Les secrets de la tombe d'Amenhotep II

 Par Pierre-Louis Calatayud
Diplômé en histoire de l'art et archéologie
à l'Ecole du Louvre, Paris

Le Nouvel Empire est une période d’apogée pour l’Egypte, marquée par un essor artistique important. Il s’agit d’une période d’extension pour ce pays dont le territoire a pour limites le Soudan au sud et l’Euphrate au nord. Cette période recouvre une succession de trois dynasties: la XVIIIe, la XIXe et la XXe dynastie.
La Vallée des Rois, Egypte © istock

Le Nouvel Empire est une période d’apogée pour l’Egypte, marquée par un essor artistique important. Il s’agit d’une période d’extension pour ce pays dont le territoire s'étend jusqu'au Soudan au sud et l’Euphrate au nord. Cette période recouvre une succession de trois dynasties: la XVIIIe, la XIXe et la XXe dynastie.

 

Aakhépérourê Amenhotep II est le sixième roi de la XVIIIe dynastie qui dure environ 200 ans. Il règne de 1454 – 1419 av. J.-C. Il est le fils et successeur de Thoutmosis III. D’ailleurs il va s’employer à consolider les conquêtes de son père. Son successeur est le roi Thoutmosis IV. Amenhotep II est enterré dans la vallée des rois, dans la tombe KV 35, dans laquelle on a retrouvé sa momie intacte, le cou entouré d’une guirlande de fleurs, qui reposait dans son propre sarcophage, fait rare sinon unique. La momie restera exposée dans la tombe jusqu’en 1928 date à laquelle elle fut transférée au musée du Caire. La KV 35 se situe dans la vallée des rois. C’est-à-dire la nécropole royale sur la rive Ouest du Nil au niveau de Thèbes et au pied de la montagne thébaine.

 

La tombe a été découverte par Victor Loret le 9 mars 1898. Celui-ci est alors directeur du service des Antiquités égyptiennes. La découverte de ce tombeau est de première importance puisqu'on y a retrouvé la momie royale du roi Amenhotep II lui-même, les momies de deux autres membres de sa famille dont probablement sa mère Hatchepsout II Mérirê (seconde épouse royale de Thoutmosis III), ainsi que 17 autres dépouilles d’ordre royal mises à l’abri des pillards à la XXIe dynastie par le Grand Prêtre Pinedjem. On pouvait y trouver aussi des dépouilles non identifiables (dont la « Young lady » and the « Elder Lady »). La tombe bien que pillée a livré un matériel funéraire.

 

Un exemple remarquable par son plan particulier et son décor complexe, de l’architecture funéraire royale du début du Nouvel Empire

 La tombe est située sur le versant opposé du ouâdi principal et son entrée est orientée au Sud Est.

        

La tombe d’Amenhotep II est une des grandes réalisations de l’architecture funéraire du début de la XVIIIème dynastie. Elle est en assez caractéristique par son plan coudé.

 

Cette dernière se comprend plus facilement au vu de la tombe royale qui l’a précédée. En effet, elle imite en partie le plan de la tombe de Thoutmosis III (la KV34 découverte elle aussi par Victor Loret juste avant la KV35) : Le nombre de corridors, de chambres et d’escaliers (à une exception près, c’est ceux qui mènent au sarcophage dans la KV35) sont les mêmes que dans la KV 34 (Thoutmosis III). La tombe s’organise en coude donc dans la tradition des architectures de tombes royales précédentes.

 

Nous pouvons observer le même enchaînement de salles : entrée – escaliers – premier corridor – escaliers – corridor en pente – et un puit non décoré, au fond duquel se trouve une salle annexe, une chambre non décorée – de l’autre côté du puit se trouve une première salle à pilier qui fait « angle » et effectue sur le plan une rotation de presque 90° pile et on y trouve 2 piliers – ensuite un escalier qui mène à la chambre funéraire à laquelle sont reliées 4 autres « pièces de stockage » (comme dans la tombe de Thoutmosis III (KV34). La chambre funéraire se compose en deux parties, une section haute à 6 piliers et une partie basse qui occupe un tiers de la salle. Dans la chambre sépulcrale se trouve le sarcophage (comme dans la KV34) en quartzite du roi, dans la partie basse c’est pourquoi on appelle cette partie basse la « crypte ». Elle est reliée à la section haute par un escalier. La chambre funéraire à six piliers est flanquée de quatre annexes disposées le long des côtés est et ouest, ces dernières étaient fermées par des portes (comme l’entrée de la chambre funéraire) probablement en bois qui ont disparu.

 

La KV35 (Amenhotep II) présente malgré tout beaucoup de différences, notamment avec la KV34 (Thoutmosis III).
Tout d’abord, les progrès techniques ont permis de régulariser le plan. En effet, l’asymétrie des plans des tombes précédentes disparaît tandis que de nouveaux éléments sont ajoutés au plan.

 

La forme en cartouche de la chambre funéraire est abandonnée pour un rectangle.

 

Cette chambre funéraire est divisée en deux niveaux ce qui est une nouveauté. Les deux niveaux sont espacés de (five steps en anglais). En outre, cette salle présente 3 paires de piliers en son centre, soit 6 en tout ce qui est plus que dans les tombes précédentes, notamment la KV34 qui en comportait 2.

 

Autre élément nouveau, une salle annexe a été creusée au fond du puits et n’est pas décorée, donc ne possède pas d’indices sur sa fonction où son utilisation d’autant plus que le mobilier funéraire a été pillé.

 

Le plan de la tombe KV35 s’inscrit donc dans la continuité des premières tombes de la XVIIIe dynastie avec son plan coudé et sa répartition globale des salles. Il est très proche de la tombe KV34 du pharaon Thoutmosis III. En revanche il ajoute un certain nombre d’éléments, et se caractérise par une approche plus formalisée, plus monumentale qui illustre le désir du roi d’étendre et de perfectionner le plan des précédentes tombes de ses prédécesseurs.

 

La seule salle décorée est la chambre funéraire. Elle est décorée de scènes d’accueil du roi par différentes divinités funéraires sur les piliers (Anubis, Osiris et Hathor selon différentes dénominations) mais aussi d’un exemplaire complet du Livre de l’Amdouat et son abrégé. Le plafond est décoré d’un ciel d’étoiles dorées sur fond bleu sombre.

 

Les murs présentent Le livre de l’Amdouat sous forme d’un papyrus déroulé le long des murs dans des couleurs noires et rouges. Les parois sont décorées en 3 registres traités dans un trait assez fins accompagné d’inscriptions en hiéroglyphes cursifs. Les scènes sont accompagnées de personnages de style épuré et correspondant au style utilisé pour décorer les papyrus, c’est assez proche stylistiquement de ce qu’on trouve dans la KV34 (TIII). Dans la tombe d’Amenhotep II, le texte est complet et bien conservé (on a perdu très peu de signes).

 

Le décor ne présente de polychromie que sur les bords multicolores des parois présentant le Livre de l’Amdouat, sur le plafond qui représente le ciel et les parures, bijoux, regalia, et autres coiffes pour les représentations sur les piliers. 

 

Le scribe qui a réalisé le texte copiait surement un original (probablement sous forme de papyrus) sur lequel les trois premières heures devaient être endommagées. Sur ces parois on pense reconnaître la main de plusieurs scribes en fonction des erreurs qu’on trouve dans le texte. Le texte et les dessins ont été écrits à l’encre rouge et noire.

 

Ce décor, uniquement présent dans la salle du sarcophage, est principalement composé du Livre de l’Amdouat et de son abrégé. Il s’agit d’un des plus anciens des grands textes funéraires royaux du Nouvel Empire que l’on connaît. On l’a d’abord dans la tombe de Thoutmosis III pour la première fois complet mais il pourrait remonter au règne de Thoutmosis Ier où peut être au tout début de la XVIIIe dynastie.  On ne possède que 3 exemplaires complets, ceux des tombes de Thoutmosis III et Amenhotep II et la version non royale de Ouseramon (on a aussi des fragments dans la tombe d’Amenhotep III KV22). Ce livre s’intitule de manière complète : « Écrits de la Chambre cachée » (Chambre cachée sous-entendu la chambre funéraire/ le tombeau). Dans certains vieux ouvrages le titre est traduit comme « Le Livre de ce qu’il y a dans l’Hadès » mais ce titre n’est plus très utilisé, « l’Hadès » étant une ancienne dénomination pour qualifier la Douat. C’est une description par l’image et le texte du voyage du soleil pendant les 12h de la nuit. Chacune des heures de la nuit correspond à un espace parcouru par le dieu dans le sens Ouest-Est. 

 

Le texte a pour fonction de faire « Connaître les âmes de ceux de la Douat, connaître ce qu’(ils) font, connaître leur glorification de Rê. Connaître les âmes secrètes, connaître ce qui est dans les heures et leurs divinités. Connaître l’appel qu’il (= Rê) leur adresse. Connaître les portes et les chemins qu’emprunte le grand dieu. Connaître le parcours des heures et leurs divinités. Connaître les élus et les damnés ». En fait, le roi s’identifie au soleil qui réalise son voyage nocturne : il se couche à l’ouest, s’enfonce sous terre, passe par le nord de la Douat, et renaît à l’est. S’identifier au soleil permet au roi de se régénérer à son tour pour ainsi renaître lui aussi. Donc pendant tout le texte il faut garder à l’esprit que la divinité solaire qui y est décrite est associée au roi sans que le nom du roi ne soit inscrit dans le texte.

 

Tout cela se déroule dans le « monde inférieur » (au-delà) pendant la nuit où le dieu se régénère avant de renaître le lendemain. On a toujours sur le registre médian la barque du soleil. Heures après heures, elle progresse avec à son bord des divinités que le roi aspire à rejoindre pour aider la divinité solaire (le soleil) à triompher des ennemis et des obstacles qui se dresseront sur sa route.

 

Le décor de la tombe est en relation directe avec son architecture :

 

Amenhotep II place les heures du Livre de l'Amdouat dans un ordre numérique (c’est-à-dire que les heures sont placées dans l’ordre croissant des chiffres de 1 à 12 (de manière continue) et dans le sens des aiguilles d’une montre. Et ce donc sur tous les murs de la pièce. On a donc :

-          Mur du fond de la salle (face à l’entrée) est au sud-ouest = introduction, 1ere et seconde heures.

-          Le mur nord-Ouest : porte la troisième, la quatrième, la cinquième, et la première moitié de la sixième heure. Les portes de ce mur (chambres I et II) sont entourées des troisième et cinquième heures.

-          Le mur nord-est : seconde moitié de la sixième, la septième et la huitième heure.

-          La porte d’entrée est entourée des textes de la septième heure.

-          Le côté sud-est est couvert des textes des neuvièmes, dixièmes, onzièmes et douzièmes heures et de l’abrégé.

-          Aux deux portes (chambre IV et III) on lit la onzième heure et l’abrégé.

 

Le texte commence avec la première heure sur le mur adjacent au pied du sarcophage et se termine avec la douzième heure et se termine sur la même paroi, à gauche près de la tête du sarcophage. Cela représente un cercle, qui représente le cycle du soleil. Cela permet de représenter de façon cyclique et circulaire, presque en mouvement le voyage du soleil pendant la nuit (ce qui participe à une certaine narration).

 

Ce choix induit une certaine corrélation entre les heures et l’architecture de la chambre funéraire.

 

Le cycle des heures commence avec la première heure placée sur le mur derrière le sarcophage dans la crypte (partie basse). Cette crypte est l’endroit le plus bas et le plus profond de la chambre, elle est comparable aux profondeurs de la Douat. Le soleil à la fin de la première heure représente le roi défunt entrant dans la Douat depuis son tombeau.

 

Les cinquième et sixième heures sont très importantes. Le ba de Rê (la divinité solaire) s’unit (fusionne) avec la dépouille d’Osiris. Ces heures sont placées sur le mur ouest de la chambre funéraire. Cette position correspond peut-être avec la descente dans la Douat que le soleil (dieu solaire) effectue au crépuscule, comme Rê commence sa descente vers la tombe d’Osiris représentée sous forme de tertre dont sort un scarabée.

 

La porte d’entrée de la chambre funéraire est encadrée de part et d’autre de la septième heure dans laquelle la divinité solaire a juste émergé (à nouveau jeune/rajeunit) des eaux primordiales du Noun dans la caverne. Le dieu solaire est vulnérable. Dans le but de le protéger, cette heure est remplie de scènes de punitions d’ennemies. Âapep (âpopis) sous la forme d’un serpent (incarnant les forces du chaos qui existaient avant la création et qui, repoussées à la périphérie du monde au moment de celle-ci, menacent perpétuellement l’œuvre du créateur, on ne peut pas le tuer seulement le repousser), l’ennemi archétype de Rê qui essaye d’arrêter la progression de la barque solaire. Il est ligoté, tenu en laisse avec 6 couteaux fichés dans son corps sur un banc de sable tandis que les ennemis d’Osiris sont enchaînés et décapités. Les scènes d’ennemis punis sont fréquentes sur les scènes apotropaïques de massacres d’ennemis à l’entrée des temples, sur les pylônes, cela servait à protéger les espaces sacrés à l’intérieur, des forces du chaos. Par leurs placement au niveau de l’entrée de la chambre funéraire, ces scènes étaient donc destinées à protéger le roi défunt des forces maléfiques.

 

La douzième heure décrit l’émergence du soleil sous la forme du scarabée Khepri à l’aube. Elle est située près des pieds du sarcophage et près d’une ouverture (vers une des salles annexes). Il s’agit du mur Est, ce qui est parfaitement approprié puisque c’est la direction du soleil levant (renaissant).

 

Ce cycle permet donc au roi reposant dans la crypte, de renaître des profondeurs de la Douat à l’aube.

 

Les textes et représentations de l’Amdouat dans la tombe KV35 ne contiennent pas le nom du roi. Cependant il est présent sur les six piliers de la chambre funéraire qui présentent des grandes figures du roi recevant des signes ankh des divinités principales de l’au-delà Hathor, Anubis et Osiris. Le roi apparaît quatre fois sur chacun des six piliers, il est donc représenté 24 fois sur les faces des piliers, cela correspond à une représentation du roi pour chaque heure du jour et de la nuit. Chacune des scènes contient le nom du roi, et le nom et l’épithète de la divinité, cela donne une omniprésence du roi dans la chambre funéraire.

 

Ici Hathor, qui accompagne Rê dans sa barque en tant que « maîtresse de la barque », tient le signe ankh (signe de vie) et le présente au souverain sur les huit faces des piliers 3 et 6 qui sont les piliers les plus proches du sarcophage. Ses épithètes sont « Maîtresse du ciel » et « A la tête de la nécropole » sur la face sud du pilier 3 et « A la tête de Thèbes » et « Maîtresse du ciel » sur la face sud du pilier 6. Ces deux piliers font face au sarcophage ce qui souligne son rôle à la fois de divinité à caractère solaire et à caractère funéraire. Tout comme les images de régénération du roi dans l’au-delà, les images la représentant au près du sarcophage, donc auprès du mort, ont pour fonction de l'aider à renaître.

 

Les premières et dernières heures sont représentées de part et d’autre du sarcophage, représentant le roi entrant dans la Douat au crépuscule et renaissant régénéré à l’aube. La septième heure avec ses scènes apotropaïques garde l’entrée de la chambre cachée du roi, protégeant ainsi le roi. La personnalisation du texte pour le roi et ses interactions avec les dieux deviennent formalisées dans cette tombe avec ces premières grandes représentations du roi en pied sur les piliers de la chambre funéraire.

 

Ici l’architecture et le décor s’unissent pour créer le microcosme de la Douat mais dans une manière et un style plus formalisé et plus monumental (que les tombes précédentes).

 

La tombe d’Amenhotep II, tout en suivant une tradition poursuit une élaboration d’une architecture et d’un décor complexe. Innovant en abandonnant les murs courbes pour des parois droites, donnant un aspect plus monumental et en ajoutant de nouveaux éléments tel que la crypte qui imite la profondeur de la Douat. Le décor présentant le roi mais aussi le texte funéraire de l’Amdouat crée une narration, un espace symbolique qui résulte d’une combinaison d’architecture et de décor. La tombe royale KV35 nous révèle à travers son plan et son décor la volonté très forte d’un grand pharaon du Nouvel Empire de perfectionner/améliorer la tombe royale et surtout sa volonté de renaître, à l’aube.

 

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