De la kinésithérapie à la thérapie manuelle



Tout commence à Paris après les études de kinésithérapie. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup appris mais en trois années, il est impossible de tout aborder et ce, même si les programmes sont chargés. Les stages s’effectuent à l’hôpital et en centre de rééducation. Les outils thérapeutiques enseignés sont adaptés aux pathologies lourdes dont souffrent les patients. La rééducation neurologique pour des personnes présentant une hémiplégie, une paraplégie, une tétraplégie ou une infirmité motrice cérébrale est une aide précieuse. La kinésithérapie post-opératoire après une fracture, une entorse grave ou une discopathie avec conséquences neurologiques, les prises en charge de personnes âgées ayant des troubles respiratoires ou des polypathologies et des plus jeunes atteints de troubles orthopédiques lourds comme des déformations osseuses et des scolioses évoluées sont indispensables. Elles permettent d’améliorer les conditions de récupération ou de maintien de la fonctionnalité de l’organisme des patients. En cabinet, ceux-ci n’ont pas les mêmes besoins et ces outils deviennent moins pertinents. Tout ce qui touche de près ou de loin à la pathologie fonctionnelle d’origine mécanique1 me déstabilise : la majorité des patients présentent des lombalgies, des lumbagos, des cervicalgies, des torticolis, des dorsalgies, des tendinopathies ou des entorses légères et je n’ai pas franchement de compréhension profonde concernant l’étiologie2 de ces douleurs.

J’entends parler de l’ostéopathie mais elle paraît obscure et éloignée de mes bases scientifiques acquises. Je me tourne alors vers la thérapie manuelle orthopédique qui s’appuie sur des données biomécaniques en accord avec mes postulats de l’époque. Les pertes de mobilité dans les complexes articulaires3 entraînent une augmentation de contraintes et une souffrance des tissus (schéma ci-après). Par l’analyse des déséquilibres, nous en déduisons les éléments « trop courts » et les éléments « trop longs ». Le traitement rééquilibre les tensions et les compressions, ce qui réduit les contraintes surajoutées induites, améliore les conditions de santé, et donc, à terme, les symptômes. Tout ceci est cohérent et ne froisse pas mon esprit cartésien. Nous restons dans le domaine de la macro-mobilité où les segments corporels bougent de façon visible.

Ma passion pour ce métier se faisant plus grande chaque jour, je dévore tout livre me tombant sous la main et abordant de près ou de loin le sujet. Certains concepts m’interpellent : une tension des tissus viscéraux pourrait entraîner une douleur de la colonne vertébrale. Même si certaines femmes ont des douleurs lombaires pendant leurs menstruations, cela me semble difficile à admettre. Comment un viscère, organe mou, pourrait-il déstabiliser des éléments plus durs comme les os, les ligaments et les muscles? Des séminaires dédiés à cette sphère viscérale me permettent de mieux comprendre de quoi il s’agit. Contre toute attente, la mise en pratique apporte des résultats pour la plupart probants. Parfois même, la libération du tissu viscéral réduit instantanément la perte de mobilité au niveau musculo-squelettique.

À cette époque, j’ai la conviction que seul ce que nous voyons existe et les explications que nous en avons sont des vérités absolues. Je n’ai pas encore de recul face aux limites des modèles de compréhension qui me sont enseignés. Avec le temps, je vais prendre peu à peu de la distance. Nous expliquons par des hypothèses théoriques comment fonctionnent des pratiques éprouvées cliniquement. C’est d’abord par l’observation systématisée de plusieurs patients présentant à la fois telle vertèbre « coincée » et un trouble de tel viscère que les liens ont été mis en place. Le système neurologique et mécanique étant en corrélation avec ces observations cliniques, nous les utilisons dans l’apprentissage. Ces modèles n’ont pas pour vocation de décrire la vérité. Ils sont utiles pédagogiquement et créent des points d’appui raisonnés et compréhensibles nous permettant d’apprendre plus vite dans un contexte régulé. Je relativise donc leur rôle en les plaçant dans leur fonction et m’intéresse davantage à la pratique pour me rappro- cher d’une forme de réalité perceptible.


Patrick Ghossoub

 

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La résilience tissulaire