Réseaux / Des entités petites et autonomes


Un réseau n’est pas un assemblage mécanique de «briques» élémentaires soudées les unes aux autres par une « colle » particulière, selon un plan préétabli. une hiérarchie est ainsi construite. Pas un réseau. Dans un réseau, modèle fluent d’un processus organique, il n’y a pas de plan, il y a une logique, il n’y a pas de «colle», il y a des interactions et il n’y a pas de briques élémentaires, il y a des entités autonomes.

Celles-ci peuvent être de toutes natures, pourvu qu’elles soient capables de deux choses : de porter une identité reconnaissable et d’interagir avec d’autres entités, de même nature ou pas.
Identité et interactivité : voilà deux mots-clés.

Identité...
au sein d’un réseau, n’est nœud actif qu’une entité identifiable, reconnaissable, distinguable. Pour le dire plus techniquement, une entité n’est telle que si elle est porteuse d’une idiosyncrasie singulière, qui peut certes évoluer dans le temps, pourvu qu’elle garde une spécificité qui lui soit propre.

Le terme « idiosyncrasie » est central et mérite une courte halte. Ce mot vient de trois racines grecques : « idio » qui dérive de eïdos, la « forme » (dont viennent les mots français « idée », « idéal », « idéologie », « eidétique », etc.), syn qui signifie « avec, ensemble », et « crasie » de krasis qui veut dire « tempérament » : les formes qui sont avec le tempérament ou, autrement dit, les fondements du caractère singulier de la personne ou de l’entité envisagées.

Posons un principe : l’identité implique l’autonomie. explicitons : puisqu’un réseau est un chaudron d’interactions entre entités possédant chacune une spécificité idio- syncratique forte, il ne pourra tirer le meilleur parti de ces singularités qu’en facilitant, en favorisant et en cultivant leur développement, leur accomplissement, leur expression. La richesse d’un réseau se mesure à sa capacité à entretenir un haut degré de biodiversité (ou de noodiversité si l’on parle des particularités immatérielles, intellectuelles, morales ou spirituelles). un réseau qui standardise ou uniformise ses entités perd sa biodiversité, devient fragile et se meurt, c’est-à-dire se fige en perdant toute interactivité.

Interactivité...
au contraire de ce que l’on dit parfois, un réseau n’est pas une sorte de réacteur chimique rempli de matières actives car tout réacteur chimique vise, au travers des multiples réactions qui s’y produisent, un état d’équilibre qui, lorsqu’il est atteint, éteint le réacteur. L’analogie est boiteuse. un réseau doit être un réacteur qui n’atteint jamais l’équilibre et qui doit rester actif indéfiniment. Il ne s’agit pas de produire des composés inertes et figés dans leur utilité spécifique, il s’agit d’entretenir une interactivité permanente, voire croissante, c’est-à-dire un déséquilibre permanent, une effervescence chaotique inextinguible. une analogie meilleure que le réacteur chimique serait celle d’une ruche (avec l’inconvénient que les comportements y soient stéréotypés et sans créativité) ou celle d’une kermesse (avec l’inconvénient que la finalité collective n’y existe pas et que le seul but y soit l’amusement personnel et égoïste) ; je préférerai, donc, la métaphore d’une équipe sportive dans laquelle les comportements ne peuvent pas être stéréotypés mais doivent être créatifs, et où la victoire ne tient qu’à la force de la volonté collective de l’atteindre.

Classiquement, la science a défini l’interactivité comme la puissance d’attraction et de répulsion vis-à-vis d’un autre, quel qu’il soit. Dans la Nature, il est vrai que ces propensions à s’unir ou à se fuir sont les plus courantes, à tous les niveaux, que ce soient les attractions/répulsions entre charges électriques selon leur signe, ou les sympathies/antipathies entre les espèces ou spécimens du monde vivant. Mais rien n’empêche de penser qu’il puisse exister d’autres types d’interaction que ces seules répulsions et attractions. Pourquoi deux entités interagissent-elles ? Pour échanger leurs manques et surplus ?

Certes. Pour conjoindre leurs puissances en vue d’atteindre un but commun, sans nécessairement échanger quoi que ce soit, sinon des informations de coordination ? aussi. Par sympathie ou plaisir d’être, de vivre ou de travailler ensemble selon la vieille expression latine : affectio societatis ? Oui, encore. Il faudra revenir sur ce thème un peu plus loin, au cours de notre étude.

Il faut encore explorer ceci : chaque entité d’un réseau est, elle-même, un réseau d’entités de niveau « inférieur » (une ville est un ensemble de quartiers interagissants qui sont, à leur tour, des ensembles de foyers interagissants ; une entreprise est un ensemble d’équipes interagissantes qui sont, à leur tour, des ensembles de personnes interagissantes; etc.). Cet effet « gigogne » ou « poupée russe » fait partie intégrante de la compréhension profonde de la logique des réseaux. Mais cet effet n’implique pas une quelconque forme pernicieuse ou larvée de hiérarchie ou de rehiérarchisation sournoise qui impliquerait que le réseau « englobant » serait « supérieur » au réseau « englobé » de niveau « inférieur » ; ou vice-versa. si tel était le cas, les relations entre les différents niveaux de la structure gigogne (ou fractale) seraient soit descendantes (top-down) soit montantes (bottom-up) : tel niveau « définirait » tel autre.

Dans un réseau authentique, les relations et interactions entre les différents niveaux de sa structure gigogne doivent être et rester dialectiques : le tout et la partie se construisent mutuellement dans un dialogue permanent au service de leur projet commun. Il n’y a pas de niveau plus important qu’un autre puisque c’est de leur conjonction étroite et harmonieuse que dépend la bonne santé de chacun.

ainsi, dans le corps humain, la santé du tout dépend de la santé de chaque organe, et réciproquement : chaque organe déficient induit le mal-être de tout le corps mais, inversement, la bonne santé de l’ensemble favorise et facilite la remise en état de tel malaise local. C’est cela et rien d’autre l’effet psychosomatique: on appelle soma (le corps) la collection des organes et l’on appelle psyché (l’âme – du latin anima : « ce qui anime») ce «tout» qui englobe et dépasse cette collection pour lui donner une cohésion dans l’espace et une cohérence dans le temps.

 

      Marc Halévy             
                                                                              

Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous 

Réseaux - L'autre manière de vivre - Les réseaux en dix questions