« Dans le secret de la violence sociale » / INEDIT 54' INFRAROUGE

 

Mardi 23 mai 2017 à 23h15

Hier Air France, Goodyear, Sony, Molex, Caterpillar, Sodimatex, Continental, etc… Aujourd’hui Whirlpool. Hier Nicolas Sarkozy ou François Hollande devant des ouvriers menacés, prenant des engagements, aujourd’hui Emmanuel Macron ou Marine Le Pen… Désillusion, exaspération, déception, perte de repère, abandon…. Chômage, misère, perte de toute relation sociale…. Manifestations, occupations, séquestrations… Etrange impression que cette confrontation à « la violence sociale », la violence ouvrière d’une part, visible, la violence patronale d’autre part, feutrée, cachée, camouflée… Dès lors demeure une question : est-il possible d’aborder sérieusement la violence sociale en se limitant à un de ses aspects – la violence ouvrière visible - et en ignorant l’autre -la violence patronale- souvent présentée comme simple fatalité ?
© FTV

 

Hier Air France, Goodyear, Sony, Molex, Caterpillar, Sodimatex, Continental, etc… Aujourd’hui Whirlpool. Hier Nicolas Sarkozy ou François Hollande devant des ouvriers menacés, prenant des engagements, aujourd’hui Emmanuel Macron ou Marine Le Pen… Désillusion, exaspération, déception, perte de repère, abandon…. Chômage, misère, perte de toute relation sociale…. Manifestations, occupations, séquestrations… Etrange impression que cette confrontation à « la violence sociale », la violence ouvrière d’une part, visible, la violence patronale d’autre part, feutrée, cachée, camouflée… Dès lors demeure une question : est-il possible d’aborder sérieusement la violence sociale en se limitant à un de ses aspects – la violence ouvrière visible - et en ignorant l’autre -la violence patronale- souvent présentée comme simple fatalité ?

En 2011, François Hollande en campagne électorale se rendait devant l’usine Goodyear d’Amiens avant sa fermeture et prenait des engagements rassurants, mais non suivis d’effet. A Goodyear comme en bien d’autres usines, la colère des salariés déçus qui voulaient préserver leur emploi a alors laissé place à des manifestations déterminées. On parle alors de « violences ».

Pour y voir clair, j’ai tenté une plongée dans le monde du travail, rencontré des centaines de salariés, d’ouvriers. Ceux qui hier ont été confrontés à des occupations d’usines, à des séquestrations de patrons, à Sony, Molex, Caterpillar, Sodimatex, Continental… Mon périple s’est achevé en juin 2016, voilà presque une année. Mais il aurait pu se poursuivre. Whirlpool, usine à la porte de laquelle se précipitent en campagne électorale Marine Le Pen et Emmanuel Macron ne dénoterait pas.

J’ai sollicité les grands patrons de ces entreprises… J’ai cherché à rencontrer Pierre Gattaz… J’ai recueilli documents et déclarations qui tant bien que mal m’ont permis de donner la parole sans exclusive aux uns et aux autres pour tenter de comprendre la réalité des faits relatés par ceux qui les ont accomplis, par ceux qui les ont subis.

Séquestrations hier jusque dans les coins les plus reculés des provinces françaises, chemise arrachée aujourd’hui, je me suis rendu à Air France, ai rencontré les principaux protagonistes qui se trouvent à l’origine de la grande manifestation pour protester contre les mesures de leur direction au CCE, ai tout fait pour donner la parole à Alexandre de Juniac, alors PDG de la compagnie. Je me suis rendu à Goodyear, ai côtoyé ceux qui hier étaient à la tête des mouvements de résistance contre les 1200 licenciements et qui ont participé à la retenue de leur patron….

Qui passe à l’acte ? Des voyous ou des salariés qui avant de franchir le pas étaient insoupçonnables ?

Comment, alors que durant des années on a été un salarié discipliné, peut-on être amené à de telles extrémités ? Quelles explications à de telles explosions ? Comment des salariés sont-ils amenés à franchir le pas ?

Quel est le regard de chefs d’entreprises et de DRH sur cette détérioration des rapports qui les mettent en première ligne ? Comment expliquent-ils cette exacerbation des tensions : pressurisation des personnels ? Pression sur les entreprises ? Effondrement des valeurs de respect mutuel ?

Comment les organes de dialogue et d’organisation peuvent-ils ou pas tenir leur place ? Les syndicats par exemple : jouent-ils un rôle ou sont-ils totalement dépassés dans ce type de réactions ?…

Et quel regard de la part des salariés sur les politiques qui les condamnent sans autre considération ?

Voilà quelques questions que j’ai abordées au cours de mes nombreuses rencontres et auxquelles mes interlocuteurs ont accepté de répondre dans détour, sans « langue de bois » …

 


Note d'intention de Jacques Cotta

En campagne électorale, les candidats ont coutume d’aller voir les ouvriers en détresse et de leur promettre un sort meilleur. Nicolas Sarkozy en 2008, François Hollande en 2011 dans la sidérurgie, Marine Le Pen et Emmanuel Macron dernièrement à l’usine Whirlpool d’Amiens. Mais pour quel résultat ?

Octobre 2015. Le président de la république, François Hollande réaffirme une des priorités de son quinquennat, la « modernisation du dialogue social ». Quelques jours seulement après cette nouvelle déclaration de bonnes intentions, la chemise du DRH d’air France en lambeaux, arrachée dans une bousculade sans précédent au sortir d’un CCE de la compagnie par des employés en colère, vient montrer la distance qui existe de la coupe aux lèvres.

L’image fait le tour du monde. La réalité du « dialogue » au grand jour ? Il n’est plus question dans les commentaires des hommes politiques, des éditorialistes, des responsables de la compagnie que de « violence sociale inacceptable ».

Pierre Gattaz réclame une punition. Le premier ministre Manuel Valls lui emboîte le pas. Il qualifie les salariés de « voyous » et affirme « qu’il n’existe aucune excuse, pas même la violence sociale, à des actes de violence contre les personnes » ....

Nous y voilà ! En creux le terme est évoqué. « La violence sociale ». Mais de quoi s’agit-il ?  Dans le fond, la chemise du DRH est-elle anecdotique ou au contraire révélatrice d’une situation qui dépasse la seule compagnie aérienne et qui témoigne d’une réalité sociale insupportable à des millions de salariés ?

Vision exagérée ou au contraire lucide ?

Pour comprendre, il fallait se rendre auprès des principaux intéressés, les rencontrer, les écouter.

Faudrait-il comme pour se rassurer limiter la violence sociale aujourd’hui à quelques « excités » ou au contraire reconnaître qu’elle n’a rien de bien original et a toujours été une des conséquences des rapports sociaux. Air France ne fait-il pas suite à une série d’autres événements qui expriment les mêmes malaises ? Manifestations, bousculades, affrontements, occupations d’usines, séquestration de patrons... Dernièrement la situation des « Goodyear » passés en justice pour s’être opposés à plus de 1200 licenciements et avoir retenu leur responsable durant une trentaine d’heures vient indiquer la réalité d’une violence visible, mais aussi et surtout de celle dont on ne parle pas, ou peu, la violence subie qui pousse à commettre des actes tout aussi déterminés qu’ils ne sont pas prémédités.

Les manifestations de colère à Air France ou Goodyear sont-elles le « privilège » de ces entreprises, ou au contraire susceptibles d’atteindre celles qui se croient à l’écart au nom d’un dialogue social souvent plus imaginaire que réel ?

La société évolue souvent sous le coup de tensions, d’affrontements, de violence aussi. Encore faut-il tenter d’en saisir la signification et s’interroger sur les causes réelles et profondes qui peuvent pousser n’importe quel salarié, là dans l’industrie, ici dans les services, là dans le privé, ici dans le public à utiliser des méthodes à l’encontre de son patron ou de son responsable jusque-là inenvisageables…

Derrière la réalité de la violence sociale se trouve un système qui désespère et broie l’individu.  Derrière la violence ouvrière se trouve la violence patronale. Appréciation d’un autre temps ? Avec la réalité des faits, c’est cela aussi qu’il me semblait important d’aborder. Les responsabilités politiques, économiques et sociales qui désespèrent et poussent à l’action. Bref qualifier le mal pour tenter de réfléchir à un remède…

Jacques Cotta
 



Biographie de Jacques Cotta

En 1982, après avoir passé un 3ème cycle de mathématiques portant sur la « topologie algébrique » et après avoir enseigné durant plus de 7 ans, Jacques Cotta change de voie et fait ses premières armes de journaliste à Radio-France où il collabore pendant 2 ans avant d’opter pour la télévision.

A TF1, il participe à la réalisation d’enquêtes, de magazines et de reportages auprès de Michel Polac pour l’émission « Droit de réponse ».

En 1984, en qualité de free-lance, il s’engage dans la réalisation de magazines pour Antenne 2 et FR3 dont « Tu seras CRS mon fils », prix spécial du jury du festival de la Ciotat.

En 1987, il réalise en collaboration avec Pascal Martin un reportage sur la reprise du casino Rhul pour « Le magazine » d’Antenne 2. Tous deux sont réunis par une spécialité commune qu’ils exercent côte à côte durant plus de 25 ans, l’enquête sur le terrain…

Alain Wieder sollicite sa collaboration pour « Edition Spéciale » et Claude Serillon l’exclusivité de ses enquêtes pour « Place Publique ».

Les responsables d’Antenne 2 lui demandent ensuite d’intégrer la chaîne pour participer à la création de la cellule « Enquêtes ». C’est dans ce cadre qu’il réalise en duo avec son acolyte pour « Envoyé Spécial » :

 « Roumanie : révolution ou manipulation ? », Grand Prix des Télévisions Francophones,1990 ;

« Front National : la nébuleuse », Sept d’Or du meilleur reportage, 1992 ;

« La secte du Mandarom », Grand Prix de la nuit des Yeux d’Or, 1994.

En 1995, il se lance dans la fiction et crée avec Pascal Martin, Didier Decoin et Prune Berge les personnages des « Pisteurs » qui reposent sur son expérience de journaliste d’investigation.

En 1997, il propose une nouvelle collection de documentaires à Jean-Pierre Cottet et Nicolas Petitjean : « Dans le secret de… ».
« Dans le secret de… » est une collection qui totalise aujourd’hui 36 films.

 

Un film inédit écrit et réalisé par Jacques Cotta

Une production
France Télévisions

Images
Bruno Henri

Montage
Claude Guez

Conseillère de programmes France 2
Barbara Hurel

Directrice de l'unité documentaires et magazines culturels France 2
Catherine Alvaresse
 
Le rendez-vous Infrarouge invite les téléspectateurs à réagir et commenter les documentaires en direct sur twitter via le hashtag #infrarouge.