La statue d’Amon protégeant le pharaon Toutânkhamon,
Reproduction métro Louvre-Rivoli
© Pierre-Louis Calatayud
C'est une des œuvres majeures du musée du Louvre. Le dieu Amon est assis sur un trône. Il est représenté sous forme humaine. On le reconnaît à son casque plat surmonté de hautes plumes. Des parures soigneusement détaillées tel qu’un collier et des bracelets, ornent son cou et ses bras. Il tient par les épaules le roi qui est debout. Le souverain porte le costume des prêtres d'Amon. Le groupe a subi de nombreux dommages. La tête du roi a été détruite et ses bras sont manquants. Les mains d’Amon ont aussi été supprimées. Le pilier dorsal est recouvert d’une inscription. Les cartouches royaux qui s’y trouvaient ont été complètement effacés à l’exception des noms des divinités qu’ils contenaient.
Amon est un dieu de Thèbes, son nom signifie le « Caché ». C’est une divinité en réalité assez ancienne. Il a connu une fortune assez extraordinaire par la suite. A la XIIe dynastie, il est sorti de l’ombre par le roi Amenemhat Ier « Amon est prééminent », fondateur de cette XIIe dynastie. Il est alors associé à la royauté. Considéré auparavant comme un dieu de l’air, du vent ou parfois de la fécondité, il est désormais « Amon, roi des dieux, maître des trônes du Double Pays ». A cette époque est fondé son temple à Karnak. Il va détrôner Montou (dieu guerrier de la région thébaine, connu lui aussi depuis les textes des pyramides) en tant que dieu principal pour devenir un dieu dynastique, un dieu d’Empire à la période du Nouvel Empire. Il fait partie d’une des plus importantes triade divine avec Mout, son épouse et Khonsou, son fils. Au Nouvel Empire, il devient père du pharaon selon le mythe de la naissance, et assure au pharaon la royauté lors du rituel de couronnement. C’est donc un garant de la légitimité du souverain sur lequel il veille tout au long de sa vie. Il l’aide d’ailleurs au combat, le protège et l’aide à remporter la victoire. En échange de quoi le pharaon cède une part considérable du butin au dieu. C’est pourquoi c’est aussi un des dieux les plus riches d’Egypte, du moins c'est le cas de son clergé. Et c’est un dieu créateur, il est identifié au démiurge Rê sous sa forme Amon-Rê, il a donc un caractère universel.
Toutânkhamon est probablement le roi le plus connu de la XVIIIe dynastie mais la majeure partie de son règne est peu documentée. C’est la découverte de sa tombe KV62, en novembre 1922 qui lui donne sa célébrité. En effet il s’agit de la seule tombe royale de la XVIIIe dynastie trouvée quasiment intacte avec son mobilier funéraire. Son nom a été effacé des listes royales notamment celles d’Abydos et de Karnak. Ses liens de parenté, notamment parmi la famille amarnienne, sont aussi obscurs. Il a sûrement été élevé à Amarna. On trouve des références à cette période dans son mobilier funéraire, comme par exemple la représentation d’Aton sur le dossier de son trône. Il est couronné vers ses 10 ans. Il est sans doute assisté dans son rôle, du moins au début, par Ay et Horemheb, deux membres importants de l’ancienne cour d’Akhénaton et ses successeurs. En l’an 2 de son règne, le nom d’Aton dans la titulature du couple royal, est remplacé par celui d’Amon. Il existe un grand nombre de statues et de reliefs représentant à l’origine Toutânkhamon en compagnie, notamment, d’Amon. Le pharaon a entrepris de grands travaux de construction dans les temples de Karnak et Louxor. Il y a donc un retour à Thèbes et une restauration radicale et puissante du culte d’Amon et des autres divinités. On ne peut identifier clairement Toutânkhamon que par la mention de son nom dans deux cartouches sur la statue. Il entreprend donc une campagne de restauration des temples d’Amon, le rétablissement du culte d’Amon et peut-être la destruction de l’œuvre d’Akhénaton. En fait, il n’est pas évident de différencier la participation de Toutânkhamon de celle d’Ay ou Horemheb dans l’anéantissement de l’œuvre amarnienne. Il n’est même pas assuré qu’il y ait participé, il faut rappeler que l’on trouve une représentation du disque solaire Aton sur le dossier de son trône trouvé dans sa tombe. Cela pourrait expliquer, entre autres, la damnatio memoriae dont il a fait preuve. Cependant il rétablit le culte d’Amon-Rê roi des dieux et sa prééminence. Cette statue est un témoignage parfait des dynamiques qui marquent ce règne et les suivants.
Il manque la tête du roi, cependant, le visage du dieu Amon est à l’image de celle du pharaon. En effet, sur toutes les représentations du règne de Toutânkhamon, Amon et le roi partagent le même visage, ceux-ci sont identiques en tout point de sorte que le roi devient une image du dieu.
Le fait que le dieu soit représenté remarquablement plus grand que le pharaon souligne sa supériorité hiérarchique. Le pharaon est placé entre les mains du dieu, sous sa protection. La statue ne se trouvait pas n’importe où, elle était dans le temple de Karnak, résidence du dieu Amon-Rê. Il y était présent par le biais de sa statue dans le naos. Ce groupe nous montre le dieu Amon présentant le roi. Les mains du dieu sont en contact avec le roi, ce qui montre que Toutânkhamon est sous la protection du dieu. D’ailleurs le roi est drapé dans la peau de panthère du grand prêtre d’Amon, ce qui souligne aussi sont lien liturgique avec le dieu. Cette statue d’Amon faisait probablement partie d’une série de statue d’Amon, placées à Karnak, le grand temple d’Amon, dans une période de restauration du culte d’Amon et ce par le pharaon, image vivante d’Amon. Cela illustre parfaitement la radicalité de ce retour au culte.
Pour ce qui est de l’endroit exact de sa découverte, la statue aurait été trouvée par l'égyptologue français Auguste Mariette dans la grande salle hypostyle de Karnak en 1858. Donc ce groupe statuaire a été retrouvé à Karnak, or on ne connaît pas l’emplacement exact initial de l’objet comme beaucoup de statues divines trouvées à Karnak. Le site de Karnak est le plus important complexe religieux voué à Amon-Rê à la fin de la XVIIIe dynastie. Ce temple a fait l’objet d’une campagne de travaux menée par Toutânkhamon. Une série de groupes statuaires représentant conjointement Amon et Toutânkhamon, principalement en diorite, y était placée. C’est donc dans le centre névralgique et principal du culte d’Amon que ces œuvres de propagande royale appuyant le rétablissement du culte du dieu étaient disposées. L’emplacement de cet objet fait donc l’objet d’un choix stratégique. Dans le cadre de l’expédition du prince Napoléon, Auguste Mariette entreprend des fouilles le long de la vallée du Nil, notamment sur le site de Karnak. Il découvre ce groupe (qu’on peut qualifier de diade) dans le temple d’Amon. Pour citer son compte rendu du 11 juin 1858 (postérieur) : « Une statue du dieu Ammon, en granit noir, a été également trouvée à Karnak ; elle offrira un beau spécimen de l’art de la XVIIIème dynastie : à cette grande époque, qui a produit les monuments de Karnak, on remarque surtout la perfection des profils et de l’ensemble de la tête humaine, mais les membres ont habituellement perdu de leur vérité, et l’énergique modelé de la XIIe dynastie ». Cette mission de préparation du voyage du prince s’achève au début de l’année 1858, le voyage en lui-même sera quant à lui reporté. Cette statue (ainsi que beaucoup d’autres antiquités mises au jour lors de ces fouilles) a été offerte au prince Napoléon par Saïd Pacha. Cette statue ornera (comme les autres statues antiques égyptiennes offertes par Saïd Pacha) le jardin de l’hôtel particulier à Paris, avenue Montaigne, de ce cousin de l’empereur.
Cette statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon est un témoignage d’une époque, de bouleversements, mais aussi d’un art et d’une pensée religieuse. Toutânkhamon avait restauré le culte d’Amon, donc il est protégé par Amon. Cette statue n’est qu’un exemple très bien conservé d’une série de représentations du roi au côté du dieu. On peut imaginer qu’il y a de la demande juste après la période amarnienne qui a détruit les effigies de cette divinité et donc le rétablissement du culte exige une grande production de figures divines. C’est peut-être aussi pour affirmer le renouveau du culte du dieu, ou pour souligner le changement de politique. Peut-être tout cela à la fois. La statue a probablement été désactivée magiquement par un prêtre, puis a été brisée en morceaux et enfin enterrée dans l’enceinte du temple de Karnak. Près de 3200 ans plus tard, elle est exhumée. Elle constitue aujourd’hui un témoignage exceptionnel du règne d’un des plus célèbres pharaons, un trésor des collections nationales et un des chefs-d’œuvre du Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre à Paris.
Pierre-Louis Calatayud
Etudiant en histoire de l'art et archéologie à l'Ecole du Louvre, Paris
e-mail : pierre.calatayud06@gmail.com
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