Cour des Comptes : Alcool, des conduites à risque persistantes

 



La baisse globale de la consommation d’alcool ne saurait occulter le sujet plus particulier des conduites à risque chez les femmes enceintes, les jeunes et les personnes en situation de précarité sociale.

1 - Une consommation dangereuse pour les femmes enceintes
La consommation d’alcool reste significative en France parmi les femmes enceintes, alors même que ce comportement est porteur de risques spécifiques pendant la grossesse. Une étude française récente13 fait état d’une consommation pendant la grossesse déclarée par 23 % des femmes et d’une consommation de trois verres ou plus en une même occasion par 2 % des femmes. Parmi les femmes qui consommaient de l’alcool avant la grossesse, 40 % n’ont pas totalement arrêté de boire à l’annonce du diagnostic14.

La prévalence de syndromes et d’autres troubles causés par l’alcoolisation fœtale à la naissance est difficile à évaluer. Elle est probablement sous-estimée15 et représente la première cause de retard mental non génétique évitable. L’académie nationale de médecine estime que le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) concerne au moins 1 % des naissances (1‰ pour les formes graves de SAF complet), soit environ 8 000 nouveau-nés par an, ce qui signifie que près de 500 000 Français souffrent à des degrés divers de séquelles d’alcoolisation fœtale. Elle considère que la France accuse un retard important, notamment par rapport aux pays anglo-saxons, dans l’information, la prévention et la prise en charge de ces troubles16.

2 - Des consommations en augmentation chez les jeunes
L’augmentation de la consommation chez les jeunes s’observe dans la plupart des pays européens avec une initiation précoce et la diffusion des pratiques d’alcoolisation aiguë17. Les enquêtes ESPAD réalisées en France sur la consommation des jeunes, en 2003 et en 2011, la plaçaient au 9ème rang des 33 pays européens examinés.

Pour les jeunes de 16 ans, la France se situe parmi les pays les plus affectés par les alcoolisations aiguës, 40 à 49 % d’entre eux ayant connu une alcoolisation ponctuelle importante (API) dans le mois, en position moins préoccupante que le Royaume-Uni mais moins favorable que l’Italie et l’Espagne, producteurs de vin, ou qu’une partie des pays d’Europe centrale.

La première expérimentation de l’alcool concernait ainsi 59 % des élèves de 6ème et 83 % des élèves de 3ème dans les enquêtes ESPAD et HBSC pour la France publiées en 201318. Ces données doivent cependant être nuancées en raison d’un léger recul des pratiques d’alcoolisation parmi les plus jeunes, observé dans la dernière enquête HBSC 2014 dont les résultats sont parus en décembre 201519 : l’expérimentation touche 49,4 % des élèves de 6ème et 79,9 % des élèves de 3ème, et le pourcentage des enfants déclarant avoir déjà été ivres se contracte de 5,8 % à 5 % parmi ceux âgés de 11 ans.

Les 18-25 ans se distinguent de façon croissante depuis 2005 des personnes plus âgées, puisqu’on observe dans cette tranche d’âge une stabilisation de la consommation quotidienne d’alcool à des niveaux faibles, associée à une augmentation préoccupante des API et des épisodes d’ivresse. En 2014, les API dans le mois concernaient près d’un tiers des jeunes dès la fin de l’adolescence et la moitié des étudiants. 46 % des jeunes avaient eu au moins une ivresse dans l’année, 29% des ivresses répétées (contre 24 % en 2010). Les augmentations étaient particulièrement marquées chez les jeunes femmes étudiantes (21 % d’API mensuelles en 2014 contre 17 % en 2010).

Une part importante des jeunes consomme selon un rythme hebdomadaire, avec une hiérarchisation des boissons consommées qui diffère selon le sexe : parmi les jeunes hommes, en 2010, la bière est la boisson la plus consommée, par 39,3 % des 18-25 ans, suivie des alcools forts (29,5 %), du vin (22,4 %) et des autres alcools (9,7 %). Parmi les jeunes femmes, le vin est la boisson la plus courante (14,3 %), suivie des alcools forts (11,1 %), de la bière (9,8 %) et des autres alcools (7,2 %).

La consommation des jeunes est également marquée par une association croissante, observée entre 2011 et 2014, avec le tabac20 et, dans une moindre mesure, avec le cannabis. Des études épidémiologiques montrent que les jeunes adultes sujets à des ivresses répétées ne savent pas qu’ils courent des risques accrus de dépendance à l’égard de l’alcool à un âge plus avancé de leur vie et s’exposent à des pathologies chroniques responsables d’une mort prématurée21.

3 - L’influence des facteurs socio-économiques
La France n’a pas la tradition des pays anglo-saxons de croisement des données de santé et des données socio-économiques, voire ethniques. L’accès des chercheurs aux données de santé est très strictement réglementé. L’article 193 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ouvre cependant de nouvelles possibilités d’accès à des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation à des fins d’intérêt public.

Au Royaume-Uni, qui dispose de statistiques très diversifiées, les inégalités socio-économiques en matière de consommations nocives d’alcool sont bien documentées, notamment au travers des taux de décès par catégorie socio-professionnelle : les taux standardisés varient ainsi chez les hommes de 7,3 à 29,5 pour 100 000 entre la catégorie socio- professionnelle la plus haute et la catégorie socio-professionnelle la plus basse. On constate aussi que le différentiel entre les sexes est d’autant plus important que la catégorie socio-professionnelle est moins élevée. Un autre indicateur utilisé pour évaluer les coûts, les « années potentielles de vie active perdues » (potential years of working life lost - PYWLL), met en évidence de fortes inégalités par catégorie socio-professionnelle.

En France, peu d’études ont été conduites sur l’origine sociale et les revenus des consommateurs à risque22. Parmi les enquêtes disponibles, une enquête menée en 200123 sur des patients vus un jour donné, en médecine de ville ou à l’hôpital, montre que les personnes sans emploi hospitalisées ont 2,4 fois plus de risques d’être en situation d’alcoolisation excessive que ceux qui ont un emploi et 2,7 fois plus de risques d’être dépendantes à l’alcool. Une étude plus récente sur le recours aux soins des sans domicile fixe explore leurs consommations d’alcool24.

Une étude de l’IRDES25 exploitant des données déclaratives montre que les hommes sont 2,6 fois plus concernés par le risque d’alcoolisation excessive que les femmes. Elle montre aussi que le risque chronique augmente chez les chômeurs alors qu’il a tendance à diminuer parmi les inactifs retraités, qu’il culmine aux âges intermédiaires et atteint les hommes employés de commerce ou agriculteurs alors que le risque ponctuel touche particulièrement les cadres et professions intellectuelles et les professions intermédiaires. Elle confirme, pour l’essentiel, l’augmentation des pratiques d’alcoolisation massive parmi les étudiants et surtout les étudiantes.

Sur le lien entre alcool et genre, si les écarts restent très importants, on constate en France, comme dans d’autres pays européens, un relatif rapprochement de la consommation d’alcool des femmes de celle des hommes à mesure que la catégorie d’emploi s’élève26.

Les jeunes de 17 ans sortis précocement du système scolaire ou ayant un parcours scolaire chaotique se trouvant dans des filières courtes ou professionnelles ont près de deux fois plus de risques de consommer de l’alcool régulièrement que les jeunes scolarisés en filière classique27.

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et l’OFDT ont exploré les inégalités régionales en 2005, dans un travail commun réalisé à partir du Baromètre santé et de l’enquête ESCAPAD28. Cette étude met en évidence plusieurs éléments inégalement corrélés au contexte socio-économique, à savoir les consommations déclarées, les taux de décès imputables à l’alcool et les conséquences sanitaires et sociales de l’abus d’alcool29.

Enfin, la population sous main de justice est touchée par les problèmes de consommation excessive et de dépendance : 31 % des détenus ont un historique de consommation excessive, 9,4 % présentent une dépendance30. Ces résultats sont comparables à d’autres pays, dans lesquels les établissements pénitentiaires font souvent l’objet de programmes spécifiques pour l’alcool, à l’instar du Royaume-Uni.

Pour intéressantes qu’elles soient, ces études ne permettent pas d’appréhender de manière satisfaisante la question de la consommation des publics en situation de précarité ni d’élaborer des stratégies ciblées.

 

Extrait du rapport de la Cour des Comptes sur les bilans des politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool.

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