Un hygge à la française est-il possible ?

 


© istock

Le Danemark est un pays au niveau de vie plutôt élevé. Les écoles et universités y sont performantes, le système de soins hors pair. Certes. Mais de semblables remarques pourraient être formulées au sujet de la Corée du Sud, par exemple, ou de l’Australie. Pour autant, on n’y est pas aussi heureux qu’au Danemark.

L’explication ne saurait donc être strictement sociale, mais bien plutôt culturelle. De ce point de vue-là, les Danois peuvent sembler à des années-lumière de nous, grossiers, vantards et caractériels Français... La froideur qu’on prête aux Danois (aux Scandinaves en général) est ce qu’on appelle un « cliché », c’est-à-dire une vérité mais qui ne bouge plus – et depuis longtemps. Et de toute manière ce n’est certaine- ment pas la froideur, l’inertie, le calme qui engendrent de facto le hygge puisque celui-ci, au contraire, est un art de vivre tourné vers les autres, vecteur de partage et d’émotions, certes maîtrisé et rituel, mais néanmoins intense ! C’est une quête. Et cette geste mythique, pas seulement guerrière, de la quête, on la retrouve dans toutes les traditions, et notamment dans la nôtre. Cette envie de conquérir son bonheur, de se conquérir soi-même à travers le ré-enchantement de son quotidien ne peut que parler à toutes les sociétés, surtout si celles-ci, comme les sociétés scandinaves, souvent à la pointe de la modernité dans bien des domaines, sont endimanchées, consuméristes et superficielles. La force du courant hygge, c’est d’être universel justement parce qu’elle touche au cœur de ce qui constitue l’homme dans ce qu’il a de grand et d’irréductible (là où la mode, universelle elle aussi, vise l’homme en son point le plus bas, le plus fragile, le plus manipulable, et se soucie peu de donner du sens à son commerce).

Il est toutefois certain que le hygge réaffirme un besoin de confort, de stabilité, d’harmonie dans le cadre étroit de l’espace privé, et on imagine mal ce genre de revendications, qu’on pourrait qualifier de bourgeoises, aller de pair avec celles, plus révolutionnaires, d’égalité et de redistribution des richesses (et ça n’est pas un hasard si le Danemark est un pays très libéral)... Certes. C’est la limite du hygge, mais aussi un autre aspect de ce que j’ai appelé sa modestie. Le hygge est une philosophie de l’instant qui s’attache à des petits riens et s’adresse à chacun sans idée de bouleversements ou de révolte. Pour vivre hygge, il faut le vouloir. Il faut vouloir dire un grand « oui » cosmique au monde et ne pas s’enticher de trop de considérations culpabilisantes. Mais il faut aussi accepter, avec beaucoup d’humilité, d’aimer ce qu’on a déjà.

Le grand bonheur affiché des Danois ne dépend donc pas, loin s’en faut, de facteurs économiques et sociaux, mais d’une attitude plus générale face à la vie. Dès lors, il est certain que le hygge peut être transporté et transposé et donc qu’un hygge à la française est possible ! (Ouf ! Sans quoi ce livre...)

Attention cependant, une transposition directe de l’art de vivre à la danoise dans le cher pays de notre enfance est impossible. La culture de l’espace privé est plus forte au Danemark, sans doute en raison des conditions météorologiques assez contraignantes et qui obligent à se créer un intérieur attrayant, éclectique et ouvert sur les autres. En France ces questions se posent moins. On y « sort » beaucoup (le fameux café du coin de la rue). Mais justement, le hygge peut permettre aux Français qui le souhaitent de se réapproprier leur espace privé et de le transformer en véritable bonbonnière.
Nous n’allons donc pas pouvoir traduire le hygge, ce terme typiquement danois, en une langue universelle, puisqu’il l’est, universel, mais, en revanche, nous allons vous faire découvrir, surtout vous faire admettre qu’il existe déjà dans votre vie. Les meilleures choses ne s’acquièrent pas : on se rend simplement compte, un jour, qu’on les a – ou qu’on ne les a plus...

Mais n’essayons pas de façonner le pays dans lequel nous vivons à l’image du Danemark en espérant créer un nouvel écrin faisant naître une nouvelle mentalité. Ce serait illusoire ! Agréable, mais illusoire. Le fonds culturel est un fond d’une profondeur abyssale, qui dépasse les notions mêmes qu’on peut avoir du Temps. On ne change pas de culture comme on change de voiture ! L’enracinement est une fatalité, dont on se libère par le haut. Voyons : français, nous sommes, français nous resterons, avec notre histoire et notre territoire. Non, ne suivons pas à la lettre les préceptes du hygge danois, mais nourrissons-nous de son esprit. Préférons l’esprit « hygge » à la lettre dogmatique et trompeuse. Mais libérons-nous par le haut. Regardons vers le Danemark. Écoutons, ressentons, perdons ce réflexe de toujours penser avoir raison. Engageons-nous, embarquons. La quête commence ici.

Ouvrons nos yeux, écartons les lourdes portes en fer de notre conscience, écoutons nos cœurs. L’émerveillement, la douceur de vivre, le confort, la bienveillance et les petits bonheurs du quotidien sont à nos pieds. Chaque jour dans nos vies. Regardons-les. Ressentons-les. Vivons-les !
Bienvenue en France, ami hygge.

Anne-Sophie Monod

 

Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icône ci-dessous 

Couverture de livre