L'histoire du parfum...

Les parfums sont communs à toutes les civilisations et semblent avoir été réservés d’abord au culte des morts : les propriétés antiseptiques des résines et des baumes utilisés devaient faciliter la conservation des corps. Mais bientôt la liturgie vint leur accorder sa consécration : devenus offrandes aux dieux, résines aromatiques, herbes et bois brûlaient dans tous les lieux de culte des Indes, de Chine, de Perse, d’Arabie, d’Amérique précolombienne...

 

Les parfums sont communs à toutes les civilisations et semblent avoir été réservés d’abord au culte des morts : les propriétés antiseptiques des résines et des baumes utilisés devaient faciliter la conservation des corps. Mais bientôt la liturgie vint leur accorder sa consécration : devenus offrandes aux dieux, résines aromatiques, herbes et bois brûlaient dans tous les lieux de culte des Indes, de Chine, de Perse, d’Arabie, d’Amérique précolombienne...

On appelle oléorésine l’association d’une résine et d’une huile (oléo-) essentielle volatile. On parle de baume s’il y a dans la résine des acides aromatiques tels que le benzoïque et le cinnamique, en particulier. Une gomme-résine s’en distingue par la présence d’amidon ou gomme.

Dans l’Antiquité, le baume était un produit de grande valeur. Il en est plusieurs fois question dans la Bible : « N’y a-t-il point de baume en Galaad ? N’y a-t-il point de médecin ? Pourquoi donc la guérison de la fille de mon peuple ne s’opère-t-elle pas ? » « Monte en Galaad, prends du baume, vierge, fille d’Égypte ! En vain tu multiplies les remèdes, il n’y a point de guérison pour toi. » « Soudain Babylone tombe, elle est brisée ! Gémissez sur elle, prenez du baume pour sa plaie : peut-être guérira-t-elle. » (Jérémie, VIII, 22 ; XLVI, 11 et LI, 8).

L’encens, prière parfumée, a joué un rôle capital dans les rituels de toutes les religions, que ce soit en Égypte ancienne, en Inde, chez les juifs, chez les musulmans, chez les chrétiens, dans le shinto du Japon ou les anciens cultes de Chine, chez les zoroastriens, dans les temples de Memphis ou de Jérusalem... Les Anciens connaissaient l’importance de l’encens lors des rituels. En Occident, l’encens était une prière. Dans le livre de l’Apocalypse de la Bible, cette idée de prière liée à l’encens revient souvent : « Quand il eut reçu le livre, les quatre êtres vivants et les vingt-quatre anciens se prosternèrent devant l’Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d’or remplies de parfums qui sont les prières des saints. » (Apocalypse, V, 8) Plus loin, on lit : « Je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu, et sept trompettes leur furent données. Et un autre ange vint se placer sur l’autel : il tenait un encensoir d’or. On lui donna beaucoup de parfums pour les offrir, avec les prières de tous les saints, sur l’autel d’or devant le trône. La fumée des parfums monta avec les prières des saints de la main de l’ange devant Dieu. L’ange prit l’encensoir, le remplit du feu de l’autel et le jeta sur la terre ; il y eut des tonnerres, des voix et des éclairs et un tremblement de terre. » (Apocalypse, VIII, 2-5)

Les premiers parfums furent obtenus en brûlant des résines et des bois aromatiques, ainsi que l’indique suffisamment le nom « parfum » (per fumum, « à l’aide de la fumée »), et cette découverte, due au hasard comme presque toutes les autres, eut sans doute lieu en Arabie, cette terre classique du parfum où « mille arbrisseaux distillent en pleurant la myrrhe précieuse et le baume odorant » (John Milton, Paradis Perdu).

Avec le touchant instinct de reconnaissance qui poussait les peuples primitifs à offrir à leurs divinités les prémices de tous les produits de la terre, les parfums servirent d’abord d’holocauste et furent bientôt considérés comme le mode de sacrifice le plus agréable à celles qu’ils adoraient. « Soixante-dix hommes des anciens de la maison d’Israël, au milieu desquels était Yaazania, fils de Chaphân, se tenaient devant les idoles, chacun l’encensoir à la main, et il s’élevait un épais nuage d’encens. » (Ézéchiel, VIII, 11)

L’Arabe, à l’imagination ardente et mystique, crut sans peine que ses vœux arriveraient plus vite au séjour immortel portés sur les nuages d’encens qu’il voyait s’élever de la pierre de l’autel et disparaître lentement dans les régions de l’infini, tandis que ces enivrantes vapeurs le jetaient dans une religieuse extase.

Non contents de les admettre dans l’exercice de leur culte, les Grecs en avaient fait l’apanage spécial des dieux et le signe distinctif de leur présence. Homère, lorsqu’il décrit l’apparition d’une divinité, ne manque jamais de parler de l’odeur d’ambroisie qu’elle répand autour d’elle, et, dans une tragédie d’Euripide, Hippolyte mourant s’écrie : « Ô Diane, chaste déesse, je sais que tu es près de moi, car j’ai reconnu ton céleste arôme. » Iris, la blonde messagère des dieux, laisse flotter dans les nuages son écharpe aux mille couleurs, de laquelle s’exhalent de douces senteurs qui remplissent l’atmosphère, et Junon se baigne dans une précieuse essence réservée aux immortels.
En religion comme en médecine, pour l’hygiène et la beauté, le parfum fait partie de la vie de l’homme et de son au-delà, du quotidien et de ses rêves, de ses désirs et de sa mémoire.

L’encens agit sur les corps subtils de l’homme, soit en les harmonisant, soit en exaltant ou calmant l’un d’eux. Il y a des essences ou des résines qui invitent à la dévotion et à la prière comme l’encens des Sept Rayons, et d’autres qui calment notre mental bavard comme le benjoin.

Les effets de l’encens se manifestent au niveau psychologique. Ils sont fonction aussi des souhaits et de la personnalité de l’utilisateur. Toutes les religions utilisent l’encens pour inciter les fidèles au recueillement et à la prière. La structure du temple, les chants religieux, la lumière tamisée qui passe à travers les vitraux, les bougies et l’encens produisent un changement psychologique chez l’assistant.

L’encens produit un changement dans l’atmosphère subtile. Soit il éloigne les formes pensées ou les êtres indésirables, soit il attire les êtres bénéfiques qui peuvent aider à un travail magique et apportent la paix.

L’encens bénit par le prêtre apporte un sentiment de paix et de pureté en chassant toute pensée ou tout sentiment discordant. L’action de magnétiser l’encens peut intensifier ses caractéristiques naturelles, ou peut lui ajouter d’autres vibrations spéciales.

Certains encens ont un pouvoir actif sur la volonté et sont utilisés pour commander certaines forces. Lors des rituels, on peut utiliser divers encens en fonction du moment et de l’effet recherché. Ainsi, pour commencer un rituel, on use d’un encens facilitant le recueillement et, quand celui-ci est obtenu, on brûle l’encens approprié au rituel exécuté.

D’autres encens ont un pouvoir pacificateur (comme les bâtonnets d’encens d’origine indienne) et
préparent l’individu à recevoir.

Les encens japonais dégagent une atmosphère plus éthérée, un peu excitante pour les émotions.
L’emploi de l’encens est très significatif, il est tout à la fois symbolique, honorifique et purificateur.
On a plusieurs fois cherché à classer méthodiquement les odeurs. Four- croy les divisait en cinq catégories, et de Haller en trois. Linné les a partagées en sept sections caractérisées par l’impression qu’elles produisent sur l’économie animale :

1°) L’odeur aromatique, qui est celle des œillets, des lauriers et de toutes les labiées.
2°) L’odeur suave, comme celle de la rose, du lis, du jasmin, du safran, etc.
3°) L’odeur ambrosiaque, comme celle de l’ambre, du musc et de plusieurs géraniums exotiques.
4°) L’odeur alliacée, agréable pour un petit nombre, mais désagréable à la majorité : l’ail, l’asa-foetida et plusieurs autres gommes-résines appartenant à cette catégorie.
5°) L’odeur fétide, comme celle du bouc, du grand satyrion, etc.
6°) L’odeur repoussante, telle que celle de l’œillet d’Inde et de beaucoup de plantes de la famille des solanées.
7°) L’odeur nauséeuse, comme celle des fleurs de Veratrum, du Stapelia variegata, etc.

Piesse, parfumeur-chimiste anglais, répartit les parfums en deux catégories, en fonction des effets produits sur les sens : la clef de sol et la clef de fa.

Piesse dit : « Il y a des odeurs qui n’admettent ni dièses ni bémols, et il y en a d’autres qui feraient presque une gamme à elles seules grâce à leurs multiples nuances. Celle qui contient le plus de variétés est celle du citron. »

Eugène Rimmel fait une classification des odeurs en 18 catégories en n’y comprenant que celles qui sont agréables, et en adoptant pour principe que de même qu’il existe des couleurs primaires dont se forment les nuance intermédiaires, il y a aussi des odeurs mères qui peuvent servir de type, et auxquelles se rattachent les autres, soit à l’état naturel, soit à celui de combinaison. Chaque série de cette classification se compose d’une odeur primaire, et des parfums secondaires qui en approchent.

Les odeurs produisent la joie ou la tristesse, le rire ou les larmes, la gaieté expansive ou la morne taciturnité, suivant les tempéraments et les dispositions d’esprit de ceux qui les respirent. Les unes réveillent les sens, les autres les alanguissent ; celles-ci rendent la pensée plus nette, plus complète, plus vive ; celles-là la font flotter dans le nuage du rêve. Lors même que le sommeil s’est emparé de notre être, les odeurs exercent encore leur empire sur nos sens endormis et peuvent créer ou influencer nos songes.

On pense que ce sont les Arabes, les premiers qui utilisèrent des bois odoriférants et des résines. Ils observaient une chasteté absolue quand ils le recueillaient et, si personne n’en prenait la garde, ils n’étaient pourtant jamais dérobés, tant ils étaient considérés comme le privilège des dieux. Seuls les hommes exempts de toute souillure, occasionnée par les rapports sexuels ou les contacts avec les morts, étaient en droit de procéder à la taille des arbres ou à la récolte de la résine. Mais c’est en Égypte, il y a 5 000 ans, que le mélange des parfums et encens devint une véritable science. Sous l’as- sistance d’un prêtre officiant, les prêtres préparaient les parfums destinés aux rites d’offrandes pour le culte du Soleil (Râ) qui se faisait trois fois par jour : au lever avec de la résine et des essences végétales, à midi avec de la myrrhe ou de la sève de balsamier et au coucher avec le kyphi.

Dans les cérémonies d’embaumement des défunts, les Égyptiens faisaient un large usage des encens. Pendant l’embaumement, les rites étaient destinés à lier le ba (l’esprit, représenté par un oiseau à tête humaine) au ka, c’est-à- dire l’âme, le double immatériel de l’être.

Voici ce que Ramsès II fit graver sur les hauts murs du temple d’Ammon, à Karnak : « J’ai immolé trente mille bœufs, avec toutes les herbes odorifé- rantes et les meilleurs parfums. »
En Judée également, on utilisait les parfums pour oindre les morts : « Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de bandelettes, avec les aromates, selon que les Juifs ont coutume d’ensevelir. » (Jean, XIX, 40)

Les érudits font remonter l’emploi de l’encens dans le rituel judaïque au septième siècle avant notre ère. Une fois adoptée, cette pratique ne fait que s’amplifier au cours des temps. Le premier encens n’était composé que de très peu d’ingrédients tels que stacte, onyx, galbanum et encens mâle pur. Sa préparation par les prêtres était considérée avec le même respect que celle du kyphi des Égyptiens. Soir et matin, il était alors brûlé sur l’Autel des Parfums ou dans des encensoirs, seul, ou pour accompagner des offrandes de viande ou de fruit. Une fois l’an, le grand jour des Expiations (yom kippour), il était introduit dans le Saint des Saints du Temple.

Ézéchiel, « celui que Dieu rend fort », ne parle pas d’encens dans sa description du rituel réformé (Ézéchiel, XL). La première référence explicite à son emploi dans le culte de Yahvé se trouve dans Jérémie (VI, 19-20) : « Voici, moi-même je fais venir un malheur sur ce peuple, fruit de leurs pensées, car à mes paroles, ils n’ont pas été attentifs, et ma Tora, ils la rejet- tent. Qu’est-il pour moi l’encens qui vient de Sheba, la canne à sucre d’une terre lointaine ? » Certaines références au récit biblique montrent que l’en- cens n’est pas toujours nécessaire. Pourtant, une fois admis, il est devenu partie intégrante du rituel et il sera fréquemment cité dans le code sacerdo- tal. L’encens était offert soit pour lui-même, soit en complément à d’autres offrandes. Il était brûlé dans des encensoirs ainsi que, par exemple, le jour des Expiations où le grand prêtre pénètre dans la tente du rendez-vous ou lorsque Aaron courut au milieu de l’assemblée avec un encensoir tout fumant afin de conjurer la Plaie en un acte expiatoire : « Moïse dit à Aaron : “Prends la cassolette ; donne-lui du feu d’au-dessus de l’autel ; mets-y de l’encens. Va vite vers la communauté ; absous-les : oui, l’écume est sortie en face de Yahvé ; la calamité commence.” Aaron le prend, comme lui avait parlé Moïse. Il courut au milieu de l’assemblée. Et voici, la calamité commence contre le peuple. Il donne l’encens
et absout le peuple. » (Les Nombres, XVII, 11-12).

En Perse, les disciples de Zoroastre brûlaient cinq fois par jour l’encens dans le feu sacré.
Dans l’église chrétienne, l’officiant utilise encore de nos jours l’encens lors des rituels.

Dans la tradition japonaise, le parfum ne s’applique pas directement sur le corps, mais il accompagne tous les gestes quotidiens grâce aux sachets d’aromates et d’épices, et on en parfume les vêtements. Le parfum, au Japon, servait aussi de base à des jeux de société tels que le kodo, aussi traditionnel que la cérémonie du thé ou l’art du bouquet. Le jeu consiste à poser sur des feuilles de mica, dans des vasques contenant de la braise chaude, de minuscules copeaux de bois parfumés : les joueurs doivent reconnaître les senteurs correspondantes en glissant dans des enveloppes de soie des jetons représentant la matière du parfum. À la fin de la partie, les enveloppes sont dépouillées, et l’on compta- bilise les bonnes réponses pour désigner le vainqueur. Un autre jeu, le Genji, proposait aux joueurs de reconnaître des parfums représentant le printemps (fleur de prunier), l’été (menthe), l’obéissance bouddhique (jiju), l’automne (chrysanthème), la chute des fleurs (rakka), l’hiver (kurobo), etc.

Sous les Ptolémées, les principales fabriques de parfums se trouvaient à Alexandrie, approvisionnées depuis l’Arabie et la Perse, la Chine et les Indes. C’est d’ailleurs des Indes que l’on importait le fameux nard indien, extrait d’une plante herbacée de la famille des valérianacées, âcre et très odorant qui joua un rôle majeur en gastronomie et en parfumerie jusqu’à la fin du Moyen Âge.

Le célèbre papyrus d’Ebers (1150 avant J.-C.) est le tout premier écrit historique qui soit entièrement consacré à la parfumerie. Le texte, pratique et judicieux, témoigne de l’importance de la science égyptienne, en ce qui concerne l’usage et la fabrication des parfums, dont l’Égypte fut la première exportatrice.

La senteur à succès de l’Égypte antique est sans nul doute le bakkaris, essence assez violente de rose et d’iris.

Le commerce des parfums et de l’encens était en effet très important en Égypte, surtout avec l’Arabie et la Judée.

Les parfums égyptiens les plus courants se présentaient sous la forme d’huiles odoriférantes. La myrrhe et l’encens, le galbanum et l’opopanax figurent déjà dans les formules égyptiennes.

Les parfums se vendaient à des prix très élevés. Nous lisons dans la Bible : « Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme, Marie Madeleine, entra pendant qu’il se trouvait à table. Elle tenait un vase d’albâtre qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix ; elle brisa le vase et répandit le parfum sur la tête de Jésus. Quelques-uns expri- mèrent entre eux leur indignation : à quoi bon perdre ce parfum ? On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. » (Marc, XIV, 3-5) Et le Christ de répondre : « Elle embaume mon corps comme pour ma sépulture. Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, mais, moi, vous ne m’aurez pas toujours... » (Marc, XIV, 7).

En Égypte, les femmes nobles et les princes royaux utilisaient toute une gamme de parfums, sous de nombreuses formes : baumes et onguents, huiles et pommades.

Suprême raffinement, les Égyptiens aimaient à porter sur la tête des petits cônes fondants d’essences balsamiques qui parfumaient leur visage. Et l’on connaît le luxe de Néfertiti qui baignait sa beauté dans de l’eau de jasmin avant de s’oindre d’huile de santal, d’ambre et d’extraits de fleurs rares, de s’étirer l’œil au khôl noir, de teindre en bleu les veines de ses bras, de dorer ses ongles et de rougir ses paumes au henné... Les hommes aussi complétaient leurs ablutions par des onctions parfumées, surtout à l’occasion des fêtes.

Chez les Égyptiens, la momification corrobore les théories métaphysiques de leur civilisation selon lesquelles la vie terrestre n’est qu’un passage et se prolonge dans l’au-delà, indéfiniment, au royaume d’Osiris. À la brièveté de la vie du corps s’oppose l’éternité de l’esprit.

La longue cérémonie de momification revêt, pour le pharaon, un lustre et une solennité sans pareil. Dans le grand silence inhérent aux choses de la mort, on étend le cadavre sous la tente de purification, où il est d’abord soumis à une aspersion d’eau lustrale, à base d’herbes aromatiques, puis on l’oint d’huiles spéciales : il est alors prêt pour l’embaumement. Chaque membre est emmailloté de bandelettes de lin royal après avoir été soigneusement enduit d’huile sacrée, composée de plantes ankh-imy et senebnetjery, de natron et de bitume (les reconstitutions qui en ont été faites n’ont pas été très probantes, il nous manque sans doute le savoir-faire !) Dans le rite mortuaire, l’ouverture de la bouche de la momie revêt une importance capitale : par l’orifice buccal, l’esprit devrait à nouveau venir visiter le corps... Après les fumigations et les sacrifices d’encens, le prêtre-sem, membre du clergé du dieu Ptah, se charge d’animer la momie en faisant le geste d’ouvrir les orifices de la tête, puis on bourre ces orifices de tampons d’ouate salés et parfu- més...Tous les orifices ainsi obturés, la peau est enduite d’huile de cèdre, de cinnamome et de myrrhe. Enserré de bandelettes trempées dans du bitume et recouvertes de gomme d’acacia pour les rendre plus brillantes, cuirassé de parfums, le pharaon momifié peut rejoindre Osiris dans l’autre monde. Il va enfin dormir dans son hypogée, accompagné de ses serviteurs, au milieu des insignes de sa puissance et des attributs divins de fils du Soleil.

Ce sont les Égyptiens qui enseignèrent l’art subtil de la parfumerie à leurs esclaves, les Hébreux. Lorsque ces derniers partirent en exil, ils emportèrent avec eux les formules et les compositions aromatiques dont ils prescrivaient l’emploi dans les textes sacrés. Le livre de l’Exode, dans la Bible (Exode, XXX, 34-38), donne la recette exacte du parfum sacré. Yahvé dit à Moïse : « Prends pour toi des épices, benjoin, styrax, gommes, épices, encens épuré ; ce sera part pour part. Fais-en un encens, une drogue faite par un droguiste, salé, pur, consacré. Pulvérise-le fin. Donne-le en face du témoignage, dans la tente du rendez-vous, là où je me rendrai pour toi, il sera pour vous sacrement des sacrements. L’encens que tu feras selon sa formule, tu ne le feras pas pour vous, il sera consacré pour toi, pour Yahvé. L’homme qui en fera un identique pour le sentir sera tranché de ses peuples. » La formule de l’huile de l’onction sacrée est encore plus précise. Yahvé parle à Moïse pour dire : « Et toi, prends pour toi des aromates de tête, myrrhe franche, cinq cents ; cinnamome aromatisé, sa moitié, deux cent cinquante ; canne aromatique, deux cent cinquante ; cannelle, cinq cents au sicle du sanctuaire ; huile d’olive, un în. Fais-en l’huile de messianité, consacrée, drogue de droguerie, faite par un droguiste ; ce sera huile de messianité, consacrée. Messie, avec la tente du rendez-vous, le coffre du témoignage, la table et tous ses objets, le candélabre et ses objets, l’autel de l’encens, l’autel de la montée et tous ses objets, la vasque et son assise. Consacre-les. Ils seront sacrements des sacrements : qui les touchera sera consacré. Tu messieras Aarôn et ses fils, consacre-les à desservir pour moi. Aux Benéi Israël tu parleras pour dire : l’huile de messianité consacrée, cela sera pour moi en vos cycles. Sur chair d’humain, elle ne sera pas faite en libation, selon son contenu vous n’en ferez pas d’identique. Elle est consacrée ; elle sera consacrée pour vous. L’homme qui fera drogue identique et qui en donnera à un étranger sera tranché de ses peuples. » (Exode, XXX, 22-33).

Il faut bien distinguer, chez les Hébreux, le parfum par excellence, l’en- cens surtout (grains d’oliban qui se consument à la gloire du Très-Haut), des autres parfums plus répandus dans le monde profane.

Devenue province romaine, l’Égypte copie les usages et les abus de ses vainqueurs. Avec le passage des Arabes qui détruisirent tant de souvenirs ethniques de l’Antiquité, les secrets de jadis se perdirent. Devenue vassale de Mahomet, l’Égypte n’offre plus de parfum sur l’autel, désormais déserté, de ses dieux.

Le rayonnement et le sillage parfumé de l’envoûtante Égypte se répandent sur toutes les côtes du bassin méditerranéen, s’insinuent en Mésopotamie, courent en Asie Mineure avant d’atteindre la Grèce et de trouver leur véritable terre d’asile à Rome.

Les Grecs, gros consommateurs de parfums, ne se contentèrent pas d’em- ployer des résines et des baumes, mais firent aussi un grand usage d’hui- les parfumées. Grâce à eux, les parfums trouvèrent leur vocation. Ils étaient employés lors des sacrifices offerts aux divinités. Avec les Romains, ils descendirent dans la rue. Cette civilisation parfuma les bains, les huiles des lampes, les vêtements. Chypre devint alors une des premières « terres à parfum ». Byzance en établit les règles de fabrication. C’est à cette époque qu’Avicenne, célèbre médecin arabe du xe siècle inventa les premiers appa- reils de distillation, comme le serpentin qui permet la condensation de la vapeur d’eau pour arriver à l’alcool.

Au viie siècle avant J.-C., Babylone, Ninive et Carthage constituaient les centres majeurs de la fabrication des parfums : la gomme odorante d’Arabie, le camphre de Chine et le cinnamome d’Inde donnèrent naissance à de fructueux trafics. Baal et Astarté étaient honorés sur de somptueux autels où les parfums des aromates les plus rares se mêlaient au sang des sacrifices. Mais Persépolis, Palmyre et les hauts lieux d’Asie Mineure laissaient aussi transparaître un goût pour les senteurs plus subtiles : cèdre, mimosa, lis, jasmin, rose et crocus.

Les plantes sont à l’origine de nombreux parfums. On en extrait la senteur soit de la fleur, du fruit, de la graine, de la racine ou de la végétation, soit d’une combinaison de ceux-ci, comme c’est le cas notamment pour l’oranger.

Ainsi, les graines de l’anis fournissent une substance entrant dans la composition de certains encens, tout comme les feuilles de la verveine et du laurier, les racines du ginseng et de la réglisse, la fleur de rose et de la lavande.

On utilise aussi des boutons comme le girofle et des résines telles que le benjoin, la myrrhe, le galbanum, des mousses comme celles du chêne, et aussi des herbes aromatiques, comme le thym, le romarin, le basilic...

Les animaux fournissent également des matières de base pour les encens et les parfums. Il y a quatre substances animales : le castoréum, le musc, la civette et l’ambre gris. L’ambre gris est une substance graisseuse qui ressemble à la cire et se trouve dans les intestins et l’estomac du cachalot Physeter macrocephalus Linnaeus. Celui-ci libère spontanément ce produit, qui est recueilli quand il flotte sur la mer ou sur les plages, dans l’océan Indien ou les mers australes aux environs de Madagascar, de la côte de Coromandel, des îles Moluques et du Japon. L’ambre gris semble être un résidu de digestion, car on y trouve des becs et des mâchoires de seiches et de grosses arêtes. En parfumerie, il sert de fixateur. L’ambre gris, de l’arabe alànbar, à ne pas confondre avec le succin, ou ambre jaune (en grec elektron), une résine fossile des rives de la Baltique. Ce produit est aussi cher que l’or. Lorsqu’il est fraîchement expulsé par le cachalot, il est mou, noirâtre, à l’odeur nauséeuse. Au contact de l’air et de la mer, il devient gris argenté ou brunâtre et durcit, tandis que son odeur se modifie pour devenir plus agréable.

L’ambre entre dans la composition des encens Vehuel et Soleil, et on le retrouve aussi dans l’art culinaire. Ce serait un aphrodisiaque : il fut l’arôme indispensable du chocolat mousseux dont Casanova chantait les vertus revigorantes.

L’ambre gris en application sur l’endroit malade ferait disparaître les œdèmes, il pourrait fortifier le cœur, guérir les affections de l’estomac et de l’intestin, faire disparaître la migraine et fortifier le cerveau. S’il est brûlé sur des charbons ardents, il pourrait combattre les épidémies, calmer les tics, les convulsions des enfants et même l’épilepsie.

Les parfums « ambrés » sont chauds et pénétrants, voluptueux et provocants ; les notes animales y sont largement prédominantes (avec des épices, des résines, des bois et certaines fleurs). Utilisé sous forme de « teinture » (ambre broyé, macéré dans de l’alcool, filtré et vieilli), ce produit prestigieux dégage une odeur marine légèrement musquée, à la fois terreuse et « taba- cée » tout à fait inimitable.

Dans sa Technique moderne de la parfumerie (1929), H. Fouquet donne encore un « baume de vie » recommandé non seulement comme parfum capiteux, mais aussi comme « propre à relever les forces abattues par l’âge ou par l’abus des plaisirs » : ambre gris, huile de ricin, huile de rue, cannelle, citron, girofle, lavande, macis et marjolaine, dans de l’alcool à 90°.

L’ambre gris fixe les désirs, donne de la persévérance et de la résistance à l’effort.

Mario Torres

 

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