Accueillir une naissance...

Quelques mois avant que ne naisse Léo, Stephen et Virginie lui donnaient un rendez-vous quotidien, à heure fixe. Les futurs parents appelaient l’enfant en gestation. Virginie posait calmement sa main sur son ventre rond, Stephen restait silencieux. Ils méditaient tous les deux pour faire connaissance, par la pensée, avec le futur visiteur qui avait signalé son arrivée. Au milieu du silence, lorsqu’ils sentaient leur cœur ouvert, l’un des parents formulait à haute voix une phrase comme celle-ci: «Tu es bienvenu, tu es accueilli, tu es nécessaire ! »
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Quelques mois avant que ne naisse Léo, Stephen et Virginie lui donnaient un rendez-vous quotidien, à heure fixe. Les futurs parents appelaient l’enfant en gestation. Virginie posait calmement sa main sur son ventre rond, Stephen restait silencieux. Ils méditaient tous les deux pour faire connaissance, par la pensée, avec le futur visiteur qui avait signalé son arrivée. Au milieu du silence, lorsqu’ils sentaient leur cœur ouvert, l’un des parents formulait à haute voix une phrase comme celle-ci: « Tu es bienvenu, tu es accueilli, tu es nécessaire ! »


De nombreux hommes et femmes conservent une blessure dans leur cœur ; une sensation de n’avoir pas été suffisamment accueillis au moment de leur naissance. « Mes parents avaient déjà eu quatre filles, ils attendaient un garçon, témoignait cette femme lors d’un stage que j’animais. Mon père a refusé d’ouvrir le champagne tant il était déçu que je ne sois pas un fils, poursuivit-elle. Ils avaient prévu de m’appeler Michel, ils ont rajouté un “e”, et je suis Michèle ; mais je ne me suis pas sentie reconnue pour celle que j’étais. Par la suite, je ne me sentais pas à l’aise habillée en femme, je portais toujours le pantalon, pratiquais des sports violents pour être aimée de mon papa. J’étais lasse d’être un garçon manqué, mais il m’a fallu des années pour apprendre simplement à être la femme que je suis. »

Dans son livre, La Vie secrète de l’enfant avant la naissance, le docteur Thomas Verny trouve les mots justes pour décrire, avec autant de précision que de tendresse, comment l’enfant établit un lien avec ses futurs parents tout au long de la grossesse. Désormais, on peut l’affirmer : la communication parents-enfants se noue avant la naissance. À partir de la vingt-cinquième semaine, le caractère s’élabore, influencé par le comportement de la mère, l’idée que celle-ci se fait de sa maternité, de son bébé. Pour ce spécialiste de l’obstétrique, il n’y a pas de doute sur le fait que la communication s’établit in utero dans les deux sens. Les parents parlent à l’enfant, et celui-ci, sans mots, parle à ses parents. Comme de nombreuses mamans en témoignent, l’enfant communiquerait notamment le prénom qu’il souhaite porter ainsi que les vibrations de sa future personnalité. Cette communication télépathique a souvent lieu en rêve, ou elle est captée par l’un des parents lors d’une forte intuition. Parfois, les parents sont totalement fermés à cette dimension ; parfois, au contraire, ils sont très attentifs aux signes que pourrait leur adresser l’enfant dans les mois précédant sa naissance.

Concevoir
La façon de concevoir et d’enfanter dépend de l’histoire de chaque couple. Il arrive que la grossesse soit programmée. L’homme et la femme se sont préparés et ont désiré cet enfant. La naissance est vécue comme un cadeau.

Dans d’autres circonstances, la nouvelle est une surprise. Philippe et Catherine n’avaient pas de projet d’enfant. Le désir inconscient du couple a ouvert une brèche; la fertilité naturelle de la femme, conjuguée au désir de l’homme, a appelé l’enfant. La grossesse n’était pas prévue. Le couple d’amants ne s’était pas préparé à ce que ce coït amoureux prenne la dimension d’un accouplement fertile. Erreur, maladresse, l’homme et la femme ne souhaitaient pas devenir parents. Vont-ils apprendre à le devenir ?

Stan et Josepha ont dépassé la période idyllique des débuts. Ils vivent ensemble depuis trois ans et l’ennui commence à remplacer la fièvre des premiers temps. Pour eux, au contraire, un enfant serait le bienvenu, il leur tiendrait compagnie, il apporterait de la joie dans le foyer. Il n’est pas rare qu’un enfant soit conçu dans l’espoir de réconcilier un couple qui part à la dérive. C’est alors un enfant sauveur qui voit le jour. Un enfant sur lequel les parents vont projeter leurs attentes, leur manque de tendresse. Les parents se réjouissent de cet enfant qui leur donne tant! Ils oublient bien souvent, que, tant qu’il n’est pas autonome, c’est à eux de donner à l’enfant et non l’inverse, même si la joie de l’enfant est un réconfort pour tous.

Claudia et Éric, eux, voulaient absolument un enfant. Insémination artificielle, fécondation in vitro, rien n’y faisait. L’enfant ne voulait pas venir. L’acharnement médicalisé n’est pas toujours à encourager. Parfois, en prenant conscience des enjeux qu’ils projettent sur l’enfant, les futurs parents parviennent à se détendre et à laisser l’enfant venir naturellement, lorsque celui-ci le souhaite et s’il le souhaite.

Un désir d’enfant n’implique pas systématiquement un projet d’enfant. C’est ce point que n’intégrait pas Claudia qui voulait un enfant à tout prix, et tant qu’à faire, avant 45 ans, quitte à se défaire de son compagnon pour en trouver un autre. Son désir si fort l’empêchait d’être enceinte, et il faisait fuir les prétendants à la paternité qu’elle rencontrait.

L’envie d’enfanter peut cacher une envie de créer, de donner naissance à un projet, à une association, à un art. Beaucoup de parents ont du mal à distinguer si leur désir d’enfanter est réellement un projet de parentalité. Bien souvent, c’est le cas, mais parfois des parents se crispent pour avoir des enfants alors que leur vrai désir est de réveiller leur créativité ou de renouer avec la tendresse de leur propre enfant intérieur, de transmettre leur douceur au monde.

Au cours de ce siècle, la procréation artificielle a continué de progresser. Toutefois, si cette technique prend en compte la partie physique de l’acte de la procréation, elle n’intègre pas toujours autant qu’il le faudrait la dimension psychique de la conception, liée aux parents, ni la dimension spirituelle que revêt l’acte d’enfanter.

Parfois, enfin, les parents font l’expérience douloureuse d’une vie trop brève. L’enfant va à la rencontre de ses parents, le couple est « enceint », mais quelques semaines plus tard, l’œuf se décroche et l’âme s’envole. C’est une grande blessure pour les parents. L’âme de l’enfant s’est- elle trompée d’aiguillage ? C’est la mort prématurée, la fausse couche. L’enfant n’a-t-il pas souhaité prolonger ce long parcours de l’incarnation ?

Les enfants qui ne se sont incarnés que quelques jours, les jumeaux dont l’un est mort à la naissance, les avortements et les fausses couches ont une influence très importante sur les parents, les frères et sœurs, et la lignée tout entière, même si ceux-ci n’en ont pas conscience. Les défunts font partie de la famille et influencent les vivants, d’autant plus si leur histoire est cachée à ces vivants.

Il n’est pas rare que les psychogénéalogistes trouvent des situations d’interruption de grossesse, volontaire ou involontaire, qui perturbent les descendants, même plus de sept générations après l’événement. C’était le cas de Pierre Emmanuel, l’un des participants à un groupe de parole que j’animais ; perpétuellement en quête de l’âme sœur, il venait d’apprendre ce qu’il avait toujours perçu intuitivement : son second prénom était celui d’un frère jumeau mort à la naissance ; « détail » que ses parents avaient « oublié » de lui révéler, présence qu’il continuait autant à ressentir qu’à rechercher dans ses relations fusionnelles, 40 ans après.

Ce ne sont pas tant les événements en eux-mêmes qui perturbent l’arbre généalogique que la façon dont ils ont été perçus par la famille. Lorsque l’événement est caché à tous, lorsque la mort prématurée est teintée de culpabilité, de honte ou de reproche, notre mémoire cellulaire en est marquée. C’est l’un de ces secrets de famille que l’on croit pouvoir oublier en ne le nommant pas. Or, l’âme des bébés prend d’autant plus de place qu’elle n’est pas reconnue.

Dans d’autres cas, les parents parlent à l’enfant parti trop tôt. Ils lui donnent un prénom, plantent un arbre en son honneur. L’épreuve, si elle reste douloureuse, prend une dimension initiatique et chacun s’en trouve apaisé.

Naître
Lorsqu’ils se préparent à la naissance, les parents sont généralement perturbés par de nombreuses préoccupations d’ordre matériel : quelle clinique choisir ? Quelle forme d’accouchement privilégier ? Quel accompagnement ? Il faut réorganiser la maison, parfois déménager. Le père et la mère agencent leur vie professionnelle. Dans beaucoup de grandes villes, les inscriptions en crèche se planifient autour du troisième mois de grossesse. Les parents doivent donc anticiper, surtout lorsqu’il s’agit d’un premier enfant. Ils auront besoin de ces neuf mois pour préparer leur nouvelle vie. Les pressions multiples perturbent tant les parents qu’il n’est pas rare que ceux-ci oublient le caractère sacré de la naissance...

 

Arnaud Riou


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