On a l'habitude de dire que les torts sont partagés à 50/50. Faux ! Pour qu’un couple dure, il faut être deux. Or notre partenaire a quitté le navire. Était-ce prévisible ? Pas toujours. Et si oui, croyons-nous naïvement que l’amour peut tout ? Que si nous avions fait ceci ou cela, il ou elle serait resté ? Allons donc, cela supposerait que l’amour se maîtrise par des manœuvres. On disait autrefois d’une femme qui gardait son mari : « Elle le tient ! », mais en était-elle aimée ? N’était-ce pas au prix de sa soumission ? Alors, on rompait aussi mais... en faisant chambre à part, en se détestant courtoisement. La belle affaire ! Quant à « n’avoir pas fait ce qu’il fallait... », ce serait prétendre qu’il existe des couples parfaits ayant « tout bon ». Mais non, ils ont comme les autres des fâcheries, des moments de creux, de moindre amour. La différence est simplement qu’ils sont décidés à rester ensemble pour le meilleur et pour le pire. Comprendre ne consiste pas à se chercher des torts mais à décoder ce qui est arrivé...
Parfois le décodage n’est pas compliqué : nous avons cru à cette histoire et nous nous sommes trompés de personne. Un chauffeur de taxi me raconte ses deux mariages. Sa première femme avait vingt ans. Lui aussi. Comment aurait-il pu savoir qu’elle buvait alors qu’aucun signe ne marquait encore son joli visage et qu’il n’avait aucune idée de ce que pouvait être la maladie alcoolique ? D’autant qu’elle prenait l’apéritif comme tout le monde, avec des copains, mais rien de plus devant lui. Elle a disparu au bout de deux ans, après un accident de voiture conduite en état d’ivresse, qui a rendu leur petite fille de deux ans paraplégique. Sa seconde épouse avait deux garçons. Pendant douze ans, ils ont vécu « normalement » dans une famille recomposée. Il gagne bien sa vie. Ils ont une maison, partent en vacances. Puis il perd son emploi de directeur commercial dans la robotique. L’entreprise met la clef sous la porte. Chômage. Deux jours plus tard, il rentre chez lui et trouve « comme dans les mauvais films américains » les valises faites, les plus jolis meubles déménagés et un mot lui expliquant qu’elle n’a plus besoin de lui : ses enfants sont élevés, elle veut vivre la jeunesse qu’elle n’a pas connue et... la vivre sans lui.
Ne pas s’accuser à tort
Charmant ! Une femme solidaire, formidable, pleine de gratitude ! Mais comment aurait-il pu prévoir qu’elle le lâcherait au pire moment puisqu’ils n’avaient jamais connu de difficultés particulières. Puisqu’elle l’avait aimé sans doute et autrement que par intérêt. À moins qu’elle ait toujours été intéressée mais alors, elle cachait bien son jeu. Quand on est sincère, on a du mal à croire que l’autre ne l’est pas.
S’il n’avait pas été licencié, peut-être seraient-ils restés ensemble toute leur vie. Encore qu’elle avait besoin d’autre chose : de s’éclater, de profiter... D’une seconde jeunesse très libre qu’un mari ne peut pas offrir. Il s’accuse, persuadé « que ces choses n’arrivent pas par hasard mais seulement à des hommes faibles ». Mauvais diagnostic ! Pourquoi se reprocher ce qui n’est que le déficit moral de sa compagne ? Et remettre en question – à cause des défauts d’un autre – ses propres qualités de sincérité et de gentillesse ? Ces accusations mal portées sont très préjudiciables à notre avenir amoureux. On finit par se sentir peu aimable mais aussi par porter des jugements hâtifs sur « tous les hommes, toutes les femmes... ». D’ailleurs, écœuré par ces deux expériences, il a fait depuis vingt ans une croix sur l’amour. Il ne conçoit plus le sexe que « pour l’hygiène ». Et se conforte dans ses idées en ne parlant de ses mésaventures qu’avec des copains ayant connu des expériences similaires. Est-il heureux ? Bien sûr que non ! Mais au moins, il est tranquille et ne risquera plus de se faire avoir.
Ce qu’il pourrait se dire ? Qu’il manquait d’expérience pour débusquer l’excès de boisson de sa première épouse et qu’il manquait tout autant d’expérience pour soupçonner l’esprit mercantile de la seconde. Il pourrait se dire aussi qu’il y a des femmes adorables qui boivent raisonnablement et gagnent suffisamment bien leur vie pour rester même quand le compte en banque de leur mari a des trous d’air...
Et faudrait-il que Pauline se sente coupable puisque son mari l’a quittée après dix ans d’amour incontestable et deux enfants ? Ils sont médecins tous les deux. Ils écrivent des livres ensemble, partagent le même cabinet. Ils ont acheté une jolie maison, leurs enfants vont bien. Les belles-familles sont amies ; les dimanches sont animés, les vacances aussi. Pas de nuage à l’horizon... quand Pascal annonce qu’il s’en va. Pauline n’est pas du genre à hurler, elle a le sang-froid de demander une explication. Pascal fait alors son coming-out. Il est attiré par les hommes. Il vient d’en rencontrer un dont il est tombé amoureux. Elle pourrait se remettre en cause en faisant de la psychologie de comptoir, en pensant que ce n’est pas « un hasard » si elle est tombée amoureuse d’un homo. Heureusement, elle n’a pas ce genre de tentation. Elle a été heureuse dans ce couple, y compris sexuellement, sauf les derniers temps. Il est vrai que le côté féminin du caractère de Pascal ne lui déplaisait pas. Elle déteste les dominateurs, les machos... mais pourquoi remettre en question ce critère légitime ? Les hommes qui l’attirent sont doux, ils aiment l’intimité, le partage, mais certains hommes sexuellement virils ont ce caractère. Remettre en cause sa féminité serait déplacé et inutilement douloureux. C’est lui qui a changé, qui s’est révélé...
La faute à pas de chance
Certains événements de vie brisent aussi des couples. Ils n’y sont pour rien. Un drame vient frapper et l’un des deux ne parvient pas à assumer la situation. À qui la faute ? À personne, vraiment.
À sa première permission de sortie de l’hôpital, Angela se sent revivre. Elle retrouvait l’air, la lumière et... son amoureux était là. « Il m’a prise dans ses bras, il y avait si longtemps que je n’avais pas retrouvé son corps et lui, le mien. C’était fort, si fort ! Nous avions besoin l’un de l’autre. »
Entre chimio et opérations, ils font des petits voyages « quels bonheurs que ces échappées ! » La dernière opération consiste en une ablation d’un gros morceau de foie. Elle sort plus tôt que prévu mais extrêmement diminuée : « J’habitais au 4e étage sans ascenseur et lui au rez-de-chaussée. Il m’a proposé de venir m’installer chez lui le temps de ma convalescence. Mais là, j’ai senti que ma poche était un handicap. Il y a les fuites, les odeurs, les accidents techniques. J’avais beau mettre une jolie écharpe quand nous faisions l’amour. Et puis il y avait son fils de onze ans. Je marchais à très petits pas. Je devais être impressionnante. Il a eu peur de moi, peur de la mort. À ce moment-là, j’ai compris que je pouvais être “contagieuse”... »
Le soir de ses cinquante ans, Lucas l’appelle et lui dit : « J’ai craqué. Je n’ai pas arrêté de pleurer. Trop c’est trop, je suis à bout ! »
Ils partent à la montagne et elle sent un passage à vide. Elle pense qu’ils vont rebondir mais il lui dit qu’il ne peut même plus la toucher. « Je suis dans une dépression effroyable. J’ai de la tendresse pour toi mais il n’y aura plus jamais d’amour. Tu as réveillé en moi des choses trop anciennes et douloureuses. L’amour c’est donner-recevoir. Et je ne peux plus donner. Je suis à bout... »
Ils ont beaucoup parlé et beaucoup pleuré. Puis il s’est éloigné en écrivant une lettre magnifique au fils d’Angela pour lui dire que sa mère était une femme extraordinaire mais qu’il n’en pouvait plus. Cependant, il aimerait bien garder le lien avec lui parce qu’il l’appréciait beaucoup.
Voilà comment un drame peut détruire un amour sans que personne n’en soit responsable. Angela se dit parfois qu’elle n’aurait pas dû lui en demander tant... Mais parfois la maladie soude les couples à jamais et personne ne fait de dépression, au contraire, l’amour et la vie ensemble prennent un sens nouveau. Comment prévoir ce qui sera « mauvais » pour le couple ? Ces deux ex-amants sont des personnes humainement extraordinaires. Leur amour a été exceptionnel mais la vie (et la maladie) les a séparés. Et personne n’y peut rien.
Des histoires comme celle-ci sont innombrables. Bernard et sa femme s’étaient, eux aussi, mariés pour la vie. La malchance a fait qu’ils ont perdu deux enfants l’un à sept mois, l’autre à la naissance. Elle s’est repliée sur son chagrin et ne s’en est jamais remise. Lui est devenu encore plus vivant. « Je n’ai jamais autant cru à la vie. J’étais plein de désir et elle, bof ! Pour moi, le sexe est la vie même. J’en suis boulimique, épicurien. Je pianotais sur le minitel rose. Je fantasmais sur ce qui pouvait se réaliser faute de pouvoir le vivre dans la réalité. Mais je culpabilisais et je lui en voulais de m’empêcher de vivre. Je ne pouvais pas m’accomplir. J’étais en manque tout le temps. Je lui en disais quel- ques mots mais dans les années 70-80 on ne parlait pas de ces choses-là. Je ne l’aimais pas moins. J’éprouvais l’amour normal que l’on éprouve pour quelqu’un avec qui on est bien. Néanmoins, j’ai tout de suite compris que ces deux enfants perdus si jeunes (nous n’avions que 22 ans), étaient un lien qui allait nous unir autant que nous séparer. » Deuils, chômage, maladie... De certaines ruptures, la vie est responsable plus que nous.
LES BÉNÉFICES D’UNE THÉRAPIE DE COUPLE
Quand un drame nous arrive et que l’on s’éloigne l’un de l’autre, il est intéressant de voir ensemble ou sépa- rément un thérapeute de couple ou un psychothéra- peute personnel. Il peut aider à verbaliser les « trop pleins » de toute sorte qui, sans ce tiers, ne pourraient pas se dire ou s’entendre tant le chagrin est grand, et les difficultés insurmontables. Mettre des mots sur les maux aide toujours la peine et... le couple. Néanmoins, toute la difficulté est de consulter avant que le drame ne nous ait trop éloignés, avant que chacun ait trouvé à se guérir autrement : dans l’infidélité, la fuite dans le travail, la religion, etc. L’autre écueil est qu’il faut être deux à accepter d’en parler. Quand l’un ou l’autre est réfractaire, on ne peut rien faire pour le couple. On ne peut que s’aider soi.
Patricia Delahaie
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