L'étude d'un fémur humain datant de 500.000 ans révèle les interactions hommes-carnivores au Pléistocène moyen en Afrique du Nord

Vue du site de la Grotte à Hominidés où a été découvert le fémur humain (Carrière Thomas I, Casablanca) (photo C. Daujeard).
Vue du site de la Grotte à Hominidés
où a été découvert le fémur humain (Carrière Thomas I, Casablanca)
(photo C. Daujeard).

 

L’étude d’un fémur humain datant de 500.000 ans révèle les interactions hommes-carnivores au Pléistocène moyen en Afrique du Nord.
 
Un fémur humain portant des traces de morsures de carnivore découvert par une équipe franco-marocaine (projet ‘Casablanca’ – INSAP, MAEDI, Max Planck) dans le site de la Grotte à Hominidés de la carrière Thomas I à Casablanca vient de faire l’objet d’une étude récemment publiée dans la revue Plos One. Cette grotte est célèbre pour ses restes humains attribués à Homo rhodesiensis, découverts dans des niveaux datés d’environ 500 000 ans et associés à de nombreux restes de mammifères et outils en pierre. La question de leurs relations avec les autres occupants de la grotte était restée jusqu’à maintenant en suspens. Cette découverte permet de préciser les interactions hommes-carnivores au sein du site et plus largement au Pléistocène moyen en Afrique du Nord.

 

Découvert lors des fouilles de 1994, ce fragment de diaphyse fémorale n’a cependant été identifié qu’en janvier 2012 à l’occasion de la reprise de l’analyse paléontologique des anciennes collections par l’un des membres de l’équipe. Réduit à sa partie médiane, ce fémur a la particularité de présenter des traces de consommation par un grand carnivore, très probablement une hyène du fait de la taille des marques et du degré de fracturation.
 
Au Pléistocène moyen, la compétition avec les grands carnivores est forte, à la fois pour les ressources et les habitats. Pourtant les témoins de confrontation directe, comme des traces de blessures sérieuses ou même mortelles, sont rares. Les marques de dents découvertes sur le fémur de la Grotte à Hominidés sont des traces de consommation qui ne permettent pas de déterminer si l’individu a été chassé ou charogné par le prédateur, de même que pour la plupart des restes humains présentant des traces de morsure au Pléistocène. Elles apportent néanmoins la première preuve d’un rôle direct des carnivores dans l’origine des restes humains dans la grotte, comme c’est le cas pour la majeure partie des ossements d’animaux associés, identifiés comme des accumulations de repaire de carnivores.
 
Il y a 500 000 ans, les acquis techniques et les stratégies de défense et de confrontation permettent aux homininés d’éloigner les carnivores, ou même de les chasser pour les consommer. En effet, dans le site voisin de la Grotte des Rhinocéros les hommes ont eu des accès premiers à certaines carcasses d’herbivores, comme l’attestent l’emplacement des traces de boucherie sur des ossements d’antilopes et de zèbres. Il apparaît donc que selon les circonstances, plus que selon leurs aptitudes, le statut des homininés dans la chaîne alimentaire à cette période du Pléistocène alternait entre prédateurs-charognards et proies-charognes.
 
La comparaison de l’évolution de la guilde des carnivores et des comportements humains au Pléistocène, ainsi que l’analyse de données nouvelles, comme celle de ce reste humain mâchonné, permettront à l’avenir de mieux évaluer les changements dans les degrés de compétition et les interactions hommes-carnivores à cette période.
 
Le site préhistorique de la carrière Thomas I à Casablanca est l’un des plus importants pour la connaissance des premiers peuplements d’Afrique du Nord-Ouest. Les missions qui y sont menées depuis 1988 dans le cadre de la coopération franco-marocaine sont co-financées par le Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, la Région Aquitaine, le Département d’Evolution Humaine de l’Institut Max Planck de Leipzig (Allemagne), l’INSAP (Maroc) et le projet européen IRSES-Memoquat.

Marques de carnivore sur l’extrémité distale de la diaphyse fémorale (échelle 1 cm, grossissement X 20) (photos C. Daujeard).
Marques de carnivore sur l’extrémité distale
de la diaphyse fémorale (échelle 1 cm, grossissement X 20)

(photos C. Daujeard).

 

Alerte presse Muséum national d’Histoire naturelle – 17 mai 2016

Référence : Camille Daujeard1, Denis Geraads2,3, Rosalia Gallotti4,5, David Lefèvre6, Abderrahim Mohib7, Jean-Paul Raynal3,5, Jean-Jacques Hublin3* (2016) Pleistocene Hominins as a Resource for Carnivores : A c. 500,000-Year-Old Human Femur Bearing Tooth-Marks in North Africa (Thomas Quarry I, Morocco). PLoS ONE 11(4): e0152284. doi:10.1371/journal. pone.0152284
 
1 « Histoire Naturelle de l’Homme Préhistorique » (HNHP, UMR 7194), Sorbonne Universités, MNHN,
CNRS, UPMC, UPVD, Paris, France
2 « Centre de Recherche sur la Paléobiodiversité et les Paléoenvironnements » (CR2P, UMR 7207), Sorbonne Universités, MNHN, CNRS, UPMC, Paris, France
3 Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Department of Human Evolution, Leipzig, Germany
4 Dipartimento di Scienze dell'Antichità, Università di Roma La Sapienza, Via dei Volsci 122, 00185 Roma, Italy
5 De la Préhistoire à l'Actuel, Culture, Environnement, Anthropologie » (PACEA, UMR 5199 CNRS), Université de Bordeaux, Pessac, France
6 «Archéologie des Sociétés Méditerranéennes » (UMR 5140 CNRS), Université Paul Valéry-Montpellier 3, France
7 Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine, Rabat, Morocco