Osthéopathie : Le tissu conjonctif, organe de communication

L’activité du tissu conjonctif est un exemple de vie autonome et automatique. C’est une matrice. Elle sert à la fabrication et à la transformation d’un organisme. Toute intrusion entame les processus de transformation du tissu conjonctif. Cela peut être une infection, une toxicité, un traumatisme physique ou psychique, une émotion. Concernant les ostéopathes, profession manuelle de santé, ils perçoivent ces désorganisations sous la forme de densités dans leurs mains. Ces densités sont extraites d’un costume corporel qui montre que vous n’êtes plus « en forme ».

Les fibres du tissu conjonctif « font des nœuds »
L’activité du tissu conjonctif est un exemple de vie autonome et automatique. C’est une matrice. Elle sert à la fabrication et à la transformation d’un organisme. Toute intrusion entame les processus de transformation du tissu conjonctif. Cela peut être une infection, une toxicité, un traumatisme physique ou psychique, une émotion. Concernant les ostéopathes, profession manuelle de santé, ils perçoivent ces désorganisations sous la forme de densités dans leurs mains. Ces densités sont extraites d’un costume corporel qui montre que vous n’êtes plus « en forme ».

Homme sportif de 45 ans, Alain G. a aménagé son emploi du temps pour pratiquer sa passion, la boxe. Il aime s’entraîner régulièrement pour son sport, la musculation. Un événement a surgi dans son existence. Il est tombé de sa hauteur sur une marche d’escalier lors d’un voyage en Sicile. Le diagnostic au service des urgences est simple : luxation d’épaule et déchirure musculaire. Rien de grave. De nombreuses personnes ont « retrouvé » leurs épaules après une luxation. À la suite d’une période d’immobilisation – en « Dujarrier », un bandage maintenant le bras collé au corps –, le chirurgien lui a assuré qu’il récupérerait son épaule après quelques mois de rééducation. La rééducation a été suivie assidûment par ce sportif. Il espère un retour rapide dans la salle de boxe. Mais rien ne se passe comme prévu. Il est désespéré. Voici le bilan articulaire après six mois de rééducation. Alain G. ne peut soulever son bras à l’horizontale qu’avec difficulté. Il ne peut pas lever le bras au-dessus de la tête, derrière la tête. Son épaule est handicapée. Elle est dans une « gangue ». Déficit d’écartement, d’élévation et de rotation du bras. Sa façon de se pencher pour aider son épaule à se lever s’appelle une compensation. Son omoplate est « collée » aux côtes. Cela limite le glissement de l’omoplate pour soulever son bras. Lors de la consultation, le chirurgien a allongé la période de récupération à deux ans. Alain G. déprime de plus en plus. Il ne croit plus en sa récupération. Il dit qu’il n’en veut pas au kinésithérapeute, qu’il a fait son travail sérieusement. Son désespoir vient de ce que, selon lui, après avoir fait sa rééducation assidûment pendant des mois, il n’existe plus de solution. Son épaule est devenue fibreuse, inutilisable. Alain a construit des fibres pour fermer le trou de la luxation mais, en contrepartie, l’épaule ne bouge plus.

Un grain de sable dans la mécanique
Une chute sur une épaule crée une désorganisation. On peut parler de grain de sable. Son « costume corporel », au niveau d’une toile conjonctive, s’est rétréci ! Son tissu conjonctif s’est figé autour de son épaule. La désorganisation de fragment d’épaule empêche la récupération de cette épaule. En dehors de considérations médicales, on peut dire que les capacités de transformation du corps d’Alain G. sont en stand-by. Selon ses dires, il a chuté « bêtement » dans un escalier. À ce stade du soin, il n’est pas question de faire une psychothérapie avec Alain. Il ne le souhaite pas. Pour moi, il s’agit de réactualiser une continuité et une ubiquité. Les massages d’épaule n’apportent qu’un soulagement temporaire pour Alain. Les massages ne lui ont pas permis de récupérer son épaule. Dans ce soin, tout se passe au niveau du tissu conjonctif. C’est un maillon d’une anatomie évolutive qui constitue le « costume corporel » d’Alain. Le tissu conjonctif a pris l’empreinte de cet accident. Alain est marqué dans sa chair.

Son corps est fait de muscles et d’os d’épaule. Les radiographies et échographie des muscles ne montrant rien de particulier, son épaule semble consolidée. Pourtant, la réalité d’Alain est autre. Il n’a plus l’usage de son épaule. Cela se situe au niveau de la trame conjonctive : son « costume corporel » est devenu trop étroit à la suite de l’accident. Dans le premier temps du soin, je recherche comment le tissu de ce costume a pu se rétracter ainsi. Lors du soin d’Alain, je perçois une densité au niveau de son épaule. Je ne cherche pas sa force musculaire, ni la mobilité de l’articulation de l’épaule. Cela a déjà été recherché pendant plusieurs mois. Malgré des soins assidus, son tissu conjonctif demeure, pour l’instant, dense à la palpation.

Pour un ostéopathe intéressé par un fragment d’épaule, il s’agit d’un geste qui « entre dans l’épaule » pour percevoir une réalité autre. Les solutions pour cette épaule passent par une transformation de son tissu conjonctif. La continuité du tissu conjonctif n’existant plus pour cette épaule, son omoplate ne glisse plus sur ses côtes. Sans épaule, on ne peut pas être boxeur. Sa vie ne décolle plus. Alain est à son compte et ne peut pas s’arrêter. Il est obligé de supporter ses douleurs dans sa cuisine.

Soigner l’épaule d’Alain, ce n’est pas nécessairement poser les mains sur son épaule. Pour retrouver les possibilités de transformation d’une épaule, je tiens des fragments de corps faisant référence à une anatomie évolutive. Dans le cas présent, je m’intéresse à des pièces du puzzle corporel : un sacrum, un coccyx. Zone archaïque, le coccyx est un vestige d’une construction ancienne, la présence d’une queue. Les embryologistes, les radiologues lors d’échographie pour une grossesse, constatent que l’embryon humain conserve cette queue pendant la période embryonnaire avant de disparaître avant la naissance. L’autre main se pose sur le moignon de l’épaule, fragment du corps montrant l’émergence du membre supérieur. Chez toutes les espèces, on trouve, à la hauteur du moignon de l’épaule, la naissance d’une nageoire, d’une aile, d’une patte. Les corps ont d’abord été fusiformes, comme le ver de terre. L’embryon présente lui aussi ce corps fusiforme dans le ventre de sa mère. Ensuite viennent se greffer les membres. À la façon de quatre points cardinaux sur un thorax, quatre régions signalent l’émergence des membres. Les émergences de membres sont d’abord deux moignons à la hauteur de l’emplacement futur des épaules et des hanches au niveau du tronc pour les bipèdes. On retrouve les mêmes os dans une nageoire, une aile, une patte, un bras humain. Omoplate, humérus, radius, cubitus, carpe, métacarpe et phalange constituent l’ossature de membres ayant une fonction de réaliser des dépla- cements dans l’eau, dans l’air, sur terre. Les similitudes entre membres, nageoires, ailes sont des découvertes de médecins, souvent naturalistes comme le furent au xviiie siècle le docteur Félix Vicq d’Azir, étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Georges Cuvier, Sir Richard Owen, chirurgien de son état.

Pour résumer le soin de cette épaule, j’ai repéré trois fragments de corps qui sont denses : l’épaule, le sacrum, le coccyx. Le soin consiste à tenir entre mes mains ces zones denses. Ces zones me « signalent » que des transformations du tissu conjonctif opérantes avant la chute d’Alain ne se font plus. Elles sont devenues denses. Le soin ostéopathique n’est pas un massage. Mobiliser des zones archaïques, des fragments, donne un « coup de pouce » dans la réorganisation d’un « costume corporel ». Ce sont des processus autonomes et automatiques. Le retour de quelque chose d’existant au niveau du tissu conjonctif se traduit dans mes mains par un va-et-vient dans le tissu conjonctif. C’est un tissu qui recommence à respirer, à être plus souple dans mes mains. Les muscles, les ligaments de l’épaule changent de texture. Ils deviennent plus étirables pour des mouvements. Cela est rendu possible par la mobilité du liquide contenu dans les poches que forment les fibres du tissu conjonctif. Ces microvacuoles se remplissent et se vident alternativement pour apporter des nutriments à des nerfs, à des artères, à des muscles, à des os. Respiration initiale puisqu’elle existe déjà au niveau d’une cellule comme la bactérie. Les ostéopathes l’appellent respiration primaire. Coccyx et épaules sont les étapes d’une construction d’un corps en renouvellement permanent.

Autre fragment dense, son omoplate. Elle est « collée » aux côtes. Passer mes doigts sous l’omoplate est un geste que tout le monde peut faire, peut se faire. Pour Alain, cette manœuvre est très douloureuse mais libératrice de façon quasi instanta- née. La restitution d’une souplesse sous-cutanée de l’omoplate témoigne d’une transformation du tissu conjonctif pour l’épaule dans son ensemble. Une cascade de réactions s’ensuit alors. L’ostéopathe doit seulement poser le cadre d’une anatomie évolutive et ne pas se concentrer sur cette épaule pour la récupérer. L’épaule a servi aux déplacements dans les arbres pour nos cousins lointains. L’épaule est complexe avec cinq articulations et dix-neuf muscles. Chez les singes quadru- pèdes, l’omoplate est parallèle au tronc, se situant à la place de notre épaule actuelle. Placée le long de la colonne vertébrale chez l’humain, il y a eu une migration de l’omoplate vers l’arrière. L’omoplate fait partie de notre dos mais fait aussi partie de l’épaule. Cette position stratégique permet une mobilité exceptionnelle de l’épaule. Le soin à partir d’une anatomie évolutive consiste à réintégrer la migration de cette omoplate. Placée sur le côté, elle doit être postérieure pour l’Homme. Chez Alain, elle est latéralisée, sur le côté, parce que l’épaule se rétracte au niveau du tissu conjonctif.

Les études fonctionnelles en paléontologie expliquent les déficits d’une anatomie actuelle chez l’humain. « L’homme ne s’est pas redressé. C’est le membre supérieur qui s’est trans- formé », nous dit le professeur Brigitte Senut, paléontologue au Muséum d’histoire naturelle de Paris, responsable de plusieurs programmes de recherche CNRS2. Le professeur Brigitte Senut a reçu le prix Joliot Curie de la femme scientifique en 2008.

Les raisons de l’évolution d’Alain
Le tissu conjonctif, matériau très archaïque, fait partie d’une dynamique évolutive. C’est l’herbe qui pousse malgré le béton des villes. Pour un ostéopathe, entorse, déchirure musculaire, cicatrices sont à considérer comme des « fractures de tissu conjonctif ». La réintégration de la continuité du tissu conjonctif dissout la gangue installée autour de son épaule. Les fibres du tissu conjonctif changent de place, de forme. La fibrose installée autour de l’épaule était une solution provisoire, utile pour combler le trou de la déchirure due à la luxation. Lorsque la continuité de l’épaule est réintégrée, le tissu conjonctif est un lieu de fluidité dans l’épaule d’Alain G. Si vous avez un jour un accident, le tissu conjonctif est un acteur à part entière qui sert de matrice. Il doit retrouver toute sa fluidité pour que vous récupériez après votre lésion, que cela soit une fracture, une entorse, une déchirure musculaire. Les modes de constructions anciennes permettent de réintégrer la région abîmée. Le fonctionnement d’une épaule dans un corps d’Homo-sapiens passe par une omoplate qui a migré vers l’arrière, par l’émergence de moignons qui deviennent des membres, par un sacrum qui s’est consolidé à la sortie des eaux. Ces fragments de corps sont les pièces d’un puzzle corporel. Pour soigner, il ne faut plus penser en termes d’assemblage d’os et de muscles. Du fait du traumatisme, cette épaule fonctionnait sur un mode ancien, un mode poisson. En effet, l’omoplate, en restant collée au thorax, a réactualisé une épaule de poisson caractérisée par une jonction cou-épaule. L’ostéopathe s’intéresse à la fixation de l’épaule. Cette dernière est un assemblage de fragments, ici des épaules/des nageoires attachées le long d’un corps pour se déplacer.

À la suite du soin, les fibres du tissu conjonctif reprennent leur bal incessant. Cela témoigne d’une activité de communication entre tous les fragments qui se traduit par une fluidité des articulations, des os et des muscles. En utilisant ses quali- tés de continuité et d’ubiquité, le tissu conjonctif fait le lien entre des cellules, permettant communications et échanges. L’événement, le grain de sable généré par cet accident « bête », a désorganisé la construction de fibres. Au lieu de faire des fibres souples, Alain G. a fait des fibres rigides avec son tissu conjonctif. Ce dont le corps d’Alain a besoin, c’est de reconstruire des fibres musculaires qui ne soient pas des câbles. La capacité du tissu conjonctif à retrouver sa continuité est fondée sur la malléabilité. La présence de cristaux liquides au niveau du tissu conjonctif, « liquides à fil » à la frontière entre deux états liquide et solide, fait la jonction entre la physique, la biologie et la paléontologie. Ce sujet sera abordé dans la troisième partie du livre avec Marie-Madeleine Giraud-Guille, biologiste au laboratoire de matière condensée du Collège de France.

Le docteur Guimberteau parle de « réalité chaotique du tissu conjonctif ». C’est la marque de fabrique du vivant. Dans un corps mort, ce tissu conjonctif ne « respire plus », il s’effondre. C’est une trame caractérisée par un désordre latent, comparée à une forêt vierge par le docteur Jean-Claude Guimberteau, médecin, chirurgien, cofondateur et directeur scientifique de l’Institut aquitain de la main, spécialité chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, ancien membre de la Haute Autorité de santé...

Philippe Petit

 

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Le corps, un être en devenir