Saint Exupéry ... car il faut écrire son nom sans trait d’union au risque de froisser l’auteur qui, jamais, ne revendiqua un nom composé. Donc, Antoine de Saint Exupéry naquit le 29 juin 1900 dans le II ème arrondissement de Lyon. Il mourut en mer, au large des côtes marseillaises le 31 juillet 1944. Étrange destin que celui de cet homme qui mit sa vie en scène dans un désert de sable et sa mort dans un désert de mer. Antoine fut un homme habité par la solitude. On peut dire sans se tromper qu’il avait quitté, dès son plus jeune âge, la terre pour voler très au-dessus de nos contingences matérielles. Et toutes les rencontres vécues avec des personnes de son espèce ne furent que des passages obligés entre deux silences.
À Saint-Maurice de Rémens dans l’Ain, là où Saint Exupéry passa une grande partie de son enfance, les anciens aiment à raconter quelques anecdotes. Antoine, encore jeune enfant, « montait des ailes à son vélo pour pouvoir s’envoler et faire comme un avion ». Un autre vieux reprend : « Il avait piqué les draps à sa mère et puis, il voulait s’envoler. » Le premier renchérit : « Il était allé dans un chemin qui mène vers la rivière et il allait vite, vite, vite ! Il s’est cassé la figure, hésitation... le coude... non, le bras ! » Et puis : « Il avait déjà dans sa tête de partir dans le ciel. » Jusqu’à son entrée dans l’armée en 1921, Saint Exupéry vécut dans « des à peu près » que lui seul parvenait à comprendre. Son incorporation dans l’aviation allait le structurer plus sûrement que dix ans de vie civile.
Saint Exupéry rêvait. Cet homme vivait ici et ailleurs en même temps, ne répondant aux questions que lorsqu’il croyait qu’elles lui étaient destinées. Ce qui ne semblait pas être souvent le cas. C’était d’ailleurs sa plus grande qualité mais aussi la plus grande frayeur de sa hiérarchie : la distraction. Antoine de Saint Exupéry survola la vie comme ses aéroplanes franchirent les mers et les montagnes. Il maintint la distance nécessaire pour appréhender tous les instants graves de l’existence avec l’insouciance que porte un adolescent confronté aux choses trop sérieuses réservées usuellement aux grandes personnes. Il n’aimait pas les adultes trop installés car ceux-ci cultivaient le défaut majeur de juger de tout. Lui, il se nourrissait que d’essentiel. « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » avait dit le renard au petit prince dans un langage sibyllin propre aux initiés.Saint Exupéry devait voir le monde de trop haut pour pouvoir l’apprivoiser. Néanmoins, sa hauteur de vue lui permit de comprendre l’Être dans son intégralité et les vérités dans leur ensemble. Entre l’aviateur et l’écrivain se tissa un fil invisible qui fit que l’un ne pouvait vivre sans l’autre. Ils devenaient complémentaires. Le plus paradoxal dans la vie d’Antoine, ce sont ses amours. On ne peut pas comprendre l’exercice mental d’un être si on ne le met pas au diapason de sa vie amoureuse. Saint Exupéry fut un homme torturé par des désirs à jamais assouvis. À chaque fois qu’il crut tenir une aventure, on lui imposait d’autres choix qui n’embrassaient jamais les siens. Comment pouvait-il trouver l’équilibre ?...
En 1922, Antoine de Saint Exupéry obtint ses premiers galons. Il devint caporal en janvier et sous-lieutenant en avril. En octobre, après un petit séjour à Casablanca, il s’installa au Bourget. Il fut victime d’une fracture du crâne suite à un accident d’avion. On pensait que cette catastrophe allait le clouer au sol. Il n’en fut rien. En fait, tout se passa lorsque le téméraire jeune homme demanda Louise de Vilmorin en fiançailles. Pour une famille aristocratique comme celle-là, il n’était pas question que leur fille puisse « convoler » avec un pilote, fut-il célèbre. Aviateur n’était pas un métier. La mère de Louise fit promettre à Antoine de renoncer à cette lubie et de trouver une occupation plus acceptable. Par amour, il accepta. Les deux amoureux pouvaient toujours rêver mais à moins de deux mètres du sol. Très vite, les rêveries d’Antoine furent jugées trop sublimes pour la jeune Loulou. Quand elle parlait de meubles, il répondait hélices. Pour peu qu’elle évoque un projet pour acheter des abat-jour, il songeait aux cockpits. Après une rupture inévitable avec Louise de Vilmorin, Antoine s’installa dans l’Allier puis la Creuse. Pour le compte de l’usine Saurer, il vendit des camions. Plus exactement il vendit un seul et unique camion en un an et demi ! Le plancher des vaches ne lui valait décidément rien de bon. Ce fut en 1926 que s’effectuera son orientation définitive. La passion venait de gagner sur la raison. Au sein de l’entreprise Latécoère, on lui proposa d’effectuer le transport du courrier sur la ligne Toulouse-Dakar
Ce fut à Toulouse qu’il fera la connaissance d’Henri Guillaumet et Jean Mermoz. Cette même année, il publiera son premier ouvrage L’Aviateur aux éditions Le Navire d’argent. Nouvelle orientation professionnelle en 1927. Saint Exupéry devint chef d’escale à Cap Juby au Maroc. Il prit ses fonctions dans cet ermitage et resta dans cette zone espagnole insoumise du désert saharien jusqu’en mars 1929. Concernant cette escale, il est intéressant de faire une étude approfondie de cette parenthèse dans la vie de l’auteur du Petit Prince. Dans une lettre à Pierre d’Agay, il écrivit : « Ma mission consiste à entrer en relation avec les tribus maures et à essayer si possible de faire un voyage en dissidence.
Je fais un métier d’aviateur, d’ambassadeur et d’explorateur. » Saint Exupéry apprit l’arabe pour avoir un contact étroit avec la population maure. Il n’hésita pas à rendre visite aux caïds sous leur tente. Cette proximité physique et la grande confiance des Maures envers cet homme empreint d’humanisme le fit surnommer « le Seigneur des sables ». Les livres à venir comme Le Petit Prince et Citadelle furent les fruits de cette plongée dans les entrailles de ces hommes extrêmes conçus pour le désert. On peut parler d’une véritable initiation à toutes les strates de la condition humaine, démarche d’un Saint Exupéry non seulement aviateur ou écrivain mais aussi ethnologue. Il dut creuser au plus profond de lui-même pour parvenir à la compréhension de cette société d’hommes instruits par des coutumes ancestrales. On peut comparer cette démarche à celle de l’initiation maçonnique où le plongeon dans le cabinet de réflexion soumet le postulant à une purification par la terre. Le profane meurt à lui-même pour renaître dans une autre dimension. L’isolement silencieux s’impose. La différence avec l’enseignement maçonnique au premier degré demeure dans la méthode liée à cette méditation mais nullement dans la teneur. Saint Exupéry se frotta au désert le plus dénudé. Il se noya dans le silence le plus assourdissant. Il se réfugia dans les mots qui lui servirent de breuvage. Pour Antoine, ce séjour d’un an et demi à Cap Judy fut une expérience opérative qui lui ouvrit définitivement une voie royale vers le domaine des lettres.
On a dit Antoine humaniste, mais l’était-il vraiment ? Si l’humanisme consiste à appliquer les pensées des hommes justes, il se range dans cette catégorie. Il enseignait la sagesse et imposait le respect. Il était en quelque sorte un maître à penser. Par contre, Saint Exupéry, s’il lui fallait une tribune pour exprimer ses talents, il la trouva dans les livres plus que dans l’art oratoire. Après la solitude et la pénombre, les lumières de la ville. De retour du Sahara, il rencontra dans les salons de Louise de Vilmorin, Nelly de Vogüé, jeune femme chef d’entreprise dans l’est de la France. Un peu par hasard, il lui confia son manuscrit Courrier sud avant que Gallimard ne le publie. La jeune Nelly tomba sous le charme de l’œuvre, de l’homme et de sa renommée. Elle céda à ses avances. De cette liaison, il faut relever le caractère double d’Antoine vis-à-vis des femmes. Ombre et lumière. Solitude et fantaisie. Faste et dépouillement extrême. À travers la lecture des œuvres de Saint Exupéry, on peut mesurer le chemin initiatique qu’il dut parcourir pour arriver à la notion d’essentiel. Saint Exupéry chercha à peindre sa vie comme le prolongement de sa conscience morale au sens le plus strict du terme. Qu’importe l’existence ! Le but ultime restait l’accomplissement du devoir jusqu’au sacrifice. La voie sacrée était dans l’achèvement de la mission...
En rédigeant «Le Petit Prince», Antoine de Saint Exupéry est parti à la recherche de l'enfant qu'il avait été. L'ouvrage est une introspection, un testament philosophique. Ce petit livre, qui sort du cadre de la littérature ordinaire, a su plaire à tous les âges et toucher le lecteur profane comme le plus érudit. On peut distinguer quatre niveaux de lecture, chacun offrant des sujets de discussion infinie. 1. Tout d'abord, primauté à l'enfance. Ce conte a été écrit pour elle. Qui peut croire que les humains parlent aux roses? 2. Pour les grandes personnes : c'est une leçon de vie et une critique sociale. Saint Exupéry aborda une réflexion sur les comportements humains, les notions de hiérarchie et d'autorité, le vivre ensemble, la raison… 3. Pour le sage : il s'agit plutôt d'une évocation avec une approche plus spirituelle, une suite d'allégories sur la nature humaine. L'auteur fait le siège de la vigilance, du « Connais-toi toi-même », de l'Eveil. C'est une porte ouverte vers la maîtrise et le devoir jusqu'au sacrifice. 4. Enfin, une lecture anagogique nous entraîne vers le modèle parfait d'une quête qui conduit la réflexion vers le divin. La complexité de ces approches nourrit l'inconscient collectif. Nous sortons des voies traditionnelles et devons découvrir les sens cachés. Ce livre grand public n'étant ni un début ni une fin, à chacun d'y trouver sa vérité.
Pour en savoir plus, lire :
Le chemin initiatique du Petit Prince
Priëls Hervé
www.editions-oxus.fr