Ambiance morose dans la société : les différentes fractures

Notre société donne le message que pour s’en sortir dans la vie, il faut se battre, accepter la difficulté à trouver un travail, être bien équipé pour faire partie des meilleurs, ici en France mais aussi par rapport à tous – parce que la compétition est mondiale. L’école a emboîté le pas à cette philosophie, et les valeurs mises en exergue sont la réussite, l’esprit de compétition, la combativité, la quantité de matière à assimiler et l’idée que seuls les plus forts peuvent envisager un avenir souriant.

Les modes d’éducation : mobilisation pour la compétition

Notre société donne le message que pour s’en sortir dans la vie, il faut se battre, accepter la difficulté à trouver un travail, être bien équipé pour faire partie des meilleurs, ici en France mais aussi par rapport à tous – parce que la compétition est mondiale. L’école a emboîté le pas à cette philosophie, et les valeurs mises en exergue sont la réussite, l’esprit de compétition, la combativité, la quantité de matière à assimiler et l’idée que seuls les plus forts peuvent envisager un avenir souriant.

On voit rarement un bulletin de notes qui félicite un enfant, garçon ou fille, pour son esprit de solidarité, son sens de la camaraderie, son côté créatif et imaginatif. au mieux, lira-t-on dans le carnet de l’enfant qu’il est sage, ou calme, ce qui désigne en général un enfant plutôt docile et en retrait.
au vu de ce fonctionnement sociétal, les parents survalorisent les caractéristiques du masculin : chaque père ou mère désire profondément que son enfant, garçon ou fille, soit armé pour s’en sortir dans la vie, et n’a de cesse que de pousser l’enfant à être fort, combatif, avec un esprit de compétition développé et l’envie de réussir à l’école pour réussir dans la vie.

Plus tard, à l’adolescence, les parents concernés par le devenir de leur enfant préféreront les filières « à débouchés » aux filières universitaires de type strictement intellectuel, et les dîners en ville entendront la fierté de ceux dont les enfants sont à HEC ou à Supélec. Bien entendu, il ne s’agit pas de minimiser l’immense capacité des grandes écoles à instruire ceux qui seront les actifs de demain. Je suis respectueuse de leur talent à transmettre un état d’esprit international aux étudiants, et j’ai remarqué combien il régnait sur ces campus un appétit pour devenir un acteur dans la société. mon regard se déplace vers ceux qui auront envie de faire une maîtrise en philosophie, ou un diplôme d’infirmière : étant moins bien évalués socialement, ils savent dès le départ qu’ils ne pourront jamais, sauf exception, être reconnus comme de grands acteurs de la société. reconnus utiles, ils restent cependant financièrement et socialement sous-valorisés, avec des conditions de travail largement moins avantageuses que ceux qui auront étudié le commerce, la gestion, la finance, le droit, la santé pour les filières de médecine spécialisée. Enfin, je pose mon regard sur tous les autres, tous ceux pour qui l’idée de la vie professionnelle est dès le collège l’objet de toutes les craintes et rejets.

devant tant d’obligation de performance, de maîtrise et de compétition (et ce, dès le plus jeune âge), celles et ceux qui ne sont pas « câblés » pour cela, mal orientés ou mal guidés, se retrouvent à regarder s’activer les TGV, « Très Grands Valables », assis sur le bord de la route.

Les plus chanceux, c’est-à-dire les mieux entourés dans leur famille et à l’école, décrocheront un BTS ou un métier d’artisanat. Les autres, tous les autres, iront de programme de soutien en classes assistées, de redoublement en changement de filière, se réfugieront dans leur monde virtuel ou leur cage d’escalier, leur point commun étant qu’ils pensent que ce monde n’est pas leur monde, qu’il se fera sans eux ou qu’ils feront contre lui.

« Celui qui veut profiter de la société sans participer à la création de richesse est sorti de la Cité, il est devenu vieux », dit le sage.

Je sais que beaucoup de ceux qui me lisent pensent que c’est normal, en tout cas naturel, et que cela a toujours été ainsi. Je les rejoins en ce sens qu’il faudra toujours des ingénieurs, des chercheurs, des médecins, des employés de banques, des artisans, des caissières de supermarché et des livreurs. Je résiste cependant à la fatalité de voir tellement d’exclus sociaux, c’est-à-dire autant de jeunes qui ne se sentent pas appartenir à la société.

Nous avons donc une « jeunesse vieille ». Cela déprime et apeure les familles, des parents aux grands- parents. au-delà de la question économique que cela pose, celles et ceux de la tranche des 12-30 ans qui regardent la société sans avoir l’impression d’en être, sauf pour consommer, participent bien malgré eux à cette sensation collective que rien ne va plus et que le chacun pour soi devient une fin en soi. Ces jeunes, convaincus qu’ils n’arriveront jamais à être suffisamment sûrs d’eux-mêmes pour se battre contre l’absurdité de l’obligation de performance pour devenir des héros des temps modernes, se retirent et se retiennent de participer au ballet que danse cette jeunesse qui croit déjà que sa vie sera plus dure que celle des générations précédentes.

Eux le croient, tant de monde croit que ceux de moins de trente ans auront des jours plus difficiles que ceux qui les ont précédés. Personnellement, je ne le crois que parce qu’ils le croient. « Ce que nous croyons devient vrai » : les travaux de l’École de Palo alto, de Paul Watzlawick en particulier, études sans cesse renouvelées, ne laissent pas l’ombre d’un doute sur la capacité de notre mental à créer les évènements de la vie. C’est même l’origine de l’École de la pensée positive, conduite aujourd’hui par anthony robbins, qui part du principe que, puisque nos pensées créent les événements, penser positif, c’est avoir une vie bien meilleure. « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé », disait Voltaire.

Je renonce à entrer dans ces croyances catastrophistes pour notre devenir, sans pour autant nier le nombre de domaines dans lequel il y a le feu. Je ne sais pas ce que sera la vie demain, mais je crois que nous aurons la vie que nous faisons. me positionnant dans une école de pensée où chacun a la responsabilité absolue de son existence, je préfère croire que les prises de conscience que je vois ici et là augmentent la vibration de celles et ceux qui œuvrent dans le sens de leur propre évolution, et de celle de tout ce qui est en vie. mes clients se sont habitués avec le principe du « 4B » que je leur propose régulièrement pour sortir d’une impasse : agissons en cherchant le Bon, Bien, Beau et Bio !

Et les moins jeunes ?
Le phénomène des quinquas déjà devenus « seniors » pour l’entreprise, dans un pays où l’espérance de vie est de 78 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes, s’explique par la notion de performance érigée en finalité de l’existence. Dès que commencent à se manifester les premiers signes de moins d’esprit de compétition, de moins de capacité à résister au climat d’urgence et de stress, dès que le désir de prendre son temps et du recul apparaît, l’entreprise considère que le salarié en question coûte trop cher. Qu’il soit cadre ou technicien, le salarié à partir de la fin de la quarantaine est souvent perçu comme un poids pour l’entreprise. Sauf exception, on court moins vite à 55 ans qu’à 30 ans, au regard du seul critère de productivité, cela semble donc « normal » d’avoir envie d’équipes jeunes qui courent vite !

Le principe de transmission intergénérationnelle est en souffrance, parce que l’on ne confie pas aux plus anciens une autre mission que celle de produire « plus » ! il s’agit là d’une double responsabilité : l’entreprise est soulagée de se débarrasser des collaborateurs qu’elle n’arrive plus à rentabiliser, et ceux-ci ont hâte de quitter un lieu où ils se sentent moins performants, ne comprenant plus leur propre rôle, ni même le rôle et le devenir de l’entreprise qui incarnait pourtant leur idéal une ou deux décennies auparavant.

Quand l’âge de la retraite sonne
Tant qu’ils restent des consommateurs, les retraités sont proches de la vie active. Je les classe en trois grandes familles, avant que la voie ne débouche sur le grand âge, socialement comptabilisé dans les retraités certes, mais ne consommant plus que des soins, et donc définitivement considérés comme vieux.

D’abord les hyperactifs, qui vont poursuivre le chemin dans l’esprit de compétition et de performance pour lesquels ils se sont hyperentraînés pendant leur vie active, shootés à la bougeotte. Leurs enfants, quand ils deviennent eux-mêmes parents, se plaignent d’avoir des parents « pigeons voyageurs » : selon leur catégorie sociale, ils se partagent entre tournois de golf et voyages dans les tropiques, ou concours de belote et d’excursions en bus sur les routes de l’Hexagone, se risquant parfois dans les pays d’europe frontalière. Se plaignant souvent de manquer de temps, ils sont les premiers à l’ouverture du supermarché et à pester contre les retards des TGV. Ces comportements, s’ils sont souvent la répétition du mode de vie « d’avant la retraite », sont aussi parfois une compensation de l’inertie vécue par les mammouths que représentent nombre d’entreprises. Parce qu’ils se sont sentis retenus dans leur besoin d’agir, brimés dans leur créativité, il est courant de voir des retraités qui enfin « s’éclatent » et sont heureux non pas de ne rien faire, mais de faire ce qu’ils savent et désirent faire.

L’autre grande famille des retraités est constituée de ceux qui sont heureux de ne plus « faire » ; ils se contentent de se laisser vivre, pour transmettre à leur descendance, aux jeunes et au voisinage. Pour cette catégorie de « non actifs », le mot d’ordre est de prendre le temps qui leur est donné. La bienveillance est leur mode de vie : ils regardent ceux qui sont au travail (leurs enfants) ou qui s’y préparent (leurs petits-enfants). Cette retraite sera consacrée à passer le relais à la génération qui les prolonge : ils peuvent enfin exister d’une manière non guerrière tout en restant socialement adaptée, ils se sentent épanouis et valorisés en étant disponibles et en « veillant bien » sur leur descendance et leur entourage social.

La dernière famille des retraités rassemble ceux qui n’ont jamais été des actifs ; ils ne sont donc pas véritablement des retraités, puisqu’ils ont dû se contenter de vivre de petits boulots précaires par intermittence ou de revenus sociaux. Je nommerai cette catégorie les « retraités rétroviseur ». Habitués à la précarité, il n’y aura pour eux ni voyages, ni récréation, ni transmission. ils prolongeront leur existence « d’inadaptés » ou de « losers », payant jusqu’à la fin de leur existence le fait de ne pas avoir eu dans leur besace les atouts des gagneurs. On ne saura jamais s’ils manquaient de talent, mais il est certain que leur défaut d’esprit de gagne les a amenés sur un itinéraire bis, jusque dans la retraite. dans cette famille de « retraités rétroviseur », je mets celles et ceux qui se seront sentis jetés de l’entreprise, n’acceptant pas de ne plus être utiles, ou se sentant injustement disqualifiés, prématurément hors service. ils sont si nombreux celles et ceux qui passent la tranche des 50-60 ans entre Pôle emploi et les cabinets de reclassement, désolés de n’avoir plus l’âge ou pas encore l’âge. Puisqu’ils ont mal quitté le monde actif, il leur est difficile de se mettre dans leur nouvelle vie de retraité, n’ayant de cesse que de regar- der dans le rétroviseur et essayant de réparer l’injustice dont ils se sentent victimes.
 

Véronique Lorgnier  
                                                                              

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 Une société occidentale à bout de souffle