Enseignement de la médecine chinoise

L’enseignement de la médecine chinoise en Chine a pris des formes très diverses tout au long de l’histoire13. Jusqu’au début du XXe siècle, le principal mode de formation reposait sur une transmission de maître à disciple, le plus souvent dans un cadre familial, l’élève étant formé par son père, son oncle ou une personne auprès de laquelle il avait été introduit à travers un réseau informel. Si le contexte social de la Chine a bien changé, le mode de transmission actuel de la médecine chinoise repose encore, dans une certaine mesure, sur deux types de rapports bien distincts. Un professeur peut avoir des xuesheng 學生 [étudiants] et des tudi 徒弟 [disciples]. Les plus jeunes enseignants universitaires n’ont souvent que des étudiants tandis que les médecins exerçant en dehors d’une structure institutionnelle transmettent leur expérience à des disciples.

a) Formation des praticiens en Chine

L’enseignement de la médecine chinoise en Chine a pris des formes très diverses tout au long de l’histoire13. Jusqu’au début du XXe siècle, le principal mode de formation reposait sur une transmission de maître à disciple, le plus souvent dans un cadre familial, l’élève étant formé par son père, son oncle ou une personne auprès de laquelle il avait été introduit à travers un réseau informel. Si le contexte social de la Chine a bien changé, le mode de transmission actuel de la médecine chinoise repose encore, dans une certaine mesure, sur deux types de rapports bien distincts. Un professeur peut avoir des xuesheng 學生 [étudiants] et des tudi 徒弟 [disciples]. Les plus jeunes enseignants universitaires n’ont souvent que des étudiants tandis que les médecins exerçant en dehors d’une structure institutionnelle transmettent leur expérience à des disciples. Mais beaucoup de laozhongyi 老中醫 [vieux 14 médecins chinois] qui exercent à l’hôpital ou à l’université ont à la fois des disciples et des étudiants. Les modes d’apprentissage sont totalement différents. Un étudiant suit un programme collectif, passe des examens, obtient des diplômes, devient parfois lui-même enseignant. L’intrusion de l’enseignement dans sa vie personnelle et les exigences en matière de comportement se limitent au respect des règlements collectifs de l’université.

Un disciple suit son maître au quotidien, passe du temps à son domicile ou dans sa famille, voyage avec lui, le cas échéant. Il apprend surtout par l’observation, la mémorisation, la répétition de gestes, intégrant les techniques spécifiques et les secrets de son maître. Une partie de son temps est utilisée pour copier les ordonnances de son instructeur et pour le suivre dans la préparation des remèdes, voire dans la récolte des ingrédients dans la nature. Le plus souvent, des liens très forts se tissent dans cette proximité. L’enseignant exerce une autorité morale qui dépasse le cadre du transfert de savoir et qui inclut d’inculquer ce qu’on nomme yide 醫德 [vertu morale de la médecine] : attention au patient, effort dans l’étude, respect du maître, etc. Certains sont étudiants pendant quelques années puis disciples d’un maître dans un deuxième temps, ou l’inverse. Sur le plan universitaire, depuis les réformes de l’enseignement de la médecine chinoise, qui ont commencé au cours des années 1950, trois types d’institutions ont la charge de la formation des futurs praticiens. Les zhongyi xuexiao 中醫學校 [écoles de médecine chinoise] délivrent un enseignement court ou intermédiaire, généralement sur trois années. Elles ne sont pas, à proprement parler, de niveau universitaire. Les zhongyi xueyuan 中醫學院 [instituts de médecine chinoise] et les zhongyi daxue中醫大學 [universités de médecine chinoise] forment les étudiants aux grades de xueshi 學士 (5 ans), puis, après trois années supplémentaires sanctionnées par un examen et la soutenance d’un travail de recherche dans une spécialité, au shuoshi 碩士 et, après trois autres années d’études et une seconde thèse, au boshi 博士 15 qui conclut donc onze années d’études universitaires. Durant la préparation au xueshi, les étudiants reçoivent un enseignement qui comprend environ 3 800 heures de cours durant les quatre premières années, la dernière année étant consacrée à une pratique hospitalière à temps complet. Environ 950 heures sont dévolues aux matières générales. Le reste se divise entre la médecine chinoise (environ 70 %) et la biomédecine (environ 30 %). Sur les quelque 2000 heures de médecine chinoise, l’enseignement des textes classiques représente 468 heures, réparties entre quatre corpus fondamentaux (Neijing, Shanghanlun, Jingui yaolüe et Wenbing) auxquels s’ajoute l’étude des autres théories et traités anciens qu’on regroupe sous le terme gexia xueshuo 各家學說 [étude des diverses écoles]. Les cursus universitaires de médecine chinoise sont indépendants de ceux de médecine occidentale. Ces derniers, de longueur analogue et débouchant sur les mêmes niveaux de diplômes, sont délivrés dans des universités de biomédecine. Il faut noter qu’il existe une spécialité qui est une synthèse entre les deux systèmes médicaux appelée zhongxiyi jiehe 中西醫結合 [Combinaison de médecine chinoise et de médecine occidentale] que l’on peut effectuer après un cursus de base dans l’une ou l’autre médecine.

b) Formation des praticiens en Europe
Bien que la médecine chinoise soit connue en Europe depuis plus de trois siècles, c’est seulement depuis quelques décennies que le système médical chinois commence réellement son expansion en Occident. Cependant, le cadre permettant d’accéder à une connaissance de cette discipline n’est pas à la hauteur de l’enthousiasme qu’elle génère auprès du public. La France, qui a été l’un des premiers pays à accueillir ce savoir, se trouve aujourd’hui paradoxalement distancée par ses voisins et par d’autres pays occidentaux (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suisse, Canada, États-unis...) dans le processus de reconnaissance de la médecine chinoise. Il y a une vingtaine d’années, son enseignement était strictement limité à l’acupuncture16. Des associations (ne réunissant que des docteurs en médecine occidentale) organisaient elles-mêmes des formations disparates. Certaines d’entre elles étaient réservées aux docteurs en médecine occidentale, d’autres s’ouvraient à un public plus large. À partir de la fin des années 1980, des cursus ont été introduits dans quelques facultés de médecine. C’est ainsi que, depuis 1988, l’acupuncture fait l’objet d’un enseignement sanctionné par un D.I.U. (diplôme interuniversitaire) d’acu- puncture dans les facultés de médecine de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier-Nîmes, Paris-Nord (Bobigny) et Strasbourg17. Parallèlement, des formations privées continuent à être dispensées indépendamment ou en complément du D.I.U., soit dans le cadre des autres aspects de la médecine chinoise, soit à destination d’un public plus étendu. Cependant, aucune de ces deux catégories d’enseignements ne répond totalement aux critères d’exigence qu’on pourrait attendre pour une telle discipline. La contrainte d’un nombre restreint d’heures de formation entrave la transmission des aspects les plus subtils de la théorie. Quant à la pratique, elle est limitée à des stages ponctuels chez des acupuncteurs libéraux : il n’existe pas de services hospitaliers spécialisés en médecine chinoise. Tout repose donc sur la motivation, la disponibilité et les compétences de praticiens privés, puisque, en France, aucun poste universitaire n’est créé dans cette discipline. Le recrutement ne répond évidemment pas aux critères habituels de l’enseignement supérieur. La plupart des enseignants ne connaissant pas la langue chinoise, ils n’ont accès qu’à une littérature occidentale ou traduite. Par exemple, le D.I.U. d’acupuncture, réservé aux seuls médecins18, comprend trois années d’étude mais qui ne représentent que 16 journées de fin de semaine par an, ce qui correspond à environ 390 heures d’enseignement, en totalité19. En conséquence, la seule façon légale d’exercer l’acupuncture en France implique de faire un doctorat de médecine qui se prépare en neuf années universitaires (plusieurs milliers d’heures), durant lesquelles seule la biomédecine est enseignée, puis de suivre, pendant trois ans, les cours à temps très partiel d’un D.I.U. d’acupuncture dans lequel tous les autres aspects de la médecine chinoise sont pratiquement ignorés20. Ce contexte rend difficile la génération de véritables experts au sein du corps médical français, malgré l’intérêt et les efforts constants d’un certain nombre de praticiens et d’universitaires qui travaillent pour une meilleure reconnaissance du système médical chinois. Pourtant, depuis des années, les cabinets s’ouvrent en grand nombre ; en 1996, sur un total de 6756 médecins déclarés en M.E.P. (mode d’exercice particulier), 2061 sont installés en tant qu’acupuncteurs21, soit un quotient de 30,5 %. En dehors des «médecins généralistes à orientation acupuncture», il existe un grand nombre de praticiens, formés de façons disparates, faute de réglementation en la matière. Ceux-ci prennent théoriquement le risque d’être condamnés pour exercice illégal de la médecine mais les jugements sont souvent mitigés, allant de l’amende à la relaxe pure et simple.

Tout d’abord, il faut reconnaître que les milliers de praticiens en exercice relèvent de catégories très différentes. D’un côté, il existe des opportunistes incompétents et sans scrupules qui tirent profit de l’engouement pour les médecines alternatives ; ce type de charlatanisme se rencontre d’ailleurs aussi bien au sein du corps médical qu’en dehors, comme plusieurs procès l’ont révélé. Tout le monde s’accorde à condamner ces abus. D’un autre côté, on trouve des professionnels, parfois de haut niveau, ayant des connaissances médicales étendues et parfois une longue expérience hospitalière ; je pense, notamment, à certains praticiens issus de la Chine ou d’un pays où des formations universitaires et un exercice de la médecine chinoise sont organisés et qui sont arrivés en Europe pour des raisons liées à leur histoire personnelle. Leurs compétences sont socialement utiles, parfois irremplaçables, surtout dans des pays comme la France où l’enseignement « officiel » de cette discipline est aussi précaire. Il est immoral et ridicule de poursuivre de tels spécialistes qui ont un statut et une honorabilité incontestables sur le plan international comme s’ils étaient des délinquants, surtout, comme c’est souvent le cas, après des guérisons ou des améliorations de patients auxquels la médecine officielle locale ne proposait plus rien. Leur expérience devrait au contraire être accueillie et, si possible, assimilée.

Par ailleurs, les procès des praticiens poursuivis pour exercice illégal de la médecine prennent souvent une tournure surréaliste : aucun témoin à charge et un défilé de patients satisfaits et reconnaissants. Ces événements portent préjudice à la profession médicale, à la justice, qui est otage d’un droit dépassé, et à l’image du pays tout entier. Lorsqu’une forme de « délinquance » bénéficie d’un tel soutien de la population, parfois même des élus locaux, lorsque certains actes ne sont délictueux que dans certains états, alors qu’ils sont autorisés dans des nations voisines, le législateur a le devoir de s’interroger sereinement sur la légitimité de la loi et, le cas échéant, y appliquer les réformes qui s’imposent. Cependant, en la matière, les groupes de pression qui se manifestent et s’affrontent, conduisent à une sorte de consensus mou. Une brèche dans le monopole de la biomédecine imposerait aux dirigeants politiques d’affronter les syndicats et ordres professionnels de médecins. Il faudrait donc beaucoup de courage pour réformer la loi sur l’exercice de la médecine afin d’y introduire d’autres conceptions et des critères de reconnaissance différents. À l’opposé, appliquer la loi dans sa rigueur, en direction des milliers de thérapeutes de toutes tendances, conduirait à initier une «chasse aux sorcières», à démultiplier attaques et procédures avec, pour conséquence, une déstabilisation de l’opinion publique et une crise de confiance envers le monde médical qui est déjà largement taxé de corporatisme. En outre, ce climat de persécution n’aurait que peu d’effet : les pratiques concernées s’enfonceraient dans la clandestinité mais ne disparaîtraient pas.

Afin d’éviter toute ambiguité, je précise que ces réflexions ne constituent pas un encouragement à exercer la médecine chinoise à la faveur de cursus expé- ditifs sans contrôle institutionnel. Je ne m’inscris pas davantage dans le cadre de la polémique dépassée et stérile qui oppose, depuis quelques décennies, « médecins acupuncteurs » et « acupuncteurs traditionnels », tout comme elle divise « kinésithérapeutes faisant du massage chinois » et « masseurs chinois » ou, dans un autre registre, « médecins ostéothérapeutes » et « ostéopathes », et ainsi de suite. Les revendications professionnelles ou protectionnismes corporatistes, aspirations à la reconnaissance ou à l’exclusivité, qui caractérisent les camps qui s’affrontent, ne me passionnent pas. En revanche, j’ai consacré ma vie, depuis de nombreuses années, à l’étude, à la pratique et à l’enseignement de la médecine chinoise et je suis préoccupé par son avenir. C’est à ce titre seule- ment que je réfléchis à la façon d’assurer sa transmission, de favoriser son développement et d’organiser son exercice. Commençons par poser les données du problème :
− La grande majorité des patients sont traités par la biomédecine qui s’est généralisée comme une référence internationale. Il n’est donc pas possible, aujourd’hui et en Occident, pour un praticien, quel que soit son système médical de référence, d’ignorer les données essentielles de la biomédecine. Il faut qu’il puisse analyser un dossier, interpréter des examens paracliniques, communiquer avec la totalité des acteurs sociaux qui participent à la santé publique. Il a donc besoin d’une formation médicale « occidentale ».

− L’étendue du savoir à acquérir en médecine occidentale impose des études longues. L’étendue du savoir à acquérir en médecine chinoise impose des études aussi longues. Il est impossible d’imposer à l’étudiant qui veut pratiquer la médecine chinoise de cumuler les deux cursus : il est difficile d’envisager des formations universitaires d’une durée de 15 à 20 années à plein temps. D’un autre côté, autoriser que des praticiens exercent principalement la médecine chinoise – ou une de ses branches, acupuncture ou autre – après un cursus totalement disproportionné en faveur de la médecine occidentale, en durée, en qualification des enseignants et en critères de validation est aussi aberrant que d’octroyer une place de violoniste à un musicien ayant fait 90 % de sa formation en piano.

L’alternative est donc simple. Si l’on souhaite que les usagers puissent avoir accès à une offre de soin élargie qui prenne en compte ce que la médecine chinoise peut leur apporter, il faut organiser une véritable formation universitaire comprenant, chaque année, une partie indispensable de connaissances de biomédecine qui constituerait une sorte de tronc commun entre les deux systèmes, et un enseignement spécifique de médecine chinoise. Celui-ci devrait être assorti d’une initiation à la langue et à la culture chinoise. Il est important que l’enseignement des deux disciplines se déroule parallèlement dans le temps, plutôt que successivement, afin que la formation intellectuelle des jeunes médecins s’effectue de manière synthétique. Ce cursus devrait s’organiser selon les modalités des accords de Bologne22, en trois étapes : une licence en trois années, un master durant les deux années suivantes et un doctorat en trois années supplémentaires. La quantité d’unités d’enseignements spécifiques à chacun des deux systèmes deviendrait prépondérante au fur et à mesure de l’avancement du cursus. La formation clinique des praticiens s’effectuerait dans des services hospitaliers de médecine chinoise, sous la direction de spécialistes de cette discipline. Il serait ainsi possible d’établir des relations académiques avec les facultés de médecine chinoise qui existent déjà en Chine et dans d’autres pays. Il faut noter qu’il existe des coopérations académiques dans pratiquement toutes les branches du savoir entre l’Extrême Orient et l’Occident. Par exemple, toutes les facultés des universités chinoises peuvent échanger avec leurs homologues françaises, en matière d’enseignement et de recherche, à l’exception des universités et instituts de médecine chinoise. Que ceux-ci soient implantés en Chine, au Japon, en Corée ou dans d’autres pays, il n’existe pas de structure institutionnelle française avec lesquelles ils puissent établir de vraies collaborations scientifiques. Or, la diffusion de la médecine chinoise dans le monde, les champs d’investigation et les méthodes qu’elle recouvre ne permettent plus de la considérer comme un aspect minime d’une culture locale, pas plus que de l’examiner seulement à travers le prisme restrictif d’autres disciplines (histoire, anthropologie, sinologie, médecine occidentale...). Bien entendu, la mise en place d’une telle organisation passe par une réflexion globale s’inscrivant dans une politique de développement à long terme.

L’autre option consiste à entretenir, comme un dogme inébranlable, l’illusion que la seule médecine utile est celle qui s’est élaborée en Occident, qu’elle peut résoudre tous les problèmes des patients et que ses insuffisances ne peuvent, de toutes façons, pas être comblées par des savoirs provenant d’autres civilisations qu’on accepte, à la rigueur, d’importer comme de simples techniques accessoires, subordonnées aux théories de la biomédecine. Cette position, reposant sur la suprématie occidentale, s’inscrit dans le prolongement d’une pensée ethnocentrique, voire colonialiste, aux préalables pour le moins discu- tables. Il est de plus en plus difficile de convaincre les usagers d’adhérer à une telle ineptie. Face à leur demande grandissante d’accéder à des soins délivrés par de véritables professionnels de la médecine chinoise, un marché s’est développé, avec pour conséquence l’ouverture de dizaines d’écoles privées proposant des formations dans cette discipline. En l’absence de toute réglementation, le plus grand succès est assuré par celles qui recrutent le plus largement possible, en utilisant les méthodes de l’économie de marché : publicité à large échelle, absence de sélection, réduction du contenu des cursus, examens faciles, élimination des matières ardues ou peu attractives pour le grand public et tout ce qui permet d’accroître le nombre d’étudiants-clients. L’enseignement étant toujours payant et à la charge intégrale de l’élève, les moyens financiers constituent un paramètre de sélection essentiel des participants. En outre, les cursus qui demandent un investissement restreint en temps et en argent sont plus fréquentés que les formations plus longues et plus exigentes, ce qui entraîne la pérennité et le développement des premiers au détriment des seconds. Les dirigeants et les enseignants n’ayant généralement pas de formation médicale ni universitaire, leurs critères de compétence sont assez difficiles à objectiver. Certains se fondent sur le nombre d’années d’expérience pratique, ce qui est assez peu convaincant et bien difficile à retenir comme élément d’appréciation, le temps n’étant pas en lui-même un paramètre d’amélioration de la connaissance. D’autres se regroupent afin de se reconnaître mutuellement, ce qui, en l’absence d’experts externes neutres et qualifiés, ne constitue qu’une promotion réciproque dénuée de validité. Quelques ressortissants asiatiques jouent sur l’ambiguité de leur culture extrême-orientale afin de s’attribuer des compétences et un niveau de qualification qui ne leur sont pas reconnus dans leur pays d’origine. Quant aux universités et instituts qui enseignent la médecine chinoise en Chine, à défaut de coopération effective avec des organismes de même rang qu’eux, ils sont toujours disposés à accueillir des étrangers qui viennent, en groupes, faire des stages payants de courtes durées, validés par des « certificats » dénués de toute valeur académique. Cette situation s’accompagne inévitablement de l’installation incontrôlable de centaines de professionnels qui exercent de façon déclarée ou clandestine.

Il est indispensable et urgent de réduire le décalage entre un état de fait – le développement exponentiel de l’intérêt et du recours à la médecine chinoise – et les conditions académiques et législatives de son étude et de sa pratique qui sont devenues anarchiques du fait de l’anachronisme de nos institutions. Ceci, afin de répondre à la pression de plus en plus forte des citoyens et parce qu’une réglementation inadaptée, en amalgamant le meilleur et le pire, est préjudiciable aux écoles sérieuses et aux praticiens compétents tandis qu’elle favorise les méthodes douteuses et les charlatans. Pour toutes ces raisons, il me semble indispensable, quelles que soient les résistances et les difficultés, d’instituer officiellement, sous la direction d’experts qualifiés dans la discipline, des formations universitaires de médecine chinoise en coopération avec les facultés de médecine occidentale mais suffisamment autonomes par rapport à celle-ci. Cet équilibre délicat entre rupture et inféodation est une condition essentielle au développement d’un système médical qui a traversé les siècles, qui est exercé dans de nombreux pays et qui peut apporter à de nombreux patients la guérison ou le soulagement qu’ils espèrent.

 

13. Cf. E. Marié, « La médecine chinoise : mutations et enjeux d’un système médical traditionnel confronté à la modernité », Monde chinois, n° 5, 2005, p. 108-113.
14. Le terme lao 老 [vieux] ne fait pas seulement référence à l’âge mais il porte une connotation honorifique, l’idée de « vénérable ». Il ne suffit donc pas d’être âgé pour être considéré comme un laozhongyi ; cependant, il est évidemment impossible d’accéder à ce statut à 30 ans, même pour un clinicien particulièrement brillant.
15. Afin d’éviter la confusion, je n’ai volontairement pas traduit ces trois grades par « licence », « master » et « doctorat » qui correspondent, en France, à des durées d’études différentes.
16. Contrairement à ce qu’on imagine parfois en Occident, l’acupuncture n’est pas la thérapeutique la plus pratiquée en Chine : à l’exception des institutions spécialisées dans cette discipline, dans un hôpital de médecine chinoise, elle ne représente que 10 à 15 % des consultations, loin derrière la pharmacopée qui est le mode de traitement le plus répandu.
17. I. Robard, « Situation de la médecine chinoise en France », Aesculape, n° 20, 1999, p.5.
18. Il existe également un D.I.U. d’acupuncture obstétricale réservé aux sages-femmes. Il se
prépare sur deux années, à raison de cinq séminaires par an, soit un total de 240 heures.
19. La répartition totale de l’enseignement, selon le programme officiel du D.I.U. d’acupuncture de l’université de Paris XIII, est la suivante : 290 heures d’enseignement théorique, 50 heures d’enseignements dirigés et 50 heures de pratique auxquelles il faut ajouter 15 demi-journées de stages.
20. L’annonce récente (printemps 2007) de la création d’un nouveau diplôme de « capacité en acupuncture » et d’un « D.I.U. des principes et applications de la pharmacopée chinoise » met cependant en évidence la volonté d’étendre progressivement la transmission plus complète de la discipline, ce qui permet d’espérer une évolution progressive de l’enseignement universitaire de la médecine chinoise en France. Cette avancée est l’aboutissement de demandes répétées faites aux gouvernements successifs par quelques praticiens qui jouent un rôle de pionniers en la matière.
22. La Déclaration de Bologne, signée le 19 juin 1999 par 30 ministres européens de l’Éducation, est un ensemble d’accords historiques visant à réformer et harmoniser les études universitaires : échelonnement des cursus en trois grandes étapes (licence, master, doctorat), mise en place d’un système de crédits valorisant les acquis des étudiants, suppression des divers obstacles (administratifs, financiers, académiques) à la liberté de mouvement, promotion de la coopération européenne...

 

Eric Marié

 

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Précis de médecine chinoise