L’avenir de l’enfant ayant un trouble du langage



Plusieurs parents à qui on annonce que leur enfant a un trouble primaire du langage se questionnent tout naturellement sur l’évolution de leur enfant, les limites qui resteront à l’âge adulte et les difficultés qu’il risque de rencontrer pour terminer ses études, trouver un travail et être heureux. Que savons-nous de l’avenir des jeunes dysphasiques ? Ce dernier chapitre traite du cheminement scolaire, de la vie sociale, de la sexualité, de la vie amoureuse, de l’émergence de l’autonomie, de l’accès au monde du travail et du bien-être psychologique de ces enfants.

Quelques perspectives
Quel parent n’a pas rêvé, parfois même dès l’annonce de la grossesse, à l’avenir qui s’offrira à l’enfant à naître, aux forces sur lesquelles il pourra compter, aux défis auxquels il devra faire face, aux grands moments qu’il vivra : choisir un emploi, trouver l’amour, fonder une famille... Néanmoins, pour le parent d’un enfant qui présente des difficultés, cette question a une résonance toute particulière, mêlée à la fois d’appréhension et d’espoir.

Évidemment, plus l’enfant vieillit, plus l’autonomie, la vie sociale et l’accès au monde du travail occupent une place importante dans ses préoccupations et dans celles de sa famille. Loin d’être anodines, ces réflexions les amènent à mieux aborder ces enjeux et à s’y préparer en allant chercher de l’information et des pistes de solution.

Lorsqu’un soutien précoce est mis en place, les probabilités que les jeunes présentant un trouble du langage aient un niveau d’autonomie et une qualité de vie similaires à leurs pairs sont relativement élevées. C’est ce qui se dégage de bon nombre d’études fondées sur les perceptions de ces jeunes et celles de leurs parents (Beauregard, 2009 ; Dockrell et coll., 2007 ; Carroll et Dockrell, 2012 ; Records et coll., 1992). La majorité des adolescents et des jeunes adultes interrogés dans le cadre de ces études ont une vision plutôt positive de leur adaptation aux défis rencontrés, de leur autonomie générale et de la qualité de vie dont ils bénéficient, notamment en termes de perception globale de la vie, de satisfaction par rapport à des aspects plus spécifiques de celle-ci et de niveau de bonheur perçu. Par exemple, dans l’étude québécoise de Beauregard (2009) portant sur une population cli- nique aux profils variés, plus de 75 % des parents ont dit percevoir leur adolescent ou leur jeune adulte comme autonome et heureux. Ils ont également rapporté une diminution du niveau d’inquiétude concernant divers aspects de la vie de ces jeunes comparativement à ce qu’ils avaient éprouvé à la suite de l’annonce du diagnostic.

Des vulnérabilités et des préoccupations liées à certaines sphères peuvent toutefois persister dans le temps. Nous nous pencherons sur quelques-unes d’entre elles après avoir présenté certains facteurs influençant l’évo- lution des jeunes dysphasiques. Les données rapportées sont principalement tirées d’études menées pendant plu- sieurs années auprès de ces jeunes par cinq équipes de recherche (trois au Royaume-Uni, une aux États-Unis et une au Canada1).

Les déterminants de l’évolution de l’enfant
L’évolution des enfants est influencée par une multitude de facteurs. Pour cette raison, les différences minimes qui existent entre les divers profils en bas âge deviennent souvent plus importantes avec le temps, ce qui crée une grande diversité chez les adolescents et les jeunes adultes. Certaines variables personnelles et contextuelles sont néanmoins plus déterminantes que d’autres. Ainsi, l’environnement familial et scolaire dans lequel le jeune évolue, ses forces intrinsèques, son attitude face aux difficultés, sa confiance, ses motivations et ses expériences de vie ont un impact majeur sur son évolution. Des facteurs sociopolitiques viennent aussi influencer l’aide disponible pour diminuer les impacts du trouble de langage. Nous aborderons plus en profondeur ces aspects dans les prochaines pages.

Les facteurs personnels
La sévérité du trouble de langage a évidemment une influence considérable sur le cheminement du jeune.

Rappelons que celle-ci ne peut être bien appréhendée qu’après un certain suivi et qu’elle évolue souvent jusqu’au début de la scolarisation. Plus le trouble de langage demeure important à l’âge scolaire, plus le développement d’une pleine autonomie risque d’être compromis. Cela est particulièrement vrai si la compréhension verbale est fortement affectée ou si les difficultés de lecture et d’écriture interfèrent de façon majeure avec le cheminement scolaire. Le trouble de langage a évidemment une influence sur l’évolution de l’enfant, mais il est important de préciser que d’autres facteurs entrent aussi en jeu (Johnson et coll., 2010).

Les recherches ont démontré que le fonctionnement de l’enfant dans d’autres aspects de son développement, plus particulièrement son intelligence non verbale, est ce qui influence le plus son évolution. Plus les forces sur lesquelles il peut compter sont restreintes, plus son autonomie s’en ressent. Les capacités d’adaptation, de résolution de problèmes, de raisonnement, d’organisation et d’autorégulation ont donc un grand impact sur son évolution.

Les jeunes adultes ayant un trouble de langage qui ont été interrogés dans le cadre d’une recherche ont identifié quelques éléments qui les ont aidés dans leur cheminement (Carroll et Dockrell, 2012). Ils ont notamment cité leur détermination face aux difficultés, leur engagement dans le processus de prise de décisions et leur connaissance de soi. Les jeunes qui connaissent bien leurs forces et leurs goûts et qui savent tirer des leçons des épreuves ont en effet un regard plus positif sur leur qualité de vie.

Les facteurs environnementaux
Ces jeunes adultes ont également cité le soutien des parents comme un élément clé de leur progression. Ce soutien peut avoir pris diverses formes : accompagnement dans la réalisation des tâches quotidiennes, soutien moral ou financier, défense de leurs droits, démarches pour accéder aux ressources correspondant à leurs besoins ou au mar- ché du travail, etc. Il est ainsi préférable d’accompagner le jeune dans sa recherche d’autonomie en l’exposant à des activités variées et en lui donnant des responsabilités plutôt que de le maintenir dans un contexte protégé.

Enfin, l’aide reçue au quotidien par des intervenants (enseignants, orienteurs ou autres professionnels) peut aussi avoir un impact significatif dans le cheminement du jeune. Certains des jeunes interrogés ont mentionné que ces intervenants les ont aidés à surmonter leurs difficultés. D’autres ont mis en évidence leurs forces naturelles et d’autres encore ont offert des encouragements à des moments clés. Ces intervenants ont été appréciés parce qu’ils ont su aider les jeunes et leur famille à élargir leurs options. Ils les ont épaulés en s’appuyant sur une connaissance réelle de leurs besoins, de leurs forces et de leurs défis.

Une incursion dans la sphère politique
On ne peut parler des déterminants du devenir des jeunes sans aborder le contexte politique et social dans lequel ils évoluent. Selon les tendances du moment, les services disponibles sont plus ou moins nombreux. Chose certaine, les familles et les enfants voient leurs possibilités s’élargir dans des environnements où des services basés sur des données probantes sont mis en place et disponibles. Or, comme la réalité de ces jeunes demeure socialement et politiquement méconnue, les parents, les intervenants et les jeunes eux-mêmes ont un rôle important à jouer pour sensibiliser la popula- tion, les décideurs et les représentants politiques à leurs besoins. Par exemple, au Québec, une étude récente (Mongrain, 2015) montre qu’une grande proportion de familles d’enfants dysphasiques ont dû avoir recours à des services cliniques privés à un moment ou à un autre de la vie de l’enfant parce que ces services n’étaient pas disponibles ou accessibles assez rapidement dans le réseau public. Cette situation est préoccupante, car les services offerts par le secteur privé ne sont pas à la portée de toutes les familles.

Les parents, qui ont déjà fort à faire pour répondre aux défis du quotidien, doivent pouvoir compter sur un réseau pour les épauler. Il existe heureusement des regroupements de parents et des associations au sein desquels chacun peut jouer un rôle.

 

Isabelle Meilleur, Annick Proulx, Tamara Bacheleet, Annik Arsenault

 

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Les troubles du langage chez l'enfant