Homéopathie : le médicament, le malade, le mal-être et la Matière médicale


Toute substance pharmaceutique est susceptible de développer son activité de différentes manières :


• Telle quelle. Il s’agit là de l’effet dit pondérable, lequel, pour de nombreuses substances, peut vite devenir toxique. L’effet pondérable et bénéfique pour le malade est considéré comme premier en pharmacologie classique, tandis que l’effet toxique devient secondaire. Un distinguo qui arrange pas mal de monde, et surtout l’industrie pharmaceutique... L’utilisation des médicaments à dose pondérable au sein de l’école officielle allopathique n’est pas sans risques et exige de la part du médecin prescripteur une connaissance (bio)chimique approfondie des effets premiers et des effets secondaires.
• Diluée. La substance est débarrassée de sa toxicité et peut acquérir une nouvelle action laquelle serait antagoniste à celle de la substance pondérable.

Cette assertion qui mériterait d’être revisitée grâce aux nouveaux développe- ments scientifiques en matière d’épigénétique10, est basée sur la loi d’Arndt- Schultz, d’après les travaux de deux éminents pharmacologues allemands : Rudolf Arndt (1835-1900) et Hugo Schultz (1853-1932). Un exemple : des cœurs d’anguille isolés et perfusés par un liquide auquel on ajoute de l’aconitine (un poison violent), vont réagir différemment en fonction de la dose utilisée : aux doses pondérables par un ralentissement du rythme cardiaque (action directe et toxique) ; en dilutions basses par une accélération (action inversée) du rythme cardiaque. L’action pondérable et l’action diluée d’un médicament sont dites pharmacodynamiques.

• Diluée et dynamisée. La substance acquiert une action régulatrice et thérapeutique dite homéodynamique (Conan Meriadec), laquelle n’est présente que s’il existe analogie entre les plaintes exprimées par le malade et les données expérimentales ou pathogénétiques pour la substance concernée.

Un exemple de ce dualisme biologique est celui d’Atropa belladonna ou Morelle furieuse, ou Belle-dame, une baie sauvage qui ressemble à une petite cerise noire. Les dames romaines instillaient son suc dans les yeux afin de dilater la pupille et d’ajouter ainsi de l’éclat au regard, de là le surnom de Belle-dame. L’effet purement allopathique de la plante entière est surtout toxique. Elle renferme deux alcaloïdes principaux : l’atropine et l’hyosciamine. La dose mortelle chez l’homme commence à dix milligrammes, mais des doses de trois milligrammes ont déjà provoqué de graves incidents, notamment chez des enfants ayant confondu cette Morelle furieuse avec un fruit comestible. Les ouvrages de toxicologie nous renseignent sur les symptômes subjectifs et objectifs de l’intoxication à la Belladone :
• douleur battante de la tête avec soif
• accélération du pouls (par paralysie du nerf pneumogastrique lequel, dans des conditions normales, est frénateur du cœur)
• excitation cérébrale violente avec délire et hallucinations
• éruption cutanée scarlatiniforme, aussi appelée rash dans le jargon médical
• transpiration profuse
• dilatation des pupilles avec vue trouble et photophobie. L’effet toxique d’Atropa belladonna sur les fibres musculaires de l’iris, entourant la pupille, est largement utilisé en ophtalmologie. En effet, l’instillation d’atropine provoque une dilatation de la pupille ou mydriase par paralysie du sphincter irien, ce qui permet l’examen interne de l’œil. L’usage intempestif de collyres à base d’atropine risque de provoquer de la congestion locale ainsi qu’une augmentation brutale de la tension oculaire ou glaucome aigu.
• l’assèchement et la congestion des muqueuses de la bouche (avec soif), de l’estomac, des intestins et des voies respiratoires par paralysie du nerf pneumogastrique. Il est à noter que l’emploi en médecine classique d’extraits secs ou de teinture-mère à base de Belladone dans les états congestifs des intestins (avec spasmes) ou des voies respiratoires (avec toux sèche ou spastique) n’est autre que l’application de la loi de similitude, puisque la Belladone est un poison essentiellement congestif ! La dose pondérable préconisée ici par la pharmacologie classique est peu éloignée de la dose toxique voire létale, ce qui rend délicate la prescription de ce remède.

Voilà ce que mentionnent, à peu de choses près, la toxicologie et la thérapeutique classique. Lorsque la Belladone, diluée et dynamisée, est administrée suffisamment longtemps à des sujets sains et sensibles, l’on assiste à l’éclosion d’une symptomatologie expérimentale ou pathogénétique, laquelle va considérablement enrichir la connaissance pharmacologique du remède. Un sujet sensible expérimentant la Belladone à doses minimes, va présenter une soif qu’il va préciser de la manière suivante : petite soif survenant régulièrement avec envie de boire de l’eau froide, ceci par comparaison à la soif mentionnée sans plus par les toxicologues. Le délire de Belladonna, sommairement évoqué par les toxicologues, s’enrichit de précisions pathogénétiques intéressantes : délire qui s’accompagne d’un désir de s’échapper du lit ; hallucinations visuelles d’animaux, de chiens en particulier. Nous avons évoqué plus haut la Belladone homéopathique en tant que remède de la fièvre humide de l’enfant, lorsque son visage devient rouge et donne l’impression de dégager de la chaleur. Ce même enfant, aux pupilles dilatées, hallucinant de fièvre, à tel point qu’il voit des chiens et veut quitter son lit, réclamant sans cesse de l’eau qu’il boit par petites gorgées, va rassembler tous les symptômes subjectifs et objectifs permettant de le soigner selon la loi d’analogie par des doses homéopathiques de Morelle furieuse.

La finesse du tableau clinique est très importante en médecine homéopathique, car il existe plusieurs manières de faire une maladie. À côté de la fièvre humide de Belladonna, existent une fièvre sèche d’Aconitum, par analogie à l’intoxication par la plante Aconit napel ou Capuche de moine, ainsi qu’une fièvre rosée d’Apis ressemblant à l’intoxication de l’organisme par le venin d’abeille ou Apis mellifica. Les termes d’analogie et de ressemblance ne sont peut-être pas des plus adéquats. Dans la pratique quotidienne de l’homéopathie chez les enfants, l’on assiste souvent à un enchaînement des trois types de fièvres. Par ordre chronologique : Aconit, Belladonna, et Apis. Tout porte à croire qu’il s’agit là d’une production authentique, endogène, phylogénétique, mais non quantifiable par les moyens de la science actuelle, de substances régulatrices produites par le système neurovégétatif de l’Homo sapiens enfant, confronté aux aléas de son environnement, microbien principalement. À la rigueur et eu égard aux connaissances médicales modernes, on pourrait ici utiliser le terme d’endorphines phylogénétiques en évoquant Aconit, Belladonna, et Apis !

L’importance de l’effet non toxique, homéodynamique, d’un remède à doses infinitésimales est illustrée par la thérapeutique du glaucome. Cette affection de l’œil, caractérisée par l’augmentation de sa pression interne, va de pair avec les symptômes suivants : mal de tête battant, rougeur locale par congestion, mydriase et photophobie. Cette énumération est semblable au tableau clinique expérimental de la belladone. Là où de la belladone (atropine) administrée à des doses pondérables (en collyre) aurait manifestement aggravé le glaucome, cette même belladone, en revanche, administrée en dose infinitésimale cette fois, va soulager ce glaucome en loi de similitude. Avant l’existence des moyens techniques thérapeutiques modernes (collyres, laser, chirurgie), l’usage homéopathique de la belladone a longtemps été un traitement de choix du glaucome par les cliniciens hahnemanniens des siècles derniers.

◊ Le malade et le mal-être
Si l’on administre, plusieurs fois par jour et suffisamment longtemps, à un individu sain et sensible des doses subtoxiques d’Arsenicum album, il va développer sur le plan somatique des troubles qui s’apparentent plus ou moins à ceux causés par la prise de doses toxiques d’arsenic : une inflammation des muqueuses (de l’appareil digestif, notamment), un dessèchement de la peau avec formation de squames blancs, de l’oppression respiratoire et de l’amaigrissement. Ces symptômes vont progressivement disparaître dès l’arrêt de l’expérimentation. Ceci semble logique car l’on peut supposer que le poison dilué va, à la longue, enclencher un processus cumulatif et toxique au sein de l’organisme de l’expérimentateur sain. Mais il y a plus : chez un individu sensible, l’appari- tion des troubles physiques et objectifs, va être précédée et accompagnée d’un mode réactionnel et subjectif qui signe l’imprégnation subtile de l’organisme (sensible) par le poison dilué. Ce phénomène, individuel, dit pathogénétique, se retrouve chez un malade justiciable d’un traitement homéopathique au moyen d’Arsenicum album. Si le similimum n’est pas administré en temps utile, le mode réactionnel va marquer son empreinte sur l’évolution de la maladie et moduler l’histoire du mal-être du malade, depuis ses plaintes psychosomatiques – invisibles – jusqu’à l’apparition de la lésion – visible, elle.

Quels sont les paramètres ou les modalités susceptibles d’influencer, dans un sens ou dans l’autre, une maladie ou un mal-être ?
• des émotions telles que la colère ou le chagrin (modalités psychologiques)
• le repos ou le mouvement (modalités locomotrices)
• l’apparition ou la disparition d’un écoulement, les règles ou la sueur par exemple
• l’horaire, le nycthémère (le jour et la nuit), et les saisons (le printemps et l’automne, principalement)
• la sensibilité : au bruit, à la pression, aux secousses (modalités sensorielles) ; au chaud et au froid, à l’humidité, aux phases lunaires, à la mer ou à la montagne, à l’orage (modalités thermiques, baro-climatiques, et atmosphériques)

« Les homéopathes disposent ainsi d’une sémiologie extrêmement fine, précise et “modalisée” de la réactivité humaine dans toutes ses nuances exprimées par les malades et retrouvée dans les modèles pathogénétiques semblables, ce qui leur permet de trouver le médicament homéopathique exactement adapté à la réactivité de chaque organisme pendant toute la durée de sa maladie. »
Revenons à l’exemple d’Arsenicum album : l’expérimentation chez des sujets sains donne les renseignements suivants : bon nombre de sujets se plaignent d’anxiété, d’agitation, et de faiblesse. Certains de ces troubles ont leur acmé après minuit, et tout particulièrement vers une heure du matin (modalité horaire). Sur le plan physique et comme décrit plus haut, on assiste chez certains expérimentateurs, à de l’inflammation de la peau et des muqueuses, digestive, respiratoire, urogénitale entre autres. Les brûlures d’estomac sont améliorées par de petites gorgées d’eau froide répétées fréquemment (modalité senso- rielle). Il existe une certaine périodicité ainsi qu’une alternance dans l’expression des plaintes pathogénétiques : elles sont présentes (ou sont exacerbées) tous les deux jours ou tous les quinze jours par exemple ; les troubles de la peau peuvent alterner avec les troubles de l’appareil respiratoire et vice versa.

Il est intéressant, à partir de ces données pathogénétiques, d’esquisser le tableau réactionnel d’un enfant qui souffre d’asthme et qui entre en ligne de compte pour un traitement homéopathique au moyen d’Arsenicum album. Typiquement, l’enfant est amaigri, nerveux et peureux. Dans l’anamnèse (l’histoire de la maladie), on retrouve un eczéma sec et desquamant qui a été supprimé par des pommades à la cortisone et qui a fait place à de l’asthme nocturne. Ce dernier se manifeste par crises, après minuit. L’enfant devient alors extrêmement anxieux et a peur de mourir. Les crises se manifestent périodiquement : toutes les semaines, ou toutes les deux semaines.

Le diagnostic homéopathique de l’asthme comprend non seulement le constat physique, par auscultation, de la problématique respiratoire, mais également la modalité réactionnelle locale et générale du malade à son mal-être. D’où la dimension humaine de l’homéopathie qui soigne non pas des maladies, mais des malades !

La loi de pharmacologie de Arndt-Schultz stipulant que l’action d’un médica- ment pourrait être inversée selon la dose utilisée, est illustrée par l’étude toxique et homéopathique de l’acide arsénieux ou Arsenicum album. Un de ses effets toxiques est de la diarrhée avec parfois des selles sanguinolentes : l’effet pondérable (et toxique). Cette diarrhée s’apparente à celle du choléra, une maladie infectieuse des intestins. D’un point de vue général, l’arsenic dynamisé devient un remède complémentaire - par son effet inversé et homéodynamique - de diarrhées toxi-infectieuses traitées en première intention par antibiotiques et par hydratation. De hautes dynamisations d’Arsenicum album sont en effet susceptibles de soigner de nombreuses gastro-entérites chez l’enfant, telles que la salmonellose par exemple. L’enfant va devenir anxieux et agité, et réclamer de l’eau froide qu’il va boire à petites gorgées (modalité sensorielle d’Arsenicum album, issue de sa pathogénésie).

La Matière médicale
La Matière médicale pure est principalement un ouvrage basé sur l’étude des pathogénésies, dont une centaine porte la griffe de Samuel Hahnemann. À partir de 1830, il a surtout expérimenté des potences à la 30CH, mais toutes sortes de préparations homéopathiques et même de la teinture-mère (de produits non toxiques, bien sûr) ont été expérimentées. Nombre de médecins ont poursuivi par la suite ce travail expérimental et colligé sous forme de protocoles les innombrables signes pathogénétiques. Aujourd’hui, la littérature homéopathique compte approximativement un millier de pathogénésies élaborées à partir de substances bioactives d’origine végétale, animale et minérale. Cette énorme compilation est en soi inutilisable lors d’une consultation homéopathique. C’est pourquoi des grands noms de la médecine homéopathique, tels les docteurs Boericke, Vannier, Voisin, et bien d’autres, ont, dans un but didactique et de simplification, systématisé et répertorié le travail expérimental et clinique de la médecine des semblables, depuis son avènement jusqu’à nos jours. La Matière médicale moderne devient ainsi l’ouvrage de référence du praticien homéopathe dans sa quête du similimum lors d’une consultation16. Certaines Matières médicales renseignent sur les facteurs déclenchants – les facteurs étiologiques – d’un syndrome réactionnel. Un exemple : l’administration répétitive d’antibiotiques à large spectre ou des polyvaccinations chez des enfants sensibles, déclenchent de la bronchite asthmatiforme dont les signes s’apparentent à ceux du syndrome pathogénétique de Thuya ou Arbor vitae (arbre de vie). « Médica- tions allopathiques ou vaccinations répétées » seront par conséquent décrites comme facteurs étiologiques possibles à la rubrique Thuya.

Les Matières médicales mentionnent bien sûr les modalités de chaque remède. Revenons à Thuya : La bronchite asthmatiforme de l’enfant qui entre en ligne de compte pour un traitement au moyen de Thuya occidentalis, sera exacerbée par temps humide et vers 5 heures du matin.

Une autre notion développée dans la Matière médicale est celle de latéralité. Pour des raisons inconnues, certains syndromes réactionnels concernent un seul côté du corps, ou se développent d’un côté du corps pour ensuite gagner l’autre côté. C’est notamment le cas de Sulfur (le soufre), de Lachesis (venin du serpent Lachesis mutus), ou de Lycopodium (poudre de lycopode) et de bien d’autres. Une Matière médicale contient également des signes ou des modaltés qui ne sont pas apparus durant l’expérimentation mais qui étaient présents chez un malade et qui ont disparu grâce au traitement par un remède homéopathique prescrit sur base du syndrome réactionnel général.

Un bon exemple est celui de Lycopodium. Les expérimentateurs sensibles qui développent une pathogénésie de cette plante diluée et dynamisée, présentent une constipation accompagnée de ballonnement abdominal. Si ces mêmes troubles apparaissent chez un malade justiciable de Lycopodium, il va présenter une aggravation entre 16 et 20 heures. Il s’agit là d’une modalité horaire qui n’est pas reprise dans les pathogénésies mais qui est bien présente chez tout sujet Lycopodium. Cette modalité sera donc mentionnée dans la Matière médicale.

Plus de deux cents ans d’expérience de l’homéopathie ont conduit à l’élaboration d’une Matière médicale moderne dont les signes pathogénétiques et cliniques forment un ensemble empirique et cohérent, accessible à la pratique quotidienne. Ces Matières médicales sont dites systématisées : les remèdes homéopathiques y sont décrits par ordre alphabétique et selon les différents systèmes (ORL, digestifs, respiratoire, locomoteur, etc.), le tout précédé des symptômes psychiques. La plupart des Matières médicales ajoutent d’autres informations, notamment :
• les types sensibles
• les diathèses homéopathiques
Ces notions s’inspirent principalement de l’école homéopathique dite pluraliste.
En complémentarité avec les matières médicales systématisées, existe le Répertoire tel que celui du docteur James Tyler Kent (1849-1916), homéopathe américain réputé. Cet ouvrage analytique est constitué de rubriques essentiellement topographiques (tête, abdomen, thorax, dos, membres, etc.) qui contiennent chacune des symptômes cardinaux repris par ordre alphabétique. Les symp- tômes psychiques font l’objet d’une rubrique particulière et importante, car elle permet de valoriser un remède. Chaque symptôme cardinal fait à son tour l’objet d’une rubrique détaillée contenant par exemple l’heure d’apparition du symptôme, sa latéralité, et les situations ou les facteurs favorisant son aggravation ou son amélioration (les modalités). En regard de ces différents indices figurent divers remèdes homéopathiques : en caractère gras (ou troisième degré), le ou les remèdes qui sont un premier choix et correspondent le plus fréquemment au problème présenté par le malade ; en italiques (ou deuxième degré), le ou les remèdes qui entrent moins fréquemment en ligne de compte ; enfin, en lettres cursives (ou premier degré), des remèdes qui ne sont que rarement utilisés dans le cadre de la symptomatologie présente. Cette technique dite de répertorisation, laquelle permet de préciser à l’extrême un ou plusieurs symptômes, conduit généralement à la prescription par le médecin homéopathe d’un seul remède qui est par excellence le remède homéopathique du malade ou le similimum (école uniciste).
Dans sa pratique quotidienne, le médecin homéopathe va, à partir d’un symptôme important, s’inspirer d’un Répertoire afin de réduire son choix thérapeutique à quelques remèdes qu’il va différencier à l’aide d’une ou plusieurs Matières médicales.

 

  Dr. Baudouin Caironi       
                                                                              

Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous 

 L'homeopathie du nourrisson et de l'enfant