Qu'est ce qu'ne enfance d’Homo connecticus ?

Imaginons la vie du petit Ludo, nouveau-né de 2015. Avant sa naissance, ses parents ont annoncé son arrivée sur Facebook. Il a commencé à exister sur les écrans, avant que d’exister réellement. On a pu suivre les avancées de la grossesse de sa maman, « Sandriconnectica », presque en temps réel. Quand dans le même temps, son papa, « Ericonnectico », féru de nouvelles technologies, commençait à lui créer tous ses espaces virtuels, son adresse e-mail, etc.
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Une enfance d’Homo connecticus
a) Bébé connecticus : « J’ai quelqu’un à te présenter. »

Imaginons la vie du petit Ludo, nouveau-né de 2015. Avant sa naissance, ses parents ont annoncé son arrivée sur Facebook. Il a commencé à exister sur les écrans, avant que d’exister réellement.
On a pu suivre les avancées de la grossesse de sa maman, « Sandriconnectica », presque en temps réel. Quand dans le même temps, son papa, « Ericonnectico », féru de nouvelles technologies, commençait à lui créer tous ses espaces virtuels, son adresse e-mail, etc.

Voici à quoi ressemble une grossesse d’Homo connecticus.
La période intra-utérine est déjà impactée par les écrans.
À ses trois mois de grossesse (délai de latence oblige, sinon ça porte malheur, selon certaines croyances), la future maman s’est empressée d’envoyer une photo du fœtus à tous ses amis, via smartphones, tablettes, ordinateurs ou autres appareils connectés, accompagnée d’un commentaire laconique : « J’ai quelqu’un à te présenter ! »

Le moment de la naissance donna lieu à tout un dispositif digne d’Hollywood. Papa s’est préparé comme un pro. On a pu suivre, pas à pas, tout l’accouchement. Sur Instagram, les photos fusèrent. Sur les réseaux sociaux, les vidéos se diffusèrent. On entendit son premier cri, après avoir vu ses premiers gestes.

Au sortir du ventre de sa maman, le petit Ludo a déjà une existence virtuelle. Telle se passe désormais la naissance de Bébé connecticus.

Il est immédiatement plongé dans un univers truffé d’écrans. À cet effet, le psychanalyste Serge Tisseron préconise d’utiliser un guide des bonnes pratiques. « Il est possible de concevoir une diététique des écrans afin d’apprendre à les utiliser correctement, exactement comme on apprend à bien se nourrir7 », écrit-il.

Il a imaginé la règle des « 3-6-9-12 ». C’est une façon de répondre aux interrogations des parents qui se demandent comment prendre ces nouvelles technologies et les adapter au bien-être de leur progéniture.
Voici donc quatre repères :
- Éviter de mettre l’enfant de moins de trois ans devant un écran, et notamment devant la télévision.
- Ne pas lui offrir une console de jeu personnelle avant ses six ans. - L’accompagner sur Internet entre neuf et douze ans.
- Après douze ans, ne pas le laisser se connecter de façon illimitée lorsqu’il est en âge de surfer seul.

À observer l’évolution des comportements des Bébé connecticus, on se demande si ces recommandations ont quelque chance d’être suivies, et même si elles ne sont pas déjà déréalisées. Néanmoins, elles offrent l’intérêt de nous apporter certains repères en une époque que cette révolution numérique déboussole tant.

Tout le monde s’accorde à dire qu’une consommation excessive d’écrans est dangereuse pour la santé psychique et physique d’un enfant.

L’Académie américaine de pédiatrie cherche depuis vingt ans à définir le temps d’écran souhaitable selon les âges de l’enfance. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle tâtonne : elle s’est arrêtée à deux heures par jour entre huit... et dix-huit ans. Autant dire que tous les enfants connectés du monde sont bien au-delà de cette limite. Selon une étude récente8, les enfants passent sept heures trente par jour devant un écran aux États-Unis, et quatre heures trente enFrance. Tous écrans confondus : télévision, ordinateur, smartphone.
Globalement, la consommation d’écran ne cesse d’augmenter.
Dans le même temps, cette consommation devient de plus en plus solitaire. Les enfants prennent-ils exemple sur leurs parents ?

Une étude de l’Inserm9 de 2014 prouve que les enfants qui regardent le plus les écrans sont ceux dont les parents consomment le plus de télévision et d’ordinateur. Il existe bien un effet mimétique. Et l’éducation joue un rôle prépondérant dans la sensibilisation aux écrans. Elle seule permet de réguler cette pratique incontournable.

« La plus grande violence des écrans est justement de nous écarter de la représentation de solutions collectives. Que ce soit dans les séries télé ou dans les programmes pour enfants, partout triomphe le héros solitaire10 », écrit Serge Tisseron.

Ainsi jaillit le paradoxe des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) : d’un côté, elles nous rapprochent les uns des autres. Vous pouvez deviser avec votre enfant en une seconde, même s’il se trouve à des milliers de kilomètres de vous. De l’autre, elles nous éloignent les uns des autres. Des familles entières ne communiquent plus en face à face.

La réelle présence diminue comme une peau de chagrin dans notre civilisation occidentale. Une humanité hyperconnectée est une humanité qui perd de vue l’importance de la réelle présence.
Il est urgent de proposer un code de bonnes pratiques. En France, l’Académie des sciences a émis, en 2013, un avis qui essaie de prendre en compte la complexité de notre relation aux écrans. Nous entendons le terme de complexité tel que le sociologue Edgar Morin l’a défini : « ce qui est tissé ensemble11. »

Les orientations proposées dans cet avis sont de trois ordres :
- L’apprentissage rapide de l’enfant à l’autorégulation. À cet effet, il
convient de fixer au jeune enfant des tranches horaires pour regarder des programmes spécifiques. Dès ses trois ans, vous pouvez « négocier » des contrats avec l’enfant.
- L’encouragement à la pratique de l’alternance. Elle s’effectue grâce à la variation des stimulations et l’encouragement de l’enfant à développer des activités qui mobilisent ses cinq sens et ses dix doigts.

- L’accompagnement. Concrètement, le parent offre la possibilité à l’enfant de raconter ce qu’il a vu sur l’écran. Il l’encourage à cette pratique. Il la favorise. Aidé par l’adulte, l’enfant s’entraîne à élaborer psychiquement le récit de ce qu’il a vu. Il passe ainsi de la pensée spatialisée, propre aux écrans, à la pensée linéaire du langage parlé ou écrit.

Selon le psychanalyste Serge Tisseron, « il est toujours préférable de laisser un enfant, non pas devant un écran, mais devant un programme dont on connaît la teneur et la durée12 ».

Force est de constater que, bien souvent, ce n’est pas ce qu’il se passe. Nombre de parents laissent leurs enfants durant des heures devant un écran, utilisant la télévision comme une baby-sitter, sans même se préoccuper du contenu du programme regardé et s’il est recommandé pour l’âge de leur enfant, trop contents d’avoir du temps pour eux qu’ils mettent à profit pour se connecter à d’autres écrans , pour d’autres activités numériques.

Ainsi s’ébroue un quotidien de famille d’Homo connecticus, en risque de déliaison. C’est tout le lien qui est transformé avec cette révolution numérique. L’omniprésence des écrans dans l’univers familial apporte un capital social par procuration, l’arrivée de « personnages virtuels » avec lesquels chaque membre de la famille passe plus de temps qu’en compagnie des êtres présents en chair et en os. L’enfance d’Homo connecticus se passe dans une présence- absence encore inconnue dans l’espèce humaine.

Homo connecticus et Cercles de Qualité Relationnelle (CQR)
Les relations de chacun des CQR sont impactées. Rappelons qu’il existe autour de vous quatre cercles de qualité relationnelle dans lesquels vous disposez toutes les relations que vous nouez au cours de votre existence, des plus intimes aux plus éloignées. Chaque année, vous prendrez bien soin de conscientiser vos attentes relationnelles (à la fois pratiques et affectives), et d’effectuer un check- up relationnel, en évaluant ce que vous a apporté chacune de vos relations afin de prendre conscience de celles qui, éventuellement, se sont montrées toxiques.

Une relation, c’est une histoire que nous nous racontons avec quelqu’un. Nous en sommes toujours coauteur, cogarant et coresponsable. Toute relation est unique. Elle a une durée de vie : un jour, un mois, un an, dix ans... cinquante ans.

Mon modèle en cercles concentriques des CQR vous permet de conscientiser que toutes les relations ne se valent pas. À l’ère du numérique, il est intéressant de pouvoir mesurer combien les écrans, l’arrivée de personnages virtuels (avatars, pseudos, robots) impactent sur notre existence.

Pour l’enfant, le premier CQR, le cercle de tendresse, est désormais peuplé d’êtres qui lui sont chers, mais qui, a priori, ne sont pas humains. Ce sont des êtres tout droit sortis de l’imagination des hommes, de leur créativité, de leur ingéniosité, mais ils ne sont pas faits de chair et d’os. Ils ont été créés à notre image.

À sept ans, Ludo dira peut-être que son meilleur ami, celui en qui il a le plus confiance, c’est « R6D6 », son robot fidèle. Longtemps, en tant qu’expert en développement relationnel, j’ai soutenu que les relations virtuelles ne devaient pas apparaître dans une constellation relationnelle unique. Aujourd’hui, à l’aune de l’évolution présente et à venir, je me demande si nous ne devons pas revenir sur cette question et avoir des positions moins tranchées. Sans occulter, pour autant, tous les dangers et les effets pervers que ces nouvelles relations risquent d’insuffler au sein de l’humanité. Nous sommes plongés dans l’univers du film de Steven Spielberg A.I. Intelligence artificielle sorti en 2001. Il y a longtemps que le cinéma de science- fiction s’est penché sur la question. Aujourd’hui, nous y sommes, et ce n’est qu’un début. A-t-on idée de ce que sera le monde des relations dans seulement cinquante ans ?

En quelques années, les technologies numériques ont bouleversé notre vie familiale, publique et toute notre intimité.

Les études récentes d’universitaires américains13 tendent toutes à prouver que les enfants de moins de trois ans ne gagnent rien à la fréquentation des écrans non interactifs, télévision et DVD. Pire, ce comportement aggrave la prise de poids et ne favorise pas un bon apprentissage du langage.
En clair, les DVD qui sont vendus pour améliorer l’apprentissage du langage de votre enfant sont des publicités mensongères. En la matière, rien ne vaut la réelle présence et l’interaction sensorielle avec votre petit d’homme.

Selon cette même étude, pour chaque heure par jour durant laquelle Bébé connecticus regarde un DVD, ses apprentissages en vocabulaire diminuent de six à huit mots par rapport aux enfants qui ne regardent pas de films. Chez les Bébé connecticus âgés de dix-sept à vingt-quatre mois, le visionnement de tels DVD n’a aucun effet sur l’apprentissage du vocabulaire.

Les chercheurs américains ont découvert que 40 % des bébés de trois mois regardent quotidiennement la télévision. Ce pourcentage monte à 90 % à partir de deux ans.

En France, une étude publiée dans Courrier international en 2006, menée auprès de 55 000 enfants, a mis en évidence que, parmi les trois programmes les plus fréquemment regardés par les enfants, deux ne leur étaient pas directement destinés : en premier, ils regardent les journaux télévisés, puis les jeux télévisés, et enfin les dessins animés.

Cette étude Médiamétrie, datant de 2011, témoigne que 80 % des enfants regardent ces types de programmes : « Un enfant de moins de trois ans ne doit pas regarder les informations télévisées », s’insurge le psychanalyste Jean-Pierre Winter.

À l’heure des chaînes d’information en continu, serait-ce un vœu pieux ?
Les écrans constituent alors un danger tridimensionnel pour l’enfant :
1. Une très forte charge émotionnelle véhiculée par certaines images, parfois insoutenables, même pour un adulte.
2. L’impossibilité de donner du sens à ces contenus, surtout si l’enfant (et c’est prouvé) se retrouve souvent seul devant l’écran, ou en compagnie d’autres enfants, aussi incapables que lui de « poser une réflexion sur ce qu’ils voient ».
3. L’impossibilité de sublimer cette situation « potentiellement traumatique » par du jeu.
Bref, à ces âges, le contenu des écrans insécurise l’enfant.

Bébé gamer
Les gamers commencent de plus en plus jeunes. C’est ainsi que l’on désigne tous ceux qui jouent aux jeux vidéo. Une étude récente14 montre que 30 % des enfants de moins de trois ans ont déjà joué à la console ; ils sont 70 % des moins de cinq ans et 95 % des moins de sept ans. Il faut dire qu’ils ont été initiés par leurs parents qui, eux-mêmes, sont des praticiens de la console de jeux. On dénombre près d’un milliard et demi de gamers dans le monde, et ce chiffre ne cesse de croître.
Un des jeux connectés les plus populaires ces derniers mois parmi les gamers, petits et grands, s’appelle Ingress. On dénombre déjà plus de dix millions de joueurs dans le monde. Répartis en deux équipes, smartphone en main, ils se livrent à une guerre de territoire, virtuelle mais sans merci.

Ingress est un jeu sur mobile massivement multijoueur qui prend appui sur le monde réel grâce à la géolocalisation. Ce real world game a été créé par une filiale de Google. La lutte a commencé en novembre 2012.

Le jeu, disponible sur Android ou iOS, consiste à se déplacer, physiquement, d’un endroit à un autre. L’objectif est simple, compréhensible par un enfant de quatre ans : conquérir du territoire, encore, encore, et encore du territoire, et le défendre face aux attaques de l’équipe adverse.

Ainsi, parents et enfants peuvent jouer ensemble. Ce jeu, aux frontières du réel, imbrique « le connecté » et la réalité. Il oblige à marcher, à découvrir des endroits, parfois insolites.

C’est peut-être pour cette raison qu’il séduit tant d’Homo connecticus.
Le concept se résume assez rapidement. Néanmoins, tout un univers a été inventé pour donner de la profondeur à ce jeu de géolocalisation. Sa présentation officielle plonge immédiatement le joueur dans une atmosphère inquiétante :
« Une mystérieuse source d›énergie a été découverte et se répand dans le monde. L›origine et l›objectif de cette force sont inconnus, mais certains chercheurs pensent qu›elle influence notre façon de penser. Nous devons la contrôler, ou c›est elle qui nous contrôlera », peut-on lire dans l’introduction du jeu.
À partir de là, deux choix s’offrent au joueur : soit rejoindre la faction des « résistants » (les bleus), qui considèrent cette source d’énergie comme maléfique, soit se rapprocher de celle des « éclairés » (les verts), qui veulent l’exploiter pour faire avancer l’humanité. Chaque équipe doit alors tout faire pour étendre son influence. Comment ? En reliant des « portails » entre eux, afin de créer des champs d›influence. C’est pour cette raison qu’on utilise son smartphone afin de notifier le territoire comme appartenant à notre équipe.
Depuis Piaget, on sait qu’il est essentiel que l’enfant vive des activités lui permettant de se servir de ses dix doigts. Ces activités développent son habileté motrice, et favorisent la maturité des régions cérébrales concernées. On comprend bien que les jeux vidéo ne peuvent pas se substituer aux activités traditionnelles.

Votre mission principale : faites en sorte que votre enfant pratique toutes les activités d’éveil possibles (sports, culture, musique, chant, arts plastiques, exploration de la nature) qui l’aideront à développer son psychisme normalement.

Autre souci de taille, c’est le caractère addictif des jeux vidéo. Ils accaparent parfois toute l’attention d’un jeune. À tel point que l’enfant devient déréalisé. Certains jeunes les appellent les no-life. Nous avons déjà cité le cas symptomatique des Hikikomori, au Japon, ces jeunes complètement désocialisés qui passent leur vie dans leur chambre, face à leur écran d’ordinateur, à jouer aux jeux vidéo à longueur de journée, qui ne vont plus à l’école et qui n’ont plus d’amis, en dehors de leurs amis virtuels. Cette fuite de la réalité entraîne parfois jusqu’au suicide. On imagine la souffrance de ces enfants, et celle de leurs parents, souvent démunis, ne sachant pas quels remèdes employer. Une enfance d’Homo connecticus n’est donc pas de tout repos.

En tant que parents concernés, faites œuvre d’éducation. Tout d’abord, en conscientisant ce qui se joue. C’est tout l’intérêt des informations contenues dans cet ouvrage. En décidant d’être exemplaire vis-à-vis de votre enfant. Montrez-lui que vous êtes actifs : emmenez-le dans les activités (culturelles, sportives, associatives) que vous pratiquez. Votre enfant agit par mimétisme et projection. Vous lui servez aussi de modèle. C’est ainsi que vous éveillerez chez lui des vocations.

Le plus longtemps possible, continuez à proscrire toute forme d’écran (télévision, ordinateur, smartphone) dans la chambre de vos enfants, au moins jusqu’à sept ans.

Néanmoins, on ne peut pas aller contre l’air du temps. Et puis, la pression sociale des autres enfants, à l’école, fera que votre enfant ne voudra pas passer pour un « ringard », complètement « déconnecté ». Donc, dès sept ans, établissez des règles claires sur le temps de jeux et sur le temps d’écrans dont il dispose au quotidien.

Quant au contenu des jeux, la violence de certains est terrible. Elle a néanmoins un effet cathartique... sauf quand l’enfant, trop addict, ne fait plus la différence entre l’univers imaginaire et la réalité. Une étude américaine, menée par une équipe de pédopsychiatres de l’université du New Hampshire en 201315, démontre clairement la corrélation entre une trop grande pratique des jeux vidéo de guerre et la montée de l’ultraviolence chez les jeunes. Ils ont pu attribuer, pour partie, à cette pratique intensive des jeux vidéo les actes fous commis par certains étudiants qui ont fomenté un massacre de masse, comme à Colombine.

En ce qui concerne l’usage d’Internet, s’en servir avant neuf ans n’est pas très intéressant sur le plan éducatif, et met aux prises à de multiples dangers.

Autre mission principale : initiez votre enfant à Internet à partir de neuf ans, en vous rendant, les premières fois, avec lui, sur la Toile. Partez en exploration ensemble.

Transmettez-lui ces trois données que vous devez, vous aussi, avoir conscientisées :
1. Tout ce que l’on publie sur Internet tombe immédiatement dans le domaine public.
2. Tout ce que l’on y met risque d’y rester pour des années.
3. Tout ce que l’on y trouve est à tamiser : il y a du vrai et du faux, du bon et du mauvais.
Une autre de vos missions sera de lui apprendre à séparer le bon grain de l’ivraie, de se nourrir du bon et de laisser de côté le toxique. Pas évident, quand on sait que l’enfance puis, encore plus, l’adolescence, sont marquées du sceau de la transgression, et que cette dernière est même salutaire pour l’évolution du psychisme et de l’identité de votre enfant. Cette période délicate n’exclut pas votre présence et votre cadrage, bien au contraire.

b) Des parents déconnectés ?
Tous les parents ne sont pas connectés au même degré : du parent geek, passionné par tout ce qui touche au numérique, jusqu’au parent archaïque, réfractaire à tout ce qui touche, de près ou de loin, à du technologique, en passant par le parent « écolo-bobo » qui, par souci de bien-être, préfère se passer de téléphone portable, voire d’ordinateur, les comportements varient énormément.
En 2001, le philosophe américain Marc Prensky effectuait la distinction entre les individus nés avec les technologies numériques et ceux nés avant. Il appelait les premiers les digital natives, et les seconds les digital immigrants.

Si vous ressentez le besoin « d’imprimer vos e-mails », de sortir vos documents sur papier « pour les corriger, plutôt que de le faire à l’écran » ou « d’appeler vos collègues pour leur montrer un site intéressant, plutôt que d’envoyer un lien », alors vous faites probablement partie des digital immigrants.

Comme tout nouvel arrivant en terre inconnue, les « immigrés numériques » entament un long processus d’apprentissage pour s’adapter. Mais il leur restera toujours « un accent » – comme le montrent les petites habitudes précitées –, signe qu’ils ont pris le train des nouvelles technologies en marche. C’est exactement comme lorsqu’on apprend une langue étrangère : maîtriser le « langage des ordinateurs, des jeux vidéo et de l’Internet » se révèle plus compliqué avec les années.

Selon Marc Prensky, les changements induits par cette évolution de la structure cognitive des moins de trente ans sont énormes. Car non seulement les digital natives semblent s’instruire différemment, ce qui impliquerait que leurs aînés changent leurs méthodes d’enseignements, mais ils auraient également besoin d’apprendre des savoirs différents.

Ainsi, si certaines matières traditionnelles restent d’actualité, comme la lecture, l’écriture et l’arithmétique, d’autres seront à l’avenir de moindre importance, à commencer par le latin, le grec ou la géométrie. En effet, les matières du futur, comme la programmation, la robotique ou les nanotechnologies devraient davantage intéresser les étudiants du xxie siècle.

Les digital natives sont immédiatement familiarisés à toute innovation numérique. Ils évoluent dans cet univers comme des poissons dans l’eau et s’approprient très vite leurs vertus.

Parmi les seconds, il en est pour qui c’est plus difficile. Certains se montrent même incapables de bien parler cette « langue » avec laquelle ils n’ont pas grandi.

Néanmoins, des études récentes témoignent qu’une majorité de parents sont de plus en plus connectés, même si nous constatons bien souvent que ce sont leurs enfants qui les initient à toutes les nouveautés numériques qui foisonnent et prolifèrent sur le marché. Certains parents passent même pour être déconnectés. Or, les enfants associent niveau de connectivité et être « dans le vent »... ou ringard.

Pour ne pas passer pour archaïques, les parents ont le devoir de se mettre à la page. C’est également ainsi qu’ils parlent le langage de leurs enfants.
Dès les premiers mois de Bébé, nombre de parents s’équipent d’objets connectés « spécial enfants ».

Vous pensez peut-être que les seuls objets connectés pour enfants sont des smartphones ou des babyphones reliés à votre propre téléphone ? Vous êtes loin du compte. Car non contents de s’immiscer dans tous les aspects du quotidien des adultes, ces appareils viennent s’inviter dans le monde rose et bleu des tout- petits. Pour rassurer les parents, ou pour mieux les angoisser, c’est selon. Les enfants, très jeunes désormais, sont équipés de smartphones. Mais, bien plus tôt, ils sont le centre d’un marché de niche. Pour les usages les plus simples, on trouve désormais des moniteurs remplaçant joyeusement les écoute-bébés d’antan, ces talkies-walkies qui ont bien peu évolué depuis les années 1980. La firme américaine Withings propose un Smart Baby Monitor avec lequel vous pouvez voir (et entendre) votre bébé à distance, et par le biais duquel vous pouvez communiquer avec lui. Une autre marque, EyeOn Baby Camera, propose sensiblement la même chose, avec des capteurs de mouvements (avec possibilité de filmer les gigotages de l’enfant) ou de température. Ils sont avant tout destinés aux parents devant confier leur enfant à autrui durant la journée ou pendant un laps de temps plus long.

Comme les adultes, les nourrissons peuvent désormais être pesés sur des balances connectées. On ne parle plus de pèse-personne, ces appareils étant généralement trop peu précis, mais de pèse-bébé. Leurs versions connectées sont capables de mettre de côté le poids de la couverture que vous placez entre l’appareil et votre bout de chou et permettront de créer une courbe de croissance avec indice de masse corporelle, et tutti quanti. Avant, vous pesiez votre bébé et consigniez tant bien que mal les données dans son carnet de santé, histoire d’en discuter avec le pédiatre. Mais ça, c’était avant.

Quoi d’autre au menu ? On peut évoquer une poussette connectée, la Rolls du genre : l’Origami, qui se plie et se déplie toute seule, au lieu de torturer de jeunes parents généralement aussi pressés qu’encombrés. Elle indique en outre la distance parcourue et la vitesse moyenne du pousseur.

De quoi organiser des courses de poussettes arbitrées sur smartphones. Mais aussi la brosse à dents connectée, pour vérifier que les petits garnements se brossent bien les quenottes, et le font correctement. Il existe certainement une foule d’autres petits objets, plus ou moins utiles (ou futiles) et onéreux qui trouvent tout leur sens dans un usage enfantin, tel cet ourson connecté, Tedi, dans lequel les parents les plus motivés peuvent placer leur iPhone pour mieux interagir avec la peluche.

Quand l’enfant porte des objets connectés
L’enfant connecté, ce n’est pas seulement un environnement où les petits appareils surveillent ses faits et gestes, principalement quand il n’est encore qu’un nourrisson. Ce sont aussi des petits modules placés sur son petit corps, en tant que bracelets, ou intégrés à ses vêtements. Et de ce côté, rien ne semble plus arrêter l’imagination de leurs concepteurs. Pas plus que les adultes qui peuvent théoriquement déjà porter bien des accessoires connectés (trackers d’activité, soutien-gorge connecté, et bien d’autres), les enfants ne sont pas épargnés. On pourra notamment trouver dans les boutiques spécialisées ces étranges bodies (implants) ornés d’une tortue en plastique vert, le « Mimo » : le capteur intégré au vêtement analyse toutes sortes de données corporelles du bébé, comme sa température ou ses mouvements, et fait à sa manière office de babyphone puisqu’il avertit les parents lorsque l’enfant crie. L’objet est surnommé the Smart Baby Monitor, et se compose de son module tortue, sa base connectée au WiFi de la maison et trois bodies.
Toujours dans la tendance nourrisson, la couche connectée. Vous n’y pensiez pas, et pourtant, des esprits aventureux l’ont fait, et pas des moindres : il s’agit de Huggies, le géant américain des couches- culottes. Sa filiale brésilienne a présenté en 2014 un module connecté à placer par-dessus la couche, relié en Bluetooth au smartphone et qui se charge d’indiquer aux parents le taux d’humidité de la chose. Selon la marque, il s’agit d’aider les parents à changer leur bambin au bon moment, mais aussi à leur servir d’indicateur de consommation, et donc à mieux prévoir leur liste de courses.

Plus discutables, les bracelets connectés pour enfants sont eux aussi apparus ces derniers mois comme LeapBand, ce bracelet ressemblant à un Tamagotchi des temps modernes, avec petit écran affichant des animaux virtuels, bracelets colorés et gros boutons. Son but est d’encourager l’enfant à bouger et le récompenser quand il atteint ses objectifs. Autre usage pour un bracelet, celui défini par Nivea qui propose, avec son bracelet présenté au Brésil en mai 2014 dans une campagne de communication, un accessoire doté d’une puce GPS. Ici, il s’agit de recevoir une notification via une application Android ou iOS si l’enfant dépasse un périmètre autorisé. Les autres bracelets GPS destinés à orner le poignet des enfants sont certainement nombreux, et appelés à se développer.

Du bon sens, somme toute, à l’encontre duquel vont ces objets qui, en l’absence de législation précise, s’engouffrent dans un marché de niche très lucratif. Les risques sur la santé de l’enfant ne sont pas les seuls paramètres à prendre en compte. Imaginons cet enfant d’aujourd’hui, bardé de capteurs. Ou plutôt de demain, car à moins d’être détenteur d’un portefeuille bien garni, le bébé et l’enfant connectés sont extrêmement onéreux, et l’on peut douter d’une adoption rapide et massive de telles technologies. Côté parents, la crainte d’être séparé de son enfant n’est pas nouvelle, mais elle entre dans le quotidien des deux parties : les parents doivent être capables de ne pas trop couver leur progéniture, laquelle doit apprendre à couper le cordon avec ses parents. Mais avec ces objets connectés, impossible : n’est-ce pas, d’une certaine manière, augmenter l’angoisse parentale ? En cas de panne, de coupure d’électricité ou que sais-je encore, ne risque-t-on pas de tomber dans un excès plus anxiogène qu’autre chose ? Il y a peu de chance pour qu’un tout-petit saisisse bien l’intérêt d’être connecté à tout-va, tandis qu’à travers lui, c’est le parent qui s’offre de quoi n’être jamais déconnecté.

Le facteur d’angoisse, c’est aussi celui de la comparaison. On pense notamment aux balances connectées qui, mal utilisées, peuvent conduire chez les plus stressés à des interprétations hâtives de courbes de croissance comparées à la moyenne des enfants. De même que les objectifs fixés par des bracelets fitness, le quantified self (« mesure de soi ») du tout-petit me semble avoir de quoi faire trembler. Toutes ces observations ne signifient pas que les objets connectés autour de l’enfant ne sont pas bons à prendre. Un adulte responsable est sans doute capable de déterminer tout seul quand changer la couche de son enfant, si ses cinq sens fonctionnent correctement. Idées farfelues mises à part, le babyphone permettant de communiquer avec l’enfant semble utile, utilisé par exemple lorsque les parents s’absentent plusieurs jours. De même qu’un pèse-bébé dont on pourra présenter les résultats à un pédiatre.

Le reste, finalement, ne fait qu’automatiser des gestes (prendre la température de l’enfant, surveiller sa respiration) qu’une présence humaine peut déjà assurer. De même pour les bracelets GPS qui, outre le fait qu’ils peuvent encourager les parents à être moins attentifs à leurs enfants, remplacent une surveillance visuelle. Alerte sur smartphone ou pas, il faudra bien, un jour ou l’autre, courir pour rattraper le petit fuyard, rassurer sans empêcher. C’est probablement la vocation essentielle de ce type d’appareils qui ne trouvent leur réel usage que dans des cas extrêmes, les enlèvements d’enfants n’étant heureusement pas chose commune. « Certaines études17 assurent que 60 % des 10-12 ans sont déjà équipés de smartphones. Il n’est peut-être pas nécessaire de leur en donner le goût trop tôt. »

c) Un quotidien d’Homo connecticus : les objets connectés
Les objets connectés sont partout. Ils nous accompagnent au quotidien, dans la rue, dans les transports en commun, du matin, au saut du lit... jusqu’au soir, au moment où nous appuyons sur le bouton de la télécommande.

Une étude de la revue 60 millions de consommateurs18 nous montre qu’en 2014, un million d’objets connectés étaient en vente, ce qui constituait neuf milliards d’euros de budget dépensé par les citoyens du monde entier.

Homo connecticus a le choix de passer vingt-quatre heures sur vingt-quatre connecté.
Un panneau publicitaire dans ma ville natale, Sannois, a attiré mon attention : « Sannois, une ville connectée. »

Pour beaucoup, les objets connectés sont la révolution de demain. Les objets connectés, ce sont les objets du quotidien qui peuvent interagir avec Internet via une interface numérique. Pouvoir programmer sa cafetière pour que son café soit préparé à son réveil, voir les notifications de ses rendez-vous sur la télé, anticiper ses carences alimentaires grâce aux données enregistrées par sa montre... toutes ces évolutions technologiques dignes de films de science-fiction sont déjà possibles et à la porte de nos foyers. Dans ce contexte où la concurrence sera de plus en plus féroce, quels sont les enjeux en matière de design ? Comment le design peut-il intervenir sur le marché des objets connectés pour améliorer l’expérience des utilisateurs ?
Il existe une kyrielle de sites internet qui répertorient toutes les innovations en la matière, parmi eux : www.objetconnecte.net.
Vous pourrez y découvrir « Flic », l’objet connecté le plus simple du monde puisqu’il s’agit d’un simple bouton. Le concept est très simple : un bouton, du Bluetooth et une application mobile. À partir de là, vous avez la capacité de contrôler à peu près tout ce qui est connecté à Internet. C’est en tous les cas la promesse qui est derrière cette nouvelle campagne présentée par l’entreprise Indiegogo. Flic se présente donc comme un bouton sans fil, connecté et totalement configurable afin d’effectuer des fonctions diverses avec un simple clic, un double clic, un clic long, un clic très long, etc.
Selon les créateurs du projet, tout peut y être connecté, comme les ampoules Hue de Philips, le thermostat Nest de Google, les produits de Honeywell, WeMo, etc. Il sert donc en apparence aux gens déjà « très connectés », mais en réalité, j’y vois surtout un intérêt pour des usages détournés comme des actes répétitifs et quotidiens, pour les personnes âgées, les urgences, les usages discrets, ou encore pourquoi pas à destination des animaux ?

Smartwatch, traqueur connecté, coach numérique, balance intelligente... La diversité des objets connectés donne l’impression que ces nouveaux devices (« objets connectés ») sont parmi nous.

7. Serge Tisseron, 3-6-9-12 : apprivoiser les écrans et grandir, Erès, 2013.
8. Aric Sigman, « Time for a view on screen time », Archive of Desease in Childhood, 8 octobre 2012.
9. Dossier « Obésité 2010-2013 » réalisé en collaboration avec Arnaud Basdevant, nutritionniste et chercheur, unité Inserm U872, Institut hospitalo-universitaire ICAN (Institute of cardiology metabolism and nutrition), janvier 2014.
10. Tisseron, op.cit.
11. C’est la définition même de la complexité qui est au cœur de toute l’œuvre d’Edgar Morin
13. F. J. Zimmerman, D. A. Christakis, Children’s Television Viewing and Cognitive Outcomes: a Longitudinal Analy- sis of National Data, Archives of Pediatric Adolescent Medicine, 2005, pp. 619 à 625.
14. Étude réalisée par TNS/Sofres pour le CNC en novembre 2014.
16. Un rapport de l’ANSES intitulé « Radiofréquences et santé » d’octobre 2013 cite une étude parue en 2011 dans la revue International Journal of Oncology : L. Hardell, M. Carlberg, et al. « Pooled analysis of case control studies on malignant brain tumours and the use of mobile and cordless phones including living and deceased subjects », Interna- tional Journal of Oncology, vol. 38, n°5, pages 1465-1474.



 
Christophe Médici

 

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