Trahir, vous avez dit trahir...


Les mots de la trahison

Le mot « trahison » pourrait être associé à l’image d’un coup de couteau planté en plein cœur pour celui qui découvre un fait ignoré : il suffit parfois de quelques mots prononcés pour que tout bascule. Quelque chose, soudain, se déchire dans le tissu de la confiance engagée vis-à-vis d’un être, voire d’un groupe d’humains: le rideau tombe, brutalement. Viol de serment, trahison d’une parole engagée : état de stupeur, temps suspendu. Quelques mots, pour une brûlure vive. Il y a un avant, comme un goût de paradis, et un après, avec sa nostalgie. Un époux, un enfant, un père, une mère sont ressentis comme infidèles : ils ont trahi un pacte d’amour ou d’affection, ou encore un secret, ou bien un non-dit éclate en pleine lumière. La trahison touche ainsi chacun dans sa vie, à des endroits divers : elle sera subie ou nous en serons les acteurs, et nous serions aussi – idée plus dérangeante – des traîtres pour nous- mêmes, infidèles à nos propres choix, parce que tout, dans la vie, est mouvement, disent les bouddhistes... Bien des témoignages d’hommes et de femmes nous rappellent souvent ce que disent les grands textes, les grands mythes.

Une réalité digne des mythes de toujours
Les livres sacrés fondateurs, la littérature et les mythes sont pleins de ces histoires de parjures, parfois de désobéissance, de transgressions de la loi : de Romus à Rémulus, de Caïn à Abel, un frère tue un autre frère. énée abandonne Didon pour voler vers l’Italie, Phèdre tombe amoureuse de son beau-fils, comme une belle- mère s’enfuirait avec son gendre dans une histoire de faits divers. La désobéissance fait des adeptes, chez les dieux grecs et au paradis chrétien où une certaine pomme interdite attire les regards. Au xixe siècle, Emma Bovary, femme insatisfaite, rêve d’une vie de château en tombant dans les bras d’un amant cynique... La tentative d’assassinat par Thérèse Desqueyroux de son époux sera classée comme un non-lieu par la justice dans un roman de Mauriac : il faut recouvrir l’acte de trahison du sceau du secret pour préserver la réputation de la famille bourgeoise landaise. Au fond, les textes nous disent que la vie est un roman trouble où les liens construits sont souvent trahis pour de multiples raisons que nous étudierons dans cet ouvrage. Chacun d’entre nous pourrait, dans le roman de sa vie, se retrouver dans ces grands textes.

Qui dit trahison suppose rival, figure du tiers
Qui dit trahison, suppose la présence, réelle ou fantasmée d’un tiers qui détourne ; c’est ainsi que le vivra la personne qui se sent trompée, blessée, frappée dans son intériorité. Cette troisième figure du triangle sera un être humain: fuite d’un époux avec une maîtresse, d’un frère avec sa belle-sœur, d’une belle- mère avec son gendre, d’une femme mariée avec son amant. Telle Mme de Rénal abandonnée par Julien Sorel, Mathilde se souvient: «J’ai été obsédée par l’autre, celle préférée par mon compagnon, lorsque j’ai découvert, par hasard, leur liaison. Cette personne sur qui les yeux de mon conjoint se sont tournés est devenue mon ennemie intime avant que je comprenne ce qui se rejouait en moi, derrière la haine installée ». Le tiers qui détourne, au regard de celui qui subit, peut être aussi lié à un bien, ou à de l’argent : ainsi, un membre de la famille trahira un frère ou une sœur, avec ou sans la complicité de ses parents, pour une raison patrimoniale, par intérêt. Le besoin de possession sans limite, camouflant des insatisfactions, des frustrations affectives, motive cette infidélité de cœur relative à un lien sacré, celui de la fratrie.

Quand la trahison rime avec des mots qui font mal
En effet, dans les coulisses du mot « trahison », défilent des mots peu reluisants, qui font partie de l’éternelle nature humaine décrite par les grands penseurs, de l’Antiquité aux Maximes de La Rochefoucauld...

Mensonge et déloyauté
Ce sont les mots qui reviennent souvent aux lèvres de ceux qui subissent un fait de trahison : apprendre qu’une personne aimée, dans la famille ou dans la relation amoureuse, a trahi un pacte affectif, un engagement, relève de la découverte, au sens étymologique. Tout se passe comme si une couverture était ôtée, pour révéler au grand jour un fait semblable à une bombe qui éclate. Le mensonge ressemblerait à cette couverture invisible qui cache le fait du parjure. Cette révélation est alors ressentie par la personne blessée, comme un acte de déloyauté, de malhonnêteté intellectuelle. Michel témoigne : « C’est bien ce long silence qui, concrètement, relevait du mensonge que je reproche le plus à mon épouse : elle aura manqué de courage pour avouer que je n’avais plus la même place dans son cœur. »

Parjure, duplicité, double jeu
Ce sont les mots que répètent, comme pour percer un abcès douloureux, les personnes qui se sentent trahies par celui avec qui elles disent s’être engagées sentimentalement, ou pour des raisons familiales. Parallèlement au sentiment d’abandon et de perte que nous analyserons, c’est bien cette conscience d’avoir été berné par un drôle de double jeu qui dérange : comme si l’autre avait joué la comédie des apparences, en abusant de la confiance engagée, pour ébranler les fondements de l’être, par le viol d’un pacte intime ; cet accord décidé par les cœurs à un moment donné n’est donc plus respecté, malgré les apparences. Les mots de Pierre, engagé dans une thérapie, sont édifiants : « J’aurais tant aimé qu’elle me dise que notre histoire d’amour avait pris fin, j’aurais tant aimé qu’elle me dise qu’elle ne m’aimait plus, mais qu’elle ne voulait pas être fausse, vivre de façon hypocrite : cela m’aurait aidé à pardonner, à évoluer pour vivre autrement. » On songe à ce roman de Michel Butor, La modification, où le narrateur décide d’aller annoncer à sa maîtresse romaine la possibilité de la faire s’installer à Paris pour mettre fin à une situation de double jeu inacceptable, pour lui et le respect de son épouse. La modification, pour le narrateur prisonnier de ses pensées dans un train, sera finalement de ne rien changer à cette double vie, mais d’écrire un roman...

                                                                                         
Yvonne Poncet-Bonissol   

 

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Trahison dans le couple et la famille