Découverte d’activités humaines à 2,6 millions d’années dans les piémonts himalayens du nord-ouest de l’Inde (Pandjab)


 
Une équipe du Département de Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7194 CNRS-MNHN) et la « Society for Archaeological and Anthropological Research » de Chandigarh (Territoire de l’Union indienne), ont mis en évidence dans les piémonts himalayens du nord-ouest de l’Inde, les témoins d’une activité typique du genre Homo datant de la fin du Tertiaire.
Les Comptes Rendus Palevol de l’Académie des Sciences consacrent un fascicule en anglais à la découverte et à ses implications scientifiques replaçant  le contexte historique depuis les années 1930 lorsque le haut bassin de l’Indus était perçu comme le berceau des origines de l’Homme.
 
Une équipe du Département de Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7194 CNRS-MNHN) et la « Society for Archaeological and Anthropological Research » de Chandigarh (Territoire de l’Union indienne), a mis en évidence dans les piémonts himalayens du nord-ouest de l’Inde, les témoins d’une activité typique du genre Homo  datant de la fin du Tertiaire (2,6 millions d’années (Ma)). Cette découverte est le fruit de plusieurs années de prospection dans les Siwaliks  et remonte au printemps 2009 au lieu-dit Masol connu depuis le début du XXème siècle pour sa faune fossile (Fig. 1).  Ces témoignages correspondent à des traces de découpes faites par des tranchants de pierre en quartzite encore visibles sur des fossiles de bovidés mêlés à des outils lithiques.  L’ordonnancement  des traces atteste  d’une intelligence technique hautement réfléchie attribuée ordinairement au genre Homo, connue jusqu’à présent en Afrique de l’Est à 2,55 Ma (Kada Gona, Ethiopie), soit au tout début du Quaternaire (Fig 2, Fig. 3).
 
Les Comptes Rendus Palevol de l’Académie des Sciences consacrent onze articles en anglais à la découverte et à ses implications scientifiques [1 à 11], replaçant  le contexte historique depuis les années 1930 lorsque le haut bassin de l’Indus était perçu comme le berceau des origines de l’Homme. Plusieurs espèces de grands singes (Sivapithecus) vivaient vers 7 Ma dans ces régions. Leurs fossiles se retrouvent dans les contreforts de l’Himalaya à 80 km au Nord Est de Masol. Au-delà  de 8 Ma les couches paléontologiques se raréfient sans doute en raison de la forte compression des couches et ne réapparaissent pas avant la fin du Tertiaire.
 
De nouvelles questions : qui sont les  hominidés de Masol ? D’où viennent-ils ?
 
Le modèle du peuplement humain de l’Asie a changé au cours des années 1980 avec la découverte d’une nouvelle espèce d’Australopithèque datée de 3,2 Ma en Ethiopie.  Le genre Homo serait apparu plus tard et une espèce aurait migré en Asie vers 1,9 Ma. Depuis, les premières traces de boucherie confirmées ont été découvertes en Ethiopie, datées de 3,4 Ma [12], elles sont plus simples et attribuées à l’Australopithèque de l’Afar  (« Lucy »), tandis que les plus vieux outils lithiques de 3,3 Ma (Lomekwi 3, Kenya)  sont rapportés à une espèce voisine [13]. La découverte de Masol repousse donc à 3 Ma au moins, l’émergence d’un hominien contemporain des Australopithèques et proche d’Homo par ses aptitudes psychomotrices.  Elle soulève trois questions: 1) de quel ancêtre et quand Homo a-t-il émergé ? 2) une sortie d’Afrique avant 2,6 Ma était-elle nécessaire puisque la question ne se posait pas pour les autres espèces de Masol ? 3) un second foyer d’hominisation est-il concevable en Asie ?
 
Le site de Masol et son étude
Fig. 1  Localisation de Masol dans les piedmonts himalayens (Siwalik Frontal Range) avec la Sutlej provenant du plateau tibétain, et les contreforts himalayens où sont conservés des fossiles de grands singes du miocène (Indopithecus, Sivapithecus) ; Le log stratigraphique montre la congruité des couches paléontologiques et des outils en quartzite des localités M1 à M13 (A et C © données de carte Google Earth).

 

A Masol, les couches sont plissées par la tectonique et forment un dôme (Fig. 4). Les couches paléontologiques s’observent sur une cinquantaine de mètres d’épaisseur, 40 mètres en dessous de l’inversion des pôles magnétiques Gauss-Matuyama qui marque la limite tertiaire-quaternaire datée de 2,58 Ma. Les traces de boucherie apparaissent dès la base de la séquence fossilifère, soit une centaine de mètres en dessous de cette limite.
 
1500 fossiles composés majoritairement d’herbivores,  et plus de 200 outils en quartzite ont été récoltés sur 50 hectares en une douzaine de localités. Les premières études sur la vitesse d’érosion montrent que l’exhumation des couches les plus profondes est récente. La plupart des galets taillés ont été collectés dans les mêmes conditions que les fossiles, c’est-à-dire dans les démantèlements récents des couches paléontologiques (Fig. 5). Aucun outil n’a été ramassé dans les formations stériles, tous proviennent de la zone fossilifère, ce sont en majorité des choppers simples et des éclats non retouchés. Des sondages ont permis d’identifier les falaises méritant de grands chantiers de fouilles afin de vérifier la présence d’outils dans les sédiments en place (Fig. 5 et 6).
 

 

 


Fig. 5  La localité Masol 2 avec la répartition des fossiles et des artéfacts selon le pendage de limons entre deux couches de sable (C et F) au pied d’une falaise en cours d’érosion. Choppers : 1, 3, 4, 6, éclats : 2, 5 ; pointillés : pendage des limons entre les couches C et F ; ¤ : artefacts en quartzite ; ‡ : amas de galets de quartzite ; * omoplate et défense de Proboscidien (éléphant) ; **  os longs de Proboscidien ; *** maxillaire d’Hexaprotodon (hippopotame) ;  **** esquille de défense ; Trench : sondage  (© photos Dambricourt Malassé)

 



Fig. 6  Le travail de terrain : A et B deux sondages à Masol 2 ; C et D : collecte d’un squelette de tortue géante dégagé des limons par les pluies de mousson (© photo Dambricourt Malassé)
 
Les traces de boucherie s’observent en trois localités,  sur au moins trois fossiles collectés parmi d’autres os avec une fossilisation conforme à la nature minéralogique des sédiments: un fragment de tibia  et un métapode brisé (os du pied) de bovidé et une grande esquille. Les traces ont été observées au microscanner de la plateforme AST-RX du Muséum, ainsi qu’au microscope numérique 3D au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France; les résultats restituent des gestes de découpes de tendons ainsi que des coups portés sur les os pour en consommer la moelle  (Fig. 2 et 3).

 

Fig. 2 Fragment de diaphyse de bovidé (bœuf) de Masol 1 avec des traces de découpes (cadres blancs), agrandissement de traces (A4, A6, A7) comparées à des expérimentations (A’1 à A’4) (© photo Dambricourt Malassé)

 

Fig. 3 Métapode brisé de grand bovidé de Masol Picchli choe, avec les traces de découpes et de choc (cadre blanc) et leur observation au microscanner de la plateforme AST-RX du Muséum national d’Histoire naturelle ((© Dambricourt Malassé)


 
La faune est particulièrement riche en espèces de vertébrés aquatiques et terrestres : des tortues, quelques crocodiles, de nombreux hippopotames, des tortues terrestres géantes (Colossochelys), de rares carnivores avec la hyène et la panthère; un mammifère proche de l’hippopotame adapté à des sols boueux mous (Merycopotamus), des mammifères de très grande taille comme le Stegodon et l’Elephas (éléphants), le Sivatherium (girafe), des chevaux (Hipparion, Equus), des chameaux, de nombreuses espèces de bovidés, des cerfs, des sangliers, des petits chevrotains. L’accumulation d’une aussi grande diversité d’espèces toute taille confondue, s’explique par les inondations de rivières débouchant dans la plaine depuis l’Himalaya, telle que la Sutlej actuelle en période de mousson (Fig.1). Des galets en quartzite accumulés à proximité des fossiles provenaient des terrasses himalayennes et constituaient la matière première nécessaire à la découpe des charognes.
 
Les hominidés de Masol n’étaient pas seuls à vivre en Asie du Sud avant à 1,8 Ma. Dans la grotte de Longguppo en Chine du Sud située à 3150 km à l’est de Masol et à la même latitude, des traces de boucherie, de l’industrie lithique et un fragment de mandibule compatible avec une anatomie humaine, ont été datés à 2,48 Ma par les géochronologues de l’UMR 7194 [14].
 
Organisation de la recherche
 
Les recherches se sont déroulées  en partenariat avec la ‘Society for Archaeological and Anthropological Research’ présidée par le Dr. Mukesh Singh, avec l’accord de l’Archaeological Survey of India (Bureau Archéologique de l’Inde) et le soutien de l’ambassade de France. Le Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) a soutenu, dans le cadre de la Commission des recherches archéologiques à l'étranger,  les travaux  d'Anne Dambricourt-Malassé  "Siwaliks" de 2012 à 2014.
 
L’analyse des données fédèrent quatre unités de recherche : l’UMR 7194 et la plateforme technique  AST-RX (UMS 2700) du Muséum national d’Histoire naturelle,  GEOPS Paris Sud (Géosciences-UMR CNRS-UPS 8148) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF-Palais du Louvre).
 
 
Références :
 
Human origins on the Indian sub-continent, Palevol, 15, 2016