Le père au foyer est-il vraiment un homme ?

Aujourd’hui le père au foyer, alias le PAF, est un homme qui prend la place au foyer, traditionnellement dévolue à la femme, et qui vit grâce à l’argent que celle-ci gagne à la sueur de son front charmant. Mais l’homme au foyer reste-t-il un homme ou bien est-il une sorte de mutant asexué dont le chromosome X aurait pris le pas sur l’Y ? Le PAF est-il une variante dégénérée du père de famille ou de la MAF ? Et pour quelles raisons (forcément) obscures devient-on PAF au lieu d’aller vaquer à l’extérieur et de gagner le pain quotidien de la famille ?

PAF, what else ?
Jean-Paul Valz-Erra  est l’un des pionniers en matière de « pafitude ». Marié à Mercedes Erra, qui est devenue la première femme à diriger un important groupe de publicité, il a cessé son activité de publicitaire au milieu des années 1990 pour s’occuper de leurs cinq enfants afin de faciliter la carrière de sa femme. Jean-Paul explique sa fonction : « Aujourd’hui, je gère tout le quotidien, ainsi que les travaux dans la maison, le jardin, et j’ai un libre accès au compte en banque. »

La définition de son activité de PAF rejoint celle de Wikipédia pour femme au foyer : « Souvent c’est elle [la femme au foyer] qui réalise la majeure partie des tâches du foyer : entretien domestique, achats, préparation des repas, surveillance et éducation des enfants. » Il est amusant de noter qu’alors que j’avais lancé « définition de père au foyer » sur mon moteur de recherche, celle de mère au foyer est apparue sur mon écran d’ordinateur dès la troisième occurrence ! En plus de s’occuper des enfants, le père au foyer est donc celui qui gère la maisonnée, s’occupe des tâches ménagères (en autonomie ou sous la direction de sa conjointe). Autre paramètre important, que révèle implicitement Jean-Paul Valz-Erra : le PAF vit sous la dépendance financière de sa femme qui gagne l’argent du ménage. En effet, pour quelles raisons précise- rait-il qu’il a « libre accès aux comptes en banque » si c’était lui qui l’alimentait ? Résumons-nous. Telle la MAF, le PAF est un homme qui travaille, sue sang et eau pour offrir un foyer accueillant sans rien percevoir en retour, bref un esclave ! Un esclave, oui, mais par amour. Car c’est pour sa belle qu’il fait tous ces sacrifices comme le confirme notre pionnier Jean-Paul Valz-Erra : « Eh bien, j’ai envie d’arrêter. J’ai envie de m’occuper des enfants, de ta carrière » lui avait-il annoncé lors d’un repas pour lui présenter son pro- jet.10 Bien que l’histoire ne dise pas si des bougies éclairaient le couple, le PAF serait-il avant tout un incurable romantique ?

DEVIENT-ON PAF PAR ENVIE OU PAR NÉCESSITÉ ?
Dans une majorité de témoignages recueillis à travers les études sociologiques, les articles ou les posts sur les forums d’internet, il apparaît que devenir père au foyer est plutôt le fruit de circonstances. Elles sont liées à des mutations professionnelles, à la volonté de privilégier la carrière du conjoint, à des calculs entre le manque à gagner généré par le fait de rester au foyer pour s’occuper des enfants et le coût de leur garde ainsi qu’à divers autres éléments. Certains – comme Bruno, 35 ans, papa de Leïla, Emma et Sarah, à la maison depuis huit ans – parlent cependant de vocation : « J’ai toujours su que le métro- boulot-dodo, ce n’était pas mon truc. J’ai un diplôme d’aide-soignant et une licence d’histoire. Ce n’est pas le chômage qui m’a poussé à m’occuper de mes enfants, mais un choix de vie. Ma femme est infirmière urgentiste, passionnée par son travail, voire carriériste ! Moi, j’aime m’occuper de mes filles, cuisiner. Je ne fais pas tout à la maison, nous partageons les tâches. Et j’ai une vie à l’extérieur, de nombreuses activités, sinon je ne tiendrai pas. Du coup, mon emploi du temps est vraiment chargé. Nous avons dû expliquer très récemment à nos filles incrédules que oui, parfois, les pères travaillent. Et qu’il arrive même que les deux parents aient un métier. »11 Dans la droite ligne de Jean-Paul Valz-Erra, Bruno a cessé une carrière pour permettre à sa femme de s’épanouir dans la sienne.

Dans d’autres cas, le choix est avant tout financier. Ainsi témoigne Damien : « J’étais entre deux intérims, mon épouse a une place stable, il était donc plus facile pour moi de rester à la maison à m’occuper de ma fille. Un calcul rapide nous a permis de voir que tout ce que je pouvais ramener en travaillant partirait en frais de garderie, sans parler du fait que les grosses tâches ménagères ne pourraient être effectuées que durant le week-end, donc perte dans la qualité de vie. »12

C’est le même type de raisonnement qui m’a poussé en embrasser cette carrière. Je suis PAF et, soyons honnêtes, ce choix résulte plus d’un concours de circonstances que d’une démarche militante. C’est à la naissance de Victor, notre troisième enfant que j’ai sauté le pas. Il devenait impératif que l’un d’entre nous puisse s’occuper de Mayeul (4 ans alors), Octavien (3 ans) et Victor à plein-temps. Les aléas de la vie, un questionnement professionnel quant à mon avenir, la difficulté à trouver un mode de garde qui nous convienne (à domicile pour s’occuper des trois enfants), tout cela a nous conduit à adopter ce mode de vie, dans lequel, je me sens in fine comme un poisson dans l’eau.

Fonctionnaire de l’Éducation nationale, Diane, mon épouse, est professeur d’histoire et de géographie : elle gagne mensuellement 2 500 € nets en moyenne. Quant à moi, j’étais à l’époque chômeur et mes indemnités de licenciement étaient moindres que le salaire de Diane. Sans compter que mes chances de retrouver un travail étaient fragiles puisque nous habitons une zone où l’emploi se fait rare. D’un point de vue financier, il s’avérait donc plus judicieux que je m’occupe des enfants plutôt que de les confier à une nounou après avoir éventuellement retrouvé un travail moyennement payé dans la grande ville à une heure de chez moi. Cela s’est d’autant plus rapidement décidé que je n’avais pas une envie irrépressible de me « coltiner » de nouveau une vie de salarié.

« Je suis tellement heureux de la réussite de Mercedes que je la pousse toujours à faire plus. Elle n’a pas besoin de moi pour ça, mais je suis si fier de sa carrière ! » exprime son mari, Jean- Paul : mais si Mercedes Erra n’avait pas eu tous les talents pour devenir une femme d’affaires d’envergure, serait-il devenu PAF ? Quant à moi, si j’avais eu un travail qui me passionne et/ou mieux rémunéré que celui de ma femme, me serais-je arrêté ?

Ainsi, la pafitude correspond souvent à la conjonction de deux faits : tout d’abord la naissance d’un enfant qui bouscule des habitudes de vie auxquelles le couple doit s’adapter rapidement puis, en second lieu, la situation professionnelle de chacun au sein du couple. Cette solution, qui va à l’encontre des schémas habituels de la société, est encore aujourd’hui peu usitée. Considérée comme originale, elle nécessite à ce titre une certaine ouverture d’esprit. Alors le PAF risque-t-il la mise au ban de la société ou peut-il malgré tout avoir une vie sociale, bref, exister ?

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9  Laura Merla, op. cit
10 www.cote-momes.com/cote-parents/societe/pere-au-foyer-conge- paternite-temoignage-d-un-papa-c384-p5.html, mars 2009.
11 www.infobebes.com/Enfant/Famille/Etre-parents/Etre-pere/Les-peres-au- foyer-trop-peu-nombreux, janvier 2008. 12 www.laligue.be/leligueur/articles/elle-lui-toujours-d-accord-le-conge- parental

Martial Maury       

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