter à cette difficulté. La majorité des femmes qui viennent consulter le font pour un problème de désir. Et, parmi elles, un certain nombre éprouve sans problème du plaisir sexuel. Cependant, ce plaisir est souvent perçu comme peu intense ou présentant peu d’intérêt. Paradoxalement, la prise en charge des femmes désirantes qui ont quelques difficultés à atteindre un plaisir orgasmique est moins compliquée.

Ainsi, la problématique du désir féminin soulève la question même de l’identité sexuelle féminine, de sa place dans la société actuelle, de la perception qu’en ont les femmes et de leurs attentes en ce domaine. La simple phrase : « Je n’ai pas ou plus de désir » exprime tout cela, et c’est pour cette raison qu’il n’est pas simple d’y répondre.

Les hommes ont perdu leurs repères
Que d’obstacles me direz-vous ! En effet, la tâche est ardue. La sexualité féminine peut s’épanouir dans le contexte social où nous vivons. Il faut bien sûr raisonner dans le cadre de notre époque et de notre culture, en ayant conscience que les paramètres seraient sinon complètement différents. Les hommes sont eux aussi victimes d’une grave crise identitaire. Ils ont perdu leurs anciens repères. Dans la vie, dès la naissance, on est défini, nommé, inscrit dans un sexe. On est un garçon ou une fille. Chaque sexe se définit par rapport à l’autre. Comment ne pas se sentir menacé si les paramètres déterminant le sexe opposé changent ? Ceci est d’autant plus grave pour les hommes qu’ils ont toujours eu, contrairement aux femmes, à prouver qu’ils appartiennent bien à leur sexe. Cette obligation permanente de preuves les rend particulièrement vulnérables. Naturelle- ment inquiets face à leur virilité, le bouleversement des repères balisant l’autre sexe provoque chez eux une grande angoisse entraînant deux réactions possibles. Soit ils résistent aux changements sans bien comprendre pour- quoi et il est impératif de les rassurer. Ils n’ont rien à craindre de cette évolution féminine. Au contraire, ils ont tout à gagner à avoir auprès d’eux une compagne active et désirante plutôt qu’une partenaire subissant passive- ment leur désir. Même si l’angoisse de performance est réactivée, cela en vaut la peine. Soit ils encouragent le changement mais dans la mauvaise direction. Ils considèrent que les femmes doivent avoir du désir et du plaisir à tout prix. Alors, il ne s’agit pas d’une motivation altruiste mais de la tentative désespérée, malgré tous ces bouleversements, de se rassurer sur leur virilité. Ils se sentiront des hommes s’ils réussissent à donner du plaisir à leur compagne. D’où l’importance pour eux qu’elle en ait. Même si en apparence cela constitue un progrès, on est en fait dans une impasse. Les femmes restent en ce cas dépendantes du pouvoir masculin. Elles ne s’approprient pas leur propre sexualité. Elles ne sont toujours pas sujets de leurs désirs. Néanmoins, les hommes et les femmes commencent à prendre conscience qu’ils peuvent vivre ensemble, sans forcément que l’un domine ou écrase l’autre. Malgré leurs différences, les sexualités masculine et féminine peuvent toutes deux s’exprimer et cohabiter.

Est-ce une utopie ou bien un grand pas en avant de la civilisation ? Parce que je suis optimiste et que j’ai l’habitude de faire confiance à l’énorme potentiel de l’être humain, je penche résolument pour la deuxième hypothèse. Tout cela est loin d’être abouti mais nous en prenons le chemin...
Malgré tous ces aléas, le désir féminin reste intense et puissant. Rien n’a réussi à le faire disparaître. Les femmes, actuellement, sont plus que jamais décidées à le faire entendre. Les hommes sont mieux préparés à cette émergence. Ils commencent (même si leur inquiétude persiste) à entrevoir leur intérêt et à prendre conscience qu’eux aussi ont du chemin à parcourir. La société actuelle semble mieux disposée à faire une place de choix à la sexualité féminine. Tous ces clignotants verts sont encourageants mais tout n’est pas résolu. Le désir féminin n’a jamais été aussi vivant. Reste à trouver des pistes pour déterminer comment lui permettre de s’épanouir et définir vers quels objectifs les femmes doivent tendre.

 
Ghislaine Paris 

 

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