Plein feux sur l'amour...

Prendre un pari, après des siècles d’essais, de romans où ont coulé des fleuves d’encre en rouge et en noir sur un thème « humain, trop humain », tellement humain : se risquer à mettre des mots sur la relation amoureuse, ce cœur qui fait battre la vie qui va, vibration de vie puissante qui donne à l’existence une partie de son sens, mais qui relève d’un vrai parcours du combattant. Ce serait peut-être l’une des dernières aventures humaines dont il faudrait relever le défi. Avis aux amateurs : que reste-t-il, à l’heure d’Internet, des portables, de la pression économique et sociale, de la relation amoureuse, après toutes les révolutions qui ont fait exploser les certitudes du couple ? Ne demeure- t-elle pas cette terre inconnue, ce diamant brut au mystère lumineux et dur, qui appelle, engage l’homme, la femme à une exploration intérieure ? Ne passerait-elle pas par le don de soi plein et entier pour trouver un jour, tôt ou tard, cette communion à laquelle chacun aspire, pour célébrer le miracle des noces de Cana ?
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Prendre un pari, après des siècles d’essais, de romans où ont coulé des fleuves d’encre en rouge et en noir sur un thème « humain, trop humain », tellement humain : se risquer à mettre des mots sur la relation amoureuse, ce cœur qui fait battre la vie qui va, vibration de vie puissante qui donne à l’existence une partie de son sens, mais qui relève d’un vrai parcours du combattant. Ce serait peut-être l’une des dernières aventures humaines dont il faudrait relever le défi. Avis aux amateurs : que reste-t-il, à l’heure d’Internet, des portables, de la pression économique et sociale, de la relation amoureuse, après toutes les révolutions qui ont fait exploser les certitudes du couple ? Ne demeure- t-elle pas cette terre inconnue, ce diamant brut au mystère lumineux et dur, qui appelle, engage l’homme, la femme à une exploration intérieure ? Ne passerait-elle pas par le don de soi plein et entier pour trouver un jour, tôt ou tard, cette communion à laquelle chacun aspire, pour célébrer le miracle des noces de Cana ?

Cassons vite les visions éthérées qui protègent pourtant de la réalité, à regarder droit dans le miroir : cette réussite d’amour ne serait, nous disent des neurobiologistes et des psychothérapeutes, que le résultat d’un travail qui s’appuie sur la volonté de renouveler le désir, cette flamme à alimenter... Question de chimie, d’hormones, d’histoire personnelle, mêlées, à mettre en chantier trois ans plus tard, si l’on veut que cela dure... Ce « tramway nommé désir » ne suffit pas en soi : il faut l’alimenter, encore et toujours, en se retroussant les manches, pour que la locomotive poursuive sa route. Contre les idées reçues, disons qu’aimer est un travail, « celui auquel tous les autres nous préparent », disait Rilke dans ses Lettres à un jeune poète... Au-delà des fantasmes sur l’amour fou, gageons que cette folie d’amour à laquelle rêve le couple doit triompher du rouleau compresseur de la vie ordinaire, de la « vie mode d’emploi », de la « difficulté de vivre » dont parlait Françoise Dolto... La relation de couple, entre fantasme et réalité... N’hésitons pas à jeter un regard lucide sur ce qui la parasite, la menace, en l’interrogeant froidement, avec un stéthoscope qui viendra prendre la température du cœur : et si la relation amoureuse aboutie, c’était la maison de cœur que construiraient deux individus accomplis, donc toujours vivants, dans le mouvement de leur propre existence ? Autrement dit, l’amour qui dure ne se suffit pas à lui-même, chacun sachant qu’il ne faut pas tout en attendre. Au commencement, il y aurait cet élan intérieur, cet appel impérieux, de l’ordre d’un destin à vivre, qui vous fait dire, comme Montaigne pour l’amitié, « parce que c’était lui, parce c’était moi »... Socle essentiel, sans lequel tout le reste n’est que tricherie, arrangement bancal, qui un jour vous arrache la nuque. C’est alors, seulement, que cela commence, que tout reste à faire, à inventer, au jour le jour. Pari audacieux, pari d’une vie, merveilleux et exigeant. Un, deux, trois, partons à rebours, comme des enquêteurs, sur la « carte du Tendre ». Il était une fois, la relation amoureuse... Tenez ferme entre vos mains le fil d’Ariane des mots qui tenteront de nous éclairer, dans cette traversée du tunnel vers l’accomplissement amoureux. Pensons pourtant qu’en matière de relations amoureuses, il n’existe pas de brochure qui offre le savoir-faire idéal et absolu, tant l’amour, grande affaire d’une vie, est cette énigme vive vers laquelle nous tendons tous. Apprendre à écouter son cœur, sentir la vibration, donc, pour donner enfin sens à nos vies. Parce que l’amour, ce serait l’inexplicable, enfin ressenti comme une certitude du cœur qui relie à l’autre, au ciel, au cosmos, avec le temps que cela prend.


Ce qui guette, tôt ou tard, à un tournant de vie...
Qui n’a pas connu cet étrange état de basculement où soudain tout, autour de soi, paraît autre, différent, comme s’il s’agissait d’un chaos, d’une forme de tremblement de terre du corps et du cœur ? Tel un personnage s’échappant en douce des pages d’un roman romantique, vous êtes soudain traversé par une impression inexplicable, mais si vague, quasi indéfinissable. La vie que vous meniez au jour le jour se colore main- tenant de teintes fades : qu’elle est étrange, et par- fois pesante, cette sensation diffuse de sens perdu qui écorche vif, fait ralentir, marquer le pas, s’interroger. Le regard se promène sur la vie, la ville, les autres, sans être là, et ne reconnaît plus rien. Temps d’errance, temps suspendu, temps de changement. Le grand boom du cerveau, du cœur et des sens se prépare... Il y a comme une attente presque languissante, qui palpite et désoriente, silencieuse. Tellement étonnante. éros, rôdé depuis des siècles, prépare sa flèche ; il est embus- qué, pas très loin de là. Plus prosaïquement, loin du « vague des passions » des Chateaubriand et consorts, les phéromones et autres ocytocines sont les déferlantes qui vont prendre d’assaut le cerveau. Dixit le corps scientifique. Hormone, mon amour... Préparez-vous. Acceptez le mouvement, la vague qui monte du bout de l’horizon océanique. Laisser faire, lâcher prise, sans affolement. Faire confiance à l’élan de vie qui s’impose à soi. Juste se mettre à l’écoute de cette petite voix qui monte, sans chercher à l’étouffer. Rien ne saurait l’arrêter. Telle une source contrariée, elle res- surgirait, ailleurs, plus fort. Au fait, qui est concerné ? Et quels sont les signes de cette montée du sentiment amoureux à naître ?

Adolescents et adultes au bord d’un renouveau
Cette expérience, qui à tout âge, désoriente, met hors jeu, change tout, fait errer comme Orphée dans sa forêt à la pensée de son Eurydice à jamais perdue, ressemble à un sursaut : soudain sonne l’heure d’une vie nouvelle en marche. Un homme, une femme, chabadabada... Ils ont quinze ans, trente ans, ou davantage. « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », nous murmure Rimbaud... C’est imminent : une rencontre avec un autre s’annonce, quand on a trouvé son corps à soi, émancipé, décroché de l’antre familial, après les tâtonnements, les premières expériences sensorielles : les pulsions sexuelles boostées par les hormones vont main- tenant pouvoir se satisfaire, le désir pour un autre, ce si attirant mystère en rouge et noir, va naître. Pour- tant, à trente ans, quarante ans, cinquante ans, plus tard aussi, le cœur peut se mettre à courir un soixante mètres, se remettre en vie. éros et Aphrodite ont les idées vraiment larges et tirent sur tout ce qui bouge. Emilie se souvient de sa quarantaine, moment où tout a basculé :
J’étais comme une adolescente désorientée qui regardait, surprise, sa boussole s’affoler, ne sachant plus si ma vie me convenait toujours, si mes choix de naguère étaient les bons. Je vivais une relation amoureuse ban- cale, sage, raisonnable, jouais avec constance mon rôle de mère, tenais ma place, dans mon entreprise. Un bon matin, j’ai commencé à me poser des questions, à chercher du sens à tout cela.

Fin d’un cycle, temps de renouveau qui s’annonce : si la relation amoureuse, après les fameuses deux ou trois premières années où la chimie gouverne le cerveau, ne s’est pas construite sur un socle de désir érotique partagé, avec une intimité, cette sensation de vide creuse son nid. Des hommes et des femmes ont soudain changé, se sont parfois réparés l’un l’autre, ne savent plus où ils en sont, comme anesthésiés. Quelquefois, pas assez libres intérieurement, ils ont construit un couple conforme à l’image attendue socialement, façon La Vie mode d’emploi, de Pérec : le confort, les choses matérielles ont englouti le désir. Il faut comprendre qu’ils sont en marche vers une mutation, vers une nouvelle étape qui les transforme, en tant qu’individus mûrs pour autre chose : « Vivez maintenant les questions [...] et prenez ce qui vient avec une grande confiance, et pourvu que cela vienne de votre volonté, de quelque nécessité profonde en vous, assumez-le et ne haïssez rien » : tel est le conseil de Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète : suivre, donc, cette voie si simple, si juste...
Faire face aux assauts d’une tristesse vague, dans une vie de robot...

À quelque âge que ce soit, cette préparation à la naissance du sentiment amoureux suppose de liquider psy- chiquement un ancien monde : retirer la fameuse tendresse vis-à-vis de ses parents, nous dit Freud, ne se fait pas sans tristesse quand on est adolescent. Vivre, donc, une perte, avec le temps que cela prend. Il en va de même pour la vie d’un adulte rejouant le refrain d’une chanson de Véronique Samson, « À quoi ça me sert, si toute ma vie, n’est qu’une pauvre comédie » : une fin de cycle est en marche. Quelque chose se transforme, dans l’être profond, qui se détache du passé, comme un animal marin laisserait sur la grève une peau morte. « Plus nous sommes calmes, patients, et ouverts lorsque nous sommes tristes, plus le Nouveau entre en nous profondément, directement [...], plus il sera un destin vraiment nôtre », nous répond à nouveau Rilke. Accueillir, donc, cette tristesse dans cet « entre-deux-mondes » le plus tranquillement possible, laisser faire les urgences du cœur.

 
Yvonne Poncet-bonissol

 

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