Judas peut avoir effectivement trahi... comme il peut ne pas l’avoir fait...

 Le dossier de l’affaire Judas est sans doute l’un des plus volumineux du christianisme. Tout semble avoir été dit sur ce disciple à la réputation sulfureuse et sur la bassesse de son acte. Ce dernier, essentiel dans le déroulement de l’histoire de Jésus, est connu depuis longtemps : Judas est reconnu coupable d’une horrible trahison envers son maître qu’il aurait vendu à ses ennemis.


Le dossier de l’affaire Judas est sans doute l’un des plus volumineux du christianisme. Tout semble avoir été dit sur ce disciple à la réputation sulfureuse et sur la bassesse de son acte. Ce dernier, essentiel dans le déroulement de l’histoire de Jésus, est connu depuis longtemps : Judas est reconnu coupable d’une horrible trahison envers son maître qu’il aurait vendu à ses ennemis.

Que peut-on ajouter à ce jugement devenu, au fil des siècles, une vérité absolue ? Rien. Nous n’ajouterons rien car si nous procédions de la sorte, nous ne ferions que rallonger la longue liste des auteurs certains de sa culpabilité. Cette dernière est tellement ancrée dans les mentalités qu’elle est devenue une évidence pour tous. Ainsi, sans y prendre garde, nous ne ferions que la répéter sans jamais vraiment l’interroger. Or, transformer des habitudes en vérités représente un écueil dangereux. Pour l’éviter, nous proposons de revenir à la source de l’affaire Judas, celle qui a conduit à le condamner, et d’en reprendre, point par point, les preuves et les témoignages. Autrement dit, il ne s’agit ni plus ni moins que d’enquêter, à la façon d’un détective, d’un journaliste ou d’un poli- cier souhaitant se faire son opinion, sur une sombre intrigue. Il est donc nécessaire de considérer toutes les pièces principales du dossier, de les analyser afin d’estimer leur pertinence, et de faire la distinction entre les faits imaginaires et ceux étant probablement survenus. Cette première opération, aussi simple qu’elle puisse paraître, révèle déjà une surprise : dès que les légendes sont retirées, le volumineux dossier du départ se réduit considérablement. C’est aussi le temps d’un premier constat : l’accusation de traîtrise n’est pas aussi solide que la tradition classique le fait croire. Les motifs de la trahison rapportés par les Évangiles sont laborieux et ambigus. On a beau être de bonne foi, les pièces à charge ne sont finalement pas convaincantes. Des brèches importantes apparaissent, semant le doute dans l’esprit de l’enquêteur. L’affaire, qui semblait pourtant entendue, révèle de nombreuses zones d’ombres ! Il devient évident que pour démêler les fils de l’intrigue, il faut se départir du préjugé classique faisant de Judas le coupable tout désigné. L’effort demandé est immense puisque cela requiert, ni plus ni moins, de recon- sidérer le personnage, loin de son aura diabolique instaurée par des siècles de convention chrétienne. Ce respect de la présomption d’innocence n’est pas aisé. En effet, dans les Évangiles canoniques, Judas est mentionné environ vingt fois et, chaque fois, avec une hostilité marquée à son égard. Pourtant, il faudra bien dépasser les sentiments que les évangélistes n’ont pas manqué de manifester dans leurs récits, car il est évident que la qualité de l’enquête est au prix de l’impartialité de l’enquêteur. À lui de partir sur des bases neutres et de tendre vers l’objectivité quand il entend les avis des témoins de seconde ou de troisième main. Toutes les pistes sont à envisager et à suivre, certaines aboutissant vite à des impasses, tandis que d’autres ouvrent sur de nouveaux horizons. Judas peut avoir effectivement trahi... comme il peut ne pas l’avoir fait.

Nous sommes conscients du choc qu’une telle proposition peut provoquer. Elle remet en cause un savoir traditionnel, inculqué depuis des siècles comme une vérité absolue. Mais nous savons que ce genre d’interrogation est salutaire. Soit elle affermit nos acquis, soit elle nous en apporte de nouveaux. De nombreuses certitudes se sont écroulées sous les coups de boutoir de chercheurs curieux et avides de savoirs. C’est de cette façon que nous sommes passés d’une Terre plate à une Terre ronde, ou encore d’une Terre au centre de l’univers à une Terre tournant autour du Soleil. Concernant l’innocence de Judas, l’hypo- thèse est loin d’être nouvelle. La récente publication d’un Évangile de Judas, daté de la seconde moitié du IIe siècle, a relancé le débat sur les rapports entre ce disciple et Jésus. Sans même aborder son contenu, l’existence même du texte montre qu’aux origines du christianisme, des groupes de chrétiens percevaient Judas différemment de nous. Beaucoup de versions des faits circulaient alors et, contrairement à ce que nous imaginons aujourd’hui, la thèse classique n’était pas la seule à expliquer les évènements tragiques survenus autour de la mort de Jésus. Pourtant, après les guerres théologiques du IIIe siècle, le sort de Judas est scellé par une Église jugeant qu’il a trahi. Pendant mille huit cents ans, cette sentence est la seule tolérée, quand bien même elle souffre de nombreuses faiblesses.

Aujourd’hui, la liberté que nous avons gagnée de pouvoir nous exprimer sans craindre de châtiment permet de revenir sur cette condamnation rarement remise en doute. C’est là tout l’objet de ce livre relatant une intense et minutieuse enquête menée sur le cas Judas. D’abord, elle montre que nous ne savons pas grand-chose de ce disciple. Le premier chapitre, consacré à son identité, témoigne du peu d’informations historiques dont nous disposons sur lui. Ces lacunes ne nous empêchent pas de récuser l’ensemble des accusations dont il fait l’objet. Le second chapitre les passe en revue et sape leur bien-fondé. Que reste- t-il alors du dossier Judas ? Une fois les impossibilités et les fausses preuves retirées, tout le grand édifice s’écroule. Que s’est-il passé entre lui et Jésus ? C’est l’objet des derniers chapitres qui défendent une autre version de leur relation. Preuves à l’appui, l’hypothèse de l’innocence de Judas éclaire sous un nouveau jour les récits canoniques et, à maints endroits, leur redonne leur clarté et leur logique. La remise en cause de la thèse classique est radicale. Judas peut et doit être acquitté définitive- ment et débarrassé de cette damnation planant sur sa tête. Que le lecteur prenne place dans le tribunal et se fasse son propre jugement, car voici venir l’heure de l’audience.

 

Régis Moreau

 

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L'affaire Judas