La Vierge et le vigneron ou l'apparition à Saint-Bauzille de la Sylve

Nous sommes le dimanche 8 juin 1873. Un vigneron de trente ans, Auguste Arnaud, marié depuis six ans et père de deux enfants, marche allègrement sur le chemin qui mène à sa vigne. Il est chrétien mais moyennement pratiquant. Il travaille toute la semaine pour un patron et consacre une partie de ses dimanches à quelques lopins de terre qui lui appartiennent.
Portrait d’Auguste Arnaud alors âgé de près de 70 ans


Nous sommes le dimanche 8 juin 1873. Un vigneron de trente ans, Auguste Arnaud, marié depuis six ans et père de deux enfants, marche allègrement sur le chemin qui mène à sa vigne. Il est chrétien mais moyennement pratiquant. Il travaille toute la semaine pour un patron et consacre une partie de ses dimanches à quelques lopins de terre qui lui appartiennent.

Tout à l’heure, il remontera au village pour la grand-messe car il pense qu’il est nécessaire de prier. En effet, en cette année 1873, des nouvelles alarmantes parviennent de Montpellier, le chef-lieu du département, situé à une trentaine de kilomètres. Le phylloxera, ce fléau qui anéantit les vignobles, gagne du terrain dans l’Hérault et frappe déjà dix communes de l’arrondissement de Lodève.

Auguste Arnaud travaille pendant environ deux heures, puis il s’arrête au bord d’un fossé pour se nourrir et prendre un peu de repos. À 7 heures 30, son repas terminé, il sort sa pipe mais lorsqu’il s’apprête à l’allumer, il voit apparaître devant lui, à une distance d’un à deux mètres, une belle jeune femme qui, dit-il, semble avoir de 25 à 28 ans et qui est entièrement vêtue de blanc. Stupéfait, il se lève et l’interroge en langue d’Oc : « Cal ses bous ? » (Qui êtes-vous ?) Elle lui répond dans la même langue : « Sioi la Sainta Bierja. N’agès pas paou. » (Je suis la Sainte Vierge. N’ayez pas peur). Et un dialogue s’engage, toujours en langue d’Oc. L’apparition dit à Auguste Arnaud qu’il est atteint de la maladie de la vigne. Annonçait-elle la terrible épidémie qui allait atteindre la région ? Ou reprochait-elle au vigneron de venir travailler le dimanche ?

Aujourd’hui encore, le sens de ses paroles n’a pas été éclairci. Ce qui est clair, c’est qu’elle lui demande de faire changer la croix des missions qui se trouve près de là et qu’elle insiste pour qu’une nouvelle croix avec une vierge soit placée au fond de la vigne. Elle lui demande d’aller le dire à son curé. Dans un mois, ajoute-t-elle, je viendrai vous remercier Et Auguste Arnaud précise : « Après ces mots, l’apparition monta verticalement comme un aérostat et je la suivis des yeux jusqu’à ce que je ne puisse plus l’apercevoir. »

Arnaud abandonne précipitamment son travail et reprend le chemin de Saint-Bauzille où il raconte ce qu’il vient de vivre. L’abbé Coste, le curé de la paroisse, est perplexe mais il n’a aucune raison de douter de la sincérité de cet homme simple, calme et même de caractère un peu froid.

Rapidement Arnaud fait confectionner une croix de bois par le menuisier du village et il la plante sur l’emplacement désigné par la Sainte Vierge au fond de sa vigne ; en attendant la croix définitive en fer forgé qu’il a commandée à Montpellier.

Un mois plus tard, le 8 juillet, un mardi, Auguste Arnaud part de très bonne heure pour travailler sa vigne. Mais l’apparition a fait beaucoup parler. D’autant plus que le vigneron n’a pas cessé d’affirmer que du fait qu’il avait suivi ses instructions, la Sainte Vierge serait présente au rendez-vous qu’elle lui avait donné. Alors, c’est une foule nombreuse qui l’accompagne et que les témoins ont évalué de 400 à 600 personnes. Il y a là des gens animés par des sentiments de foi, mais il y a aussi des sceptiques, des moqueurs et une majorité de curieux.

Un témoin, Jalabert, de Vendémian, a laissé un récit très vivant de ces événements. Il parle souvent à Arnaud et se place toujours de façon à pouvoir l’observer. Son témoignage est identique à celui de tous les autres témoins.

Vers 7 h 30 Auguste Arnaud laisse échapper sa pioche. Il est droit, la tête levée, ses yeux grandement ouverts sont fixés vers le haut. De sa main droite il jette son chapeau à terre avec violence. En même temps ses deux bras s’élèvent en l’air, son visage devient très pâle, ses mains paraissent démesurément allongées et ses yeux sont fixés sur quelque chose qui l’attire. Pendant un court instant il se balance sur lui-même, et puis tout à coup, marchant sur le côté gauche, il est emporté avec une rapidité foudroyante vers la croix. L’expression « à la vitesse de la foudre » revient dans la plupart des témoignages. Les témoins affirment tous que cette course était humainement impossible ; il ne courait pas, il ne sautait pas, « il semblait nager. »

Tous les témoins sont stupéfaits. Arnaud est « en extase » devant la croix, très pâle, le regard fixe, il lève les bras. Certains affirment qu’il semble avoir grandi. M. Serves, greffier de paix à Gignac, précise : « Moi qui étais à sa gauche, j’affirme et j’atteste que pour bien voir, je dirais même contempler le visage d’Arnaud, je fus obligé de relever la tête alors qu’Arnaud n’est pas plus grand que moi. »

Le récit de l’apparition par celui qui l’a vue
Auguste Arnaud a fait lui-même le récit de cette apparition : « J’étais, dit-il, à 45 ou 50 mètres de la croix, lorsque tout à coup, à deux mètres de moi, j’aperçus la personne de la première apparition. À peine l’eus-je vue que, rapide comme l’éclair, elle fut sur la croix et moi je me trouvais devant elle toujours à la même distance de deux mètres. Je ne sais pas, je ne puis comprendre comment je me suis trouvé là, ni comment j’ai parcouru la distance qui séparait le lieu où j’étais d’abord de la croix au pied de laquelle je me suis trouvé. »

Il décrit les vêtements identiques à ceux de la première apparition, mais cette fois de couleur d’or. « Sa figure, dit-il, était pleine de clarté, les mains croisées sur la poitrine et sous le voile, étaient entourées d’un chapelet toujours de couleur d’or. »

C’est de l’extrémité supérieure de la croix qu’elle parla au vigneron, toujours dans la langue du pays. Puis elle disparut comme la première fois.

Tout l’été 1873 et une partie de l’hiver, la piété populaire attira de grandes foules en pèlerinage sur le lieu des apparitions. Cependant l’abbé Coste reste prudent.

L’embarras de l’Église
Mais le 25 mars 1874, un nouvel évêque prend possession de sa charge à Montpellier. Il s’agit de Monseigneur de Cabrières, un fervent du culte marial, apôtre convaincu de Notre Dame de Lourdes.
C’est un homme à l’esprit tolérant. Plus tard, en 1907, il ouvrira les portes de la cathédrale Saint-Pierre à Montpellier pour y héberger les vignerons rassemblés par milliers dans la ville, lors de « la révolte des gueux ». Tout de suite,

il manifeste un vif intérêt pour les apparitions de Saint- Bauzille. Le 23 février 1875, il vient à Saint-Bauzille où il s’entretient avec Auguste Arnaud à qui il dit notamment : « Que vous êtes heureux mon enfant, d’avoir vu la Sainte Vierge. »

Il prend alors la décision de nommer une commission d’enquête. Plus tard en 1894, Mgr de Cabrières fait une visite à Saint-Bauzille de la Sylve et déclare : « Je crois en l’apparition de Notre Dame du Dimanche. » C’est ainsi désormais qu’est désignée l’ancienne Vierge d’Arnaud.

Malgré la conviction de l’évêque, le pèlerinage naissant ne se développe pas... C’est un prêtre local qui, dans les années 1970, m’en a fourni l’explication : Mgr de Cabrières est convoqué à Rome qui ne peut pas le déjuger. Mais il semble fort qu’un silence prudent lui ait été imposé. Notre-Dame du Dimanche devient un lieu « toléré » qu’on s’efforce de faire oublier. Certains affirment même que « des gens bien placés » ont craint une « concurrence » pour le pèlerinage de Lourdes que les plus hautes autorités de l’Église venaient de reconnaître... après l’avoir combattu. Les premières apparitions de Lourdes datent de 1858, soit quinze années seulement avant celles de Saint-Bauzille de la Sylve. Fallait-il choisir pour ne pas disperser les fidèles et les pèlerins ?
Quand à Auguste Arnaud, il a mené une vie paisible dans son village où il est mort en 1936 à l’âge de 92 ans.

Lorsqu’il s’agit d’apparitions mariales les hésitations de l’Église sont compréhensibles. Mais ce qui l’est moins, ce sont les positions différentes face à des événements ayant de nombreux points communs. Le côté « spectaculaire » des apparitions était tout aussi important à Saint-Bauzille qu’à Lourdes. De plus, une haute autorité catholique avait reconnu la réalité des apparitions. Le cardinal de Cabrières s’était pratiquement engagé en venant sur le lieu et en interrogeant les témoins tandis que les « Princes de l’Église » n’avaient pas quitté le Vatican pour prendre leurs décisions négatives. On peut se demander pourquoi et penser que le désir de ne pas concurrencer le pèlerinage de Lourdes n’a pas été étranger à la décision.

Nous retrouverons cette étrange ambiance en constatant que lorsque des apparitions mariales attiraient des foules dans le Lot-et-Garonne, les autorités catholiques ne se contentaient pas de les ignorer, mais s’employaient à les combattre. À la même époque des apparitions, qui depuis ont été contestées, se produisaient en Yougoslavie et faisaient l’objet d’une grande dévotion de la part d’évêques français. Il est évident qu’un tel évènement en pays alors communiste était susceptible de générer une propagande plus efficace pour la ferveur religieuse...


Charly Samson

 

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