L’héritage du passé et ses conséquences : la mère et le père, entre toute-puissance et absence

La condition féminine a vécu une révolution sans précédent à la fin du XXème siècle en libérant les « femmes au foyer ». Ce déboulonnage a entraîné la remise en question de l’identité des femmes, essentiellement des mères, à la fois obligées et libres tout d’un coup de vivre d’autres facettes de leur personnalité. Les femmes ont commencé à se construire une identité moins limitée, et plus ouverte à leur créativité au sens large du mot. Cette identité se projette en pointillé vers l’avenir et se détache de l’ancienne voie des devoirs et des besoins des mères.
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La condition féminine a vécu une révolution sans précédent à la fin du XXème siècle en libérant les « femmes au foyer ». Ce déboulonnage a entraîné la remise en question de l’identité des femmes, essentiellement des mères, à la fois obligées et libres tout d’un coup de vivre d’autres facettes de leur personnalité. Les femmes ont commencé à se construire une identité moins limitée, et plus ouverte à leur créativité au sens large du mot. Cette identité se projette en pointillé vers l’avenir et se détache de l’ancienne voie des devoirs et des besoins des mères.

L’idéal de la « femme au foyer » s’est imposé après la Seconde Guerre mondiale, surtout dans les années 50, mais il a connu rapidement un chant du cygne définitif dans les années soixante.

Jusqu’alors, dans l’histoire du XXe siècle, la place des femmes dans le travail avait fluctué en fonction des conditions économiques et des nécessités liées aux deux guerres, mais sans que jamais le travail des femmes ne puisse s’affirmer à égalité avec celui des hommes. Dans les années d’après guerre, on pensait que la réussite de la vie d’une femme n’était pas dans les études ou un travail, mais dans une promotion sociale à travers le mariage, avec un homme capable de subvenir seul aux besoins de sa femme et de ses enfants. Cette vision des choses, traditionnelle et bourgeoise, apparaît avec le recul comme un énorme piège où beaucoup de femmes sont tombées. Dans cette répartition des tâches, l’homme investit la vie sociale, et la femme la sphère familiale. Le mariage et la maternité représentent alors un point d’arrivée pour la femme. Dans la vision de l’époque, pour être une « bonne mère », il fallait être femme au foyer.

Cette organisation sociale rend la femme dépendante de son mari financièrement et réduit sa vie à une expression limitée d’elle-même – la maternité, l’éducation des enfants et l’entretien de la maison. Le développement de son propre potentiel est rare- ment envisagé dans cette situation où l’attente du retour des enfants et du mari ponctue ses journées. Dans l’attente de la femme au foyer se tisse la toute-puissance de la mère, qui entrave inconsciemment le déploiement de la vie et de l’espoir d’évolution qui préside à chaque naissance. En prenant en charge les besoins des uns et des autres de façon dévouée et indispensable, elle s’assure de la pérennité de son rôle. À travers son « sacrifice », elle a l’impression d’exister, d’avoir une identité et de combler son vide intérieur. Mais à travers son maternage prolongé, elle empêche l’évolution harmonieuse de ses enfants, vers une construction adulte autonome. L’absence du père, dans ce genre d’organisation, conforte encore plus l’emprise de la mère sur ses enfants. Cette situation est encore active à grande échelle, malgré les prises de conscience récentes de ses effets désastreux.

La division des rôles entre un monde extérieur exclusivement masculin et un monde intérieur exclusivement féminin a placé l’homme et la femme dans une situation où chacun a eu l’ambition de donner le meilleur de lui-même. Le père absent à l’intérieur n’était que la conséquence logique des rôles impartis à chacun. Cette répartition a généré des zones d’ombre et de carence dans la vie des hommes et des femmes sur le plan social et familial.

La fin des « mères au foyer » a bousculé cette organisation. Le rééquilibrage de cette situation est en cours à vaste échelle. Toute l’évolution récente attribue à l’homme et à la femme un rôle aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est vrai qu’aujourd’hui les femmes sont peut-être plus motivées que les hommes à avoir un rôle à l’extérieur que les hommes ne le sont de prendre le leur à l’intérieur. Les coopérations ont besoin de se créer à l’intérieur et à l’extérieur entre l’homme et la femme. L’interdépendance donnera à chacun sa juste place aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le monde a trop évolué pour qu’une femme puisse se contenter de limiter son champ d’action au maternage. Cette partie de sa vie a besoin d’être mise en perspective avec le développement d’autres aspects, afin qu’elle ne constitue pas un piège qui se referme sur le couple parental et conjugal, ainsi que sur l’enfant. La toute-puissance de la mère cache en fait un pro- fond désarroi intérieur, une impression de n’être rien et de n’avoir aucune valeur. Dans cet ordre d’idée, faire beaucoup et donner beaucoup est une tentative désespérée d’attirer l’attention et d’espérer une reconnaissance et une gratitude. Cet espoir et cette attente maintiennent le cordon ombilical de dépendance et justifient ses « sacrifices ».

Cette situation tragique où l’amour d’une mère devient une manipulation pour « garder enfants » les siens et justifier son rôle est à mettre en lien également avec la valeur des femmes en général. Il n’est pas abusif d’affirmer qu’elle est encore aujourd’hui fluctuante et peu stable. Être femme au foyer n’a jamais été considéré comme un travail méritant salaire. Le dévouement et la disponibilité des mères relevait d’une normalité indiscutable et leur absence pointait la « mauvaise mère ». La situation des femmes au foyer, peut-être plus qu’aucune autre, a fait ressortir le peu de valeur accordée aux femmes, au point qu’elles ont espéré en avoir aux yeux de la société et de leur famille, en étant de « bonnes mères », c’est-à-dire en prenant en charge enfants et mari au point de les asservir et d’étouffer leur besoin d’exister. Le sujet est encore largement d’actualité. Le regard bienveillant et la valeur que les femmes pourront s’accorder elles-mêmes les libèreront de la tyrannie de l’attente d’une reconnaissance du monde extérieur, et en particulier du monde des hommes.

L’évidence que les femmes ne sont pas que des mères fait son chemin aujourd’hui, même si elles sont encore souvent enfermées dans ce rôle-là, surtout dans le domaine des représentations sociales et dans le domaine du travail. Peu de femmes souhaitent aujourd’hui être simplement femmes au foyer. Une femme qui équilibre son énergie entre la vie familiale et la vie sociale trouve son épanouissement dans des situations variées et sort de l’attachement obsessionnel à son identité de mère. Il y a certainement dans le monde d’aujourd’hui des femmes dont c’est le projet d’être juste une mère, c’est-à-dire de n’avoir pas d’engagement à l’extérieur. Lorsqu’une mère connaît les besoins réels de son enfant et comprend son évolution, le maternage qui justifie une relation fusionnelle se transforme peu à peu en une présence bienveillante qui permet à l’enfant de grandir affectivement et de quitter la fusion naturellement, grâce également à la présence active du père. Beaucoup de femmes ont péché par excès dans ce qu’elles ont voulu donner à leurs enfants. Lorsqu’une conscience adulte s’associe à l’instinct maternel pour accompagner un enfant dans son développement, le rôle de la mère s’ajuste et prend sa juste place.

 

 
Lydie Bader

 

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