Père au foyer : mode d'emploi

Si les sociologues ont du mal à cerner la notion et tournent autour de plusieurs thèmes (revenus, statut social, activités annexes, retraite ou non...) pour définir ce mutant, il est objectivement un père qui reste à la maison pour s’occuper de ses enfants et des tâches ménagères. En ce qui me concerne, je pense plus subjectivement que sont PAF les personnes qui se considèrent comme tels. C’est donc à ces dernières que s’adresse ce livre, à ceux qui se sentent PAF ou ont envie de le devenir.


« Qui va garder les enfants ? » Laurent Fabius à l’occasion de l’annonce de candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007

La voix de l’homme sur la vidéo extraite d’une émission postée sur le site de partage YouTube est claire. Il s’exprime sans acrimonie, sans rancœur apparente, pourtant son constat est implacable : « Je manque de vie sociale, d’indépendance financière parce que je ne ramène pas d’argent, je ne ramène rien ».1 Puis, une voix d’une toute petite fille l’interrompt parce qu’elle a vu une mouche et il arrête ses explications.

Quel est donc cet homme qui se plaint de ses conditions matérielles et sociales et se voit mener par le bout du nez par une petite fille ? C’est un père au foyer, PAF pour les intimes. Un acronyme qui vient bouleverser l’ordre traditionnel de la société qui voulait que maman s’occupe des enfants pendant que papa travaille.

Qu'est-ce-qu'un père au foyer ?
Si les sociologues ont du mal à cerner la notion et tournent autour de plusieurs thèmes (revenus, statut social, activités annexes, retraite ou non...) pour définir ce mutant, il est objectivement un père qui reste à la maison pour s’occuper de ses enfants et des tâches ménagères. En ce qui me concerne, je pense plus subjectivement que sont PAF les personnes qui se considèrent comme tels. C’est donc à ces dernières que s’adresse ce livre, à ceux qui se sentent PAF ou ont envie de le devenir.

L’une des premières traces du phénomène remonte à 1976, autant dire un temps quasi antédiluvien. Pendant l’année en question, le Parti communiste abandonnait la notion de « dictature du prolétariat », un été caniculaire donnait naissance à un impôt sécheresse... et le news magazine Le Point s’intéres- sait à un nouveau genre de pères : « La première fois que j’ai dû changer les couches de ma fille, ça m’a fait quelque chose » y expliquait l’un d’eux ensuite caractérisé comme « un père d’un type nouveau qui parle, un père au foyer : maman travaille, papa reste à la maison. Une révolution encore limitée. Mais sait-on jamais ? »2

L’impulsion est donnée puisque progressivement les médias s’emparent du sujet. En 1980, une série télé intitulée Papa poule popularise le concept. Pendant deux ans, soit douze épisodes, Bernard Chalette, dessinateur de publicité, y élève seul ses quatre enfants issus de deux mariages. Notons cependant qu’ici, si le héros se trouve contraint de s’occuper de ses enfants, ce n’est pas un choix qu’il a effectué avec la mère des enfants. Mais, suivre un père qui « met la main à la pâte » valait bien un feuilleton !

La tendance PAF prend certes de l’ampleur mais, avec des chiffres de l’ordre de 283 pères en congé parental rémunéré par la CAF en 2004 et 287 en 20063, la croissance tient plus de la vaguelette que du raz de marée.

En matière de congé parental, selon une étude de l’INSEE de septembre 2013, 28 % des femmes ont arrêté leur activité professionnelle au moins un mois pour leur premier enfant, 40 % pour leur deuxième enfant et 55 % à partir du troisième enfant. Dans les mêmes circonstances, un homme sur neuf seulement (soit 11 %) réduit ou cesse son activité professionnelle après la naissance d’un enfant. Alors qui donc est-il ce père au foyer, espèce rare en voie d’apparition ?

Le terme « père » vient du latin pater. Celui-ci, à l’époque romaine ne désignait pas nécessairement le géniteur des enfants mais le chef de la maison, le pater familias, celui qui dirigeait la familia entendue quasiment comme une unité économique. En effet, la familia était étymologiquement l’ensemble des famuli, esclaves rattachés à la maison du maître, puis par extension tous ceux qui vivaient sous le même toit.4 Pater qui, comme dans « Jupiter », évoquait le respect et a dérivé vers le sens de « patron ».5 Traditionnellement, le père de famille c’est dieu le père dans sa maison : tel Jupiter, il y est tout-puissant.

Dans le sens où on l’entend maintenant, le mot « père » – celui qui a engendré ses enfants – apparaît au xie siècle tandis que l’expression « père de famille » est mentionnée à la fin du xve siècle. Pour autant, les structures sociales, les conditions de vie des familles ne permettaient pas l’apparition du PAF avant l’époque contemporaine.

De la « grande famille » à « la famille nucléaire »
Traditionnellement, et jusqu’à une date relativement récente ; notamment dans le monde rural, plusieurs générations vivaient sous le même toit et sous l’autorité du patriarche qui, plus âgé, représentait l’autorité tel le pater familias antique (sans plus avoir droit de vie ou de mort sur les membres de la maisonnée comme son prédécesseur). La famille était un lieu de transmission de valeurs, de traditions et de biens. La référence était le passé et non l’innovation. Les rôles étaient sexuellement distribués et immuables. Aux hommes le travail extérieur, aux femmes les soins du logis et des enfants en bas âge (tout en aidant les hommes aux champs, certainement pour leur permettre de prendre l’air...), donc pas précisément de temps pour se lancer dans les expérimentations sociétales...

Mais, ne caricaturons pas. Ce mélange des générations avait des avantages. Un brassage générationnel, porteur d’enrichissements mutuels (« Ah les recettes de mamie ! » en cuisine ou autres spécialités diverses et variées) et la certitude que l’on pouvait compter sur quelqu’un pour aider aux tâches familiales. Ainsi, avec les grands-parents sous le même toit, la question de la garde des enfants ne se posait pas. C’était eux – ou en raison d’une durée de vie supérieure, elle, la grand-mère – qui s’occupaient des bambins, bien souvent avec dévouement. On m’a raconté l’anecdote de grands-parents qui se sont relayés dans leur lit pour tenir chaud à leur petit enfant, nouveau-né prématuré à une époque où les couveuses n’existaient pas.

La révolution industrielle qui a débuté au xixe avec la fin du foyer comme cellule de production (ferme, échoppe d’artisan) et le développement du salariat dans des usines ont bouleversé ce mode de vie. L’exode rural a sonné la fin des exploita- tions agricoles bourdonnantes d’activité avec différentes générations vivant au même endroit. Pour trouver un travail plus abondant, mieux payé, moins difficile, fils et filles ont pris le train, la route et ont migré dans des centres industriels. Loin de leur famille, ils ont dû inventer un nouveau type de vie.

L’évolution des temps, concomitante avec l’exiguïté des logements, a fait qu’aujourd’hui la famille est devenue « nucléaire », se résumant donc à son noyau essentiel : parents et enfant(s). Le père et la mère écrivent leur histoire commune avec leur(s) enfant(s) comme sujet(s) principal(aux). Non seulement les grands-parents ne logent plus avec eux mais, parfois, mutations professionnelles obligent, habitent loin d’eux. Sauf exception, le foyer d’aujourd’hui est exclusivement le lieu de vie de la cellule familiale de base. Le couple travaille donc en ville, parfois loin de sa famille : sans ce soutien « naturel » proche se pose alors le problème de la garde de l’enfant, lorsqu’il arrive...

Une répartition sexuée des rôles au sein de la famille perdure
La tertiarisation et la robotisation galopantes ont envahi le monde du travail. Taper sur un clavier d’ordinateur ou répondre au téléphone ont remplacé les travaux physiques harassants de la ferme, de la mine ou de la chaîne fordienne de production comme mode de subsistance. Si l’argument de la force physique comme élément justifiant le fait que seul l’homme pouvait travailler à l’extérieur en a pris un coup, le partage du monde est longtemps resté immuable. À l’homme, la vie sociale, le travail ; à la femme, le soin du foyer.

Chacun son sexe, chacun son rôle et pour les hommes, les inverser n’est pas forcément chose aisée comme l’affirme Laura Merla : « Diverses études menées en Australie, au Canada et aux États-Unis mettent en lumière de manière écrasante et lancinante le lien entre identité masculine et travail profession- nel, que ce soit au cours des interactions avec autrui ou dans les propos que les pères au foyer tiennent sur eux-mêmes. »6 De même, le soin aux enfants apparaît comme une prérogative exclusivement féminine. La même enquête fait ressortir le sen- timent largement partagé dans l’opinion que « les mères “sont naturellement plus qualifiées” dans ce domaine. »

De plus, l’entrée des femmes dans le monde du travail ouvrier ne s’est pas faite sans difficulté, notamment au xixe siècle. « La stigmatisation du travail des femmes comme cause de la mortalité infantile va se développer autour d’arguments natu- ralistes visant à justifier l’infériorité des femmes. Ces forces vont chercher à décourager le travail salarié des femmes. Elles sont jugées faibles, fragiles, moins aptes au travail que les hommes. »7 Cette division du travail se voit érigée en modèle par le législateur : « Le système de protection sociale tel qu’il est pensé en 1945 repose sur la famille comme unité de base avec l’homme comme chef de famille. Le salariat se construit sur le modèle de l’homme pourvoyeur de ressources et de la femme inactive au foyer. »8

Il est intéressant de noter que c’est uniquement à partir de 2006 que l’INSEE a intégré une catégorie « Père et mère au foyer » dans son questionnaire de recensement. Pour la première fois, les pères au foyer y sont introduits à égalité avec les femmes au foyer et distingués des chômeurs, des retraités ou autres inactifs. De nombreux sociologues mettent en avant le marqueur « rapport au travail extérieur » dans le domaine de masculinité comme nous l’avons déjà souligné dans un paragraphe précédent. En effet, dans notre société, la masculinité se conjugue traditionnellement à la notion de travail, et plus particulièrement de travail physique. Celui où l’homme de par sa force a la prééminence sur la femme. Depuis l’aube de l’humanité, l’homme est celui qui rapporte la subsistance au foyer grâce à la sueur de son front. D’où la difficulté de situer un père au foyer qui déroge à la règle en faisant le même travail qu’une « faible » femme. « L’engagement dans la paternité au foyer met en effet en jeu l’appréhension et la présentation de soi en tant qu’individu masculin dans un contexte normatif qui privilégie, dans une grande mesure, l’investissement exclusif des hommes dans la sphère professionnelle, le domaine du soin des enfants étant encore largement considéré comme une sphère de compétence féminine. »9

En dédiant aux PAF et MAF (mère au foyer) une catégorie spécifique dans sa nomenclature, l’INSEE leur reconnaît une existence. Une petite case pour l’administration, mais un grand pas pour eux !


 

Martial Maury       

                        
                                                                              

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