L’Organon de la médecine rationnelle

Cet ouvrage détaille sa conception de la médecine, de la médecine homéopathique, des maladies mais aussi la recherche des effets utiles des substances médicamenteuses

Édité, pour la première fois en 1810, l’Organon sera réédité et augmenté en 1818, 1821, 1824, 1829 et 1833.
Une dernière édition est plus que posthume : 1921.

Cet ouvrage qu’il destine non seulement aux médecins, mais aussi à ses patients, détaille sa conception de la médecine, de la médecine homéopathique, des maladies mais aussi la recherche des effets utiles des substances médicamenteuses (par l’expérimentation pathogénétique) et la fabrication du médicament homéopathique. Il y théorise tous les concepts qu’il a repris des différents médecins « progressistes » de son époque pour en donner une approche plus pratique et raisonnée. Il y détaille aussi son cheminement intellectuel qui, partant de l’observation des effets toxiques d’une substance tels qu’ils ont été rapportés par différents médecins ou qu’il a lui-même constatés, passe par des expérimentations rigoureuses des effets toxiques ou sub- toxiques de cette substance sur des personnes saines qui confirment les possibilités thérapeutiques de cette substance. Ces effets thérapeutiques sont obtenus par l’utilisation de doses extrêmement diluées qui conservent la puissance de la substance nécessaire à vaincre la puissance de la maladie mais sans entraîner d’aggravation.

Enfin, il y développe la théorie de la force des maladies. Cette explication logique provient de ses constatations expérimentales et appartient pleinement aux concepts de son époque. En effet, on retrouve dans différentes publications (homéopathiques comme non-homéopathiques) de cette période cette même explication de la maladie : une force, déclenchée par différentes causes, est capable de perturber l’équilibre interne qui signe la bonne santé pour provoquer l’apparition de symptômes qui témoignent d’une maladie naturelle. L’application d’une force médicamenteuse  plus puissante mais non toxique est une sorte de maladie artificielle qui chasse la maladie naturelle. Hahnemann établit une comparaison entre la vaccination contre la variole prônée par Jenner et l’action du médicament homéopathique. La vaccine jennérienne (si décriée par le milieu médical de son époque) est aussi une maladie artificielle qui empêche l’apparition d’une maladie naturelle similaire. Ce concept de force de la maladie n’est pas partagé que par Hahnemann et Jenner. Un pharmacien français, Jean-Baptiste Barbier, qui est leur contemporain écrit : « Il existe un moyen pour éviter ces écueils, c’est de trouver la raison des cures qu’opèrent les médicaments, de connoître en quoi consiste leur puissance curative, et de ne plus croire qu’ils guérissent par des forces occultes et intrinsèques. (...) Pourquoi ne fait-on pas plus d’attention à ces effets immédiats des médicaments ? »


Particulièrement dans son édition de 1833, Hahnemann introduit aussi la notion de maladie chronique. Ayant constaté l’efficacité de ses prescriptions mais aussi le retour de maladies qu’il pensait avoir guéries, il évoque alors la possibilité d’une maladie chronique déclenchée par un agent extérieur et dont les manifestations périodiques seraient comme la partie émergée d’un iceberg qu’il est nécessaire d’éradiquer définitivement avec des médicaments homéopathiques spécifiques. Et il compare cette maladie sous-jacente, qui se révèle par des poussées périodiques, à une maladie réelle si commune à son époque : la gale. Cette maladie épidémique, dont on ignore encore la cause (le sarcopte ne sera découvert qu’en 1840) est une plaie européenne. Les différentes armées des guerres napoléoniennes en sont infestées et la transmettent aux populations civiles qui les côtoient.


Enfin helléniste, Hahnemann, pour nommer cette maladie sous-jacente, reprend le terme, déjà employé par Ambroise Paré, de « psore » (du grec psora : gale). Il impose ce concept comme indispensable à la pratique de tout bon médecin homéopathe car, pour lui, presque toutes les maladies sont d’origine psorique et nécessitent l’usage de médicaments spécifiques, qu’il nomme anti-psoriques.


Secondairement, et bien plus tardivement, Hahnemann, instaurera deux autres concepts de maladie sous-jacente chronique : la syphilis et la sycose (du grec sycos : figue ; par analogie entre la présence de verrues en, forme de figues, les « fics », dans le tableau de cette maladie sous-jacente). La sycose, telle qu’elle est définie par Hahnemann, est équivalente à ce qu’on appellerait de nos jours, une maladie sexuellement transmissible non syphilitique.
Cette notion de maladie chronique sous-jacente a posé des problèmes de compréhension à quelques homéopathes du XIXe siècle. Des disciples ne sont pas d’accord avec le concept de maladie sous-jacente. Le considérant comme trop flou, ils continuent d’utiliser le médicament homéopathique soit en complément d’un traitement non-homéopathique, soit sans introduire de traitement homéopathique antipsorique comme l’exige Hahnemann. Traités de « demi-homéopathes » ou d’autres surnoms beaucoup moins élégants, ils résistent aux injonctions et provoquent la première (et malheureusement pas la dernière) scission du monde homéopathique.


Les homéopathes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, notamment en France, ont assimilé le concept décrit par Hahnemann à celui de diathèse (terme établi par Galien et jamais utilisé par Hahnemann) qui est une sorte de prédisposition génétique à la maladie. Pour mieux traduire le concept hahnemannien de déclenchement extérieur d’une maladie sous-jacente après exposition à un facteur déclenchant, on utilise actuellement le terme de Mode Réactionnel Chronique.

L’Organon, dans un premier temps, n’a pas déclenché un enthousiasme débordant. Hahnemann, comprenant que seul le milieu universitaire pourrait lui permettre une plus grande diffusion de ses concepts, postule pour un poste d’enseignant à l’université de Leipzig. Il occupera un poste de conférencier sur l’histoire de la médecine entre 1812 et 1821. Ce poste lui permet, lorsqu’il introduit un cours d’initiation à l’homéopathie, de créer un cercle de disciples acquis à la nouvelle médecine rationnelle, mais aussi de provoquer des réactions nettement moins enthousiastes de la part de nombreux étudiants. Il faut dire que Hahnemann fait assez peu dans la dentelle et ses diatribes ont, bien évidemment, provoqué, en retour, une réaction assez agressive de la part du monde médical.


Ce qui ne l’empêche pas, en travailleur acharné et infatigable de continuer de publier, notamment, son deuxième ouvrage majeur : La Matière médicale pure (1811-1833). Cet ouvrage comporte tous les symptômes révélés par les expérimentations pathogénétiques de nombreuses substances.
En 1821, Hahnemann s’installe à Köthen. D’une part parce que le milieu médical de Leipzig n’était favorable ni à son enseignement ni à sa nouvelle médecine. D’autre part parce que, à Köthen, Hahnemann avait, enfin, la permission de fabriquer lui-même ses médicaments ! Il possède alors une clientèle suffisante pour vivre, des disciples fidèles et la certitude de prescrire des médicaments dont la préparation est fiable. Ce qui ne l’empêche pas de prendre le temps de rédiger une nouvelle édition de son Organon et son troisième ouvrage majeur : Le Traité des maladies chroniques (1828-1839). Ce livre lui permet non seulement d’enrichir les symptômes révélés lors des expérimentations, mais aussi d’approfondir la notion de maladie chronique.


On peut constater que le manque de respect du concept de maladie chronique sous-jacente, notamment lors d’une de ces épidémies de choléra qui ravageaient l’Europe dans la première moitié du XIXe siècle, n’a pas empêché d’obtenir d’excellents résultats. Les homéopathes, qui utilisent différents médicaments et à différentes dilutions (pas toujours aussi élevées que Hahnemann le préconise), obtiennent des résultats assez honorables ; très souvent bien plus honorables que leurs confrères non-homéopathes. L’enthousiasme pour cette nouvelle médecine qui se révèle très efficace attire de nombreux médecins jusque-là plus que réticents.


Encore une fois, c’est moins un concept imposé que le respect des principes de base du raisonnement hahnemannien qui a porté ses fruits : l’observation des excellents résultats de leurs confrères homéopathes ont poussé les nonhoméopathes à expérimenter eux-mêmes les nouveaux médicaments pour le plus grand bien de leurs patients. L’homéopathie essaime alors partout en Europe, de la Russie à l’Espagne, mais aussi aux États-Unis et dans les pays sous colonisation anglaise. Bien sûr, cette expansion tend à provoquer une certaine exaspération des milieux médicaux « officiels » et tous les coups sont permis. En France, l’Académie de Médecine qui demande à Guizot d’interdire cette nouvelle pratique s’entend répondre que l’homéopathie, si elle est réellement inefficace, ne durera pas. À Naples, de charitables confrères profondément non-homéopathes apportent des figues bourrées d’arsenic à des patients soignés par homéopathie et qui doivent prouver, aux yeux du roi Frédéric I, l’efficacité de cette nouvelle médecine !


Toutefois, cette expansion de l’homéopathie en Europe n’a pas que des effets négatifs pour Hahnemann. Une jeune (encore pour notre époque mais pas pour le XIXe siècle...) artiste peintre parisienne de 35 ans, Mélanie d’Hervilly, découvre la traduction française de l’Organon de Hahnemann. Enthousiasmée par cette nouvelle méthode thérapeutique, elle décide d’aller jusqu’à Köthen pour faire soigner sa névralgie par Hahnemann lui- même. La première consultation a lieu en 1834. Arriva ce qui devait arriver, à presque 80 ans, Hahnemann veuf depuis quatre ans, tombe amoureux de la jeune Française, la demande en mariage au bout de quelques jours et l’épouse au bout de quatre mois ! Deux mois plus tard ils sont à Paris où Mélanie l’introduit dans la société parisienne. Hahnemann, malgré l’opposition de l’Académie de Médecine (encore elle !), obtient la permission d’exercer la médecine en France. L’appartement des Hahnemann-Hervilly devient l’endroit où il faut être vu ou être soigné. Non seulement des Français, mais aussi des étrangers (médecins, artistes, politiciens, etc.13) venus de toute l’Europe et des États-Unis s’y rendent. Si Hahnemann est accueilli avec honneur par la Société Homéopathique de Paris, sa présence ne déclenche pas une augmentation significative des médecins homéopathes français. Cependant, elle les pousse à s’organiser : la Société gallicane d’Homéopathie est créée en 1835.
Atteint d’une bronchite catarrhale, Hahnemann décède le 2 juillet 1843. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

 

 

Docteur Franck Choffrut

 

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