Réseaux / Des interactions dynamiques dans le temps


Parallèlement à l’idée de «position» structurelle, il faudrait ici reprendre l’idée de « fonction » processuelle. Chaque entité, au sein du réseau, est investie de «rôles» divers qu’elle doit assumer pour garder sa « position », sa place parmi les autres. On comprend donc que la position et la fonction sont en rapport dialectique : l’une construit et conforte (ou détruit et déforce) l’autre.

De ce rapport dialectique entre position et fonction naît la notion cruciale de légitimité. une position n’est légitime que si les fonctions qu’elle implique sont assumées au meilleur niveau. Ce problème est bien connu et ne concerne pas uniquement les réseaux. Il s’y exacerbe, néanmoins, parce que les réseaux ne tiennent que par la légitimité constamment renouvelée de leurs entités, ce qui n’est pas le cas des structures et organisations hiérarchiques où la continuité, le confort, l’inertie ou la stabilité peuvent primer la légitimité. Le réseau étant, par essence, une structure immatérielle, dynamique et processuelle, donc un organisme vivant en transformation permanente, la continuité, l’inertie, le confort ou la stabilité ne peuvent pas y être des « idéaux » viables. un réseau, comme le marcheur ou le cycliste, ne vit et ne se développe que dans le déséquilibre permanent mais contrôlé.

Interactions verticales et horizontales...
Les interactions horizontales sont, par définition, des interactions entre entités du même niveau fractal (entre deux quartiers d’une même ville, ou entre deux équipes d’une même entreprise), alors que les interactions verticales mettent en jeu deux niveaux différents de cette même structure fractale (entre un foyer et son quartier, ou entre une personne et son équipe).

Et profitons-en pour rappeler que cette verticalité n’implique aucunement un quelconque rapport hiérarchique entre un tout et une partie : leurs rapports sont et doivent rester dialectiques car l’un, sans l’autre, s’effondre. Lorsque le corps meurt, tous les organes meurent et lorsqu’un organe meurt, il induit la mort du corps entier. Il n’y a rien de hiérarchique là-dedans. Le tout est le tout de ses parties comme la partie est une partie vitale et essentielle de son tout.

La notion d’interaction est centrale dans un réseau. une pyramide hiérarchique cherche l’équilibre, la stabilité et le repos au travers de la mise en place de hiérarchisations, de procéduralisations, de normalisations, de réglementations, de standardisations et d’automatisations qui visent à l’installer dans un fonctionnement horloger et mécanique, intemporel, définitif, en quelque sorte.

À son exact contraire, le repos tue le réseau qui doit rester vivant, dans le perpétuel déséquilibre du marcheur ou du cycliste. une hiérarchie peut se contenter, pour « être », de se construire exclusivement sur des positions, c’est-à-dire des structures statiques, définies une fois pour toutes. C’est le cas, par exemple, de tous les ordres honorifiques qui sont de pures hiérarchies formelles qui ne produisent rien.

Les réseaux, de leur côté, ne peuvent pas survivre sur leurs seules structures positionnelles ; ils ne vivent que par et pour les interactions entre leurs entités. un réseau est un organisme vivant et, comme tel, ce sont ses interactions qui en font la vie et la vitalité.

L’idée de vitalité prend, avec les réseaux, tout son sens.
Si l’on veut bien prendre une image, disons que chaque entité du réseau est une sorte de boîte noire (par son autonomie de fonctionnement interne, elle est « opaque » vue de l’extérieur). sa position dans le réseau la relie aux autres entités par des « tuyaux » qui sont spécifiques à sa mission, à sa vocation, à son destin. Voilà pour le côté statique et spatial. Mais tout cet ensemble ne prend vie que si des flux divers circulent dans ces tuyaux. La vitalité du réseau et de chacun de ses sous-ensembles se mesure facilement par la fréquence et l’intensité des flux circulants. exactement comme dans un corps vivant dont la santé se mesure à la bonne circulation du sang et des autres « humeurs », des influx nerveux, de l’oxygène et des informations apportées par les cinq sens et par l’intuition. Notons, sans faire d’humour noir, que dans un cadavre, tous ces flux sont ramenés à zéro.

Mais continuons la métaphore... Ces boîtes noires reliées par des tuyaux où circulent des flux divers, sont une vision encore trop mécanique qui fige des circuits et normalise des flux. Il faut la dépasser. Il faut plutôt regarder du côté des corps vivants et constater que les cellules vivantes qui en sont les entités de base, baignent dans un flux permanent sans tuyaux. Bien sûr, ces cellules, parce qu’elles sont assez spécialisées, sont regroupées en organes reliés entre eux par des veines, des artères, des nerfs, etc. Mais gardons en têtes que ces « tuyaux » sont eux-mêmes faits de cellules et sont eux-mêmes des organes spécialisés.

Je pense qu’il faut bien méditer et comprendre qu’un réseau est un vaste ensemble d’entités de base (des humains dans un village, dans une ville, dans une entreprise, dans une famille, des cellules dans un corps, des nucléons dans un noyau atomique lourd, des étoiles dans une galaxie spirale, etc.) « baignant » dans un « liquide » nourricier qui véhicule toutes les énergies propres de ce réseau et qui en alimente la vie.

Piloter un réseau c’est donc, d’abord, veiller à constituer, en quantité suffisante, ce liquide nourricier qui lui est spécifique et qui permet à toutes ses entités de s’en nourrir afin que chacune accomplisse sa vocation au mieux ; et c’est, aussi, veiller à ce que ce liquide nourricier circule bien, partout, à ce qu’il soit régulièrement purgé et purifié, constamment enrichi.

Ce liquide nourricier qui circule partout et qui nourrit tout, possède la double propriété d’être le siège de toutes les interactions entre les entités et d’être le nutriment de toutes les activités au sein de chaque entité. C’est assez dire son importance vitale.

et l’on comprend qu’au contraire d’un fonctionnement pyramidal hiérarchique où le pilotage consiste à donner des instructions précises et à mesurer des performances exactes, le pilotage d’un fonctionnement en réseau ne consiste pas à commander, mais à alimenter, il ne consiste pas à quantifier des mesures analytiques, mais à évaluer une bonne santé globale.

Il faut donc bien intégrer l’idée qu’avec le passage de la pyramide hiérarchique au réseau synergétique, on passe d’un pilotage mécanique à un pilotage organique. Il ne s’agit plus de « conduire » une machine mais bien de veiller à la bonne santé et à la belle vitalité d’un organisme vivant. Cela change tout. évidemment.

Imaginez quel serait le mode de travail et de vie du maire de votre commune s’il envisageait cette commune comme un être vivant dont il serait justiciable de la bonne santé et de la belle vitalité, pour lequel sa mission de fond serait de faire circuler toutes les énergies citoyennes indispensables au bon « vivre-ensemble ». Que voilà un autre regard sur la vraie politique, sur la vraie vie de la cité...

Imaginez, aussi, quelle révolution managériale un tel changement induirait dans votre entreprise : les managers ne seraient plus là pour nourrir le lourd et inutile système de contrôle de gestion, mais pour alimenter toutes les entités opérationnelles en énergie entrepreneuriale : créer, innover, optimiser, coopérer, collaborer, qualifier, magnifier (faire grandir chacun en exaltant l’œuvre commune) en seraient les maîtres-mots. Qui ne donnerait pas le meilleur de soi pour exercer son métier-passion dans de telles conditions ?

 

      Marc Halévy             
                                                                              

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