Tout secret est-il bon à dire ?

Il est précieux de se pencher sur l’origine des mots, avant de chercher à éclairer celle des secrets de famille, qui sont enfouis sous la terre par l’un de ses membres, comme Harpagon cachait sa chère cassette au fond de son jardin, pour la dérober aux yeux des siens... Prélevons donc le mot de l’expression qui nous occupe pour l’observer tout nu : « secret » vient du latin secretus qui signifie « sans témoin, séparé », lequel est dérivé de secernere qui veut dire « rejeter, mettre à part ».


Savoir ce que « secret » veut dire...
Il est précieux de se pencher sur l’origine des mots, avant de chercher à éclairer celle des secrets de famille, qui sont enfouis sous la terre par l’un de ses membres, comme Harpagon cachait sa chère cassette au fond de son jardin, pour la dérober aux yeux des siens... Prélevons donc le mot de l’expression qui nous occupe pour l’observer tout nu : « secret » vient du latin secretus qui signifie « sans témoin, séparé », lequel est dérivé de secernere qui veut dire « rejeter, mettre à part ». Autrement dit, celui qui fait d’un événement ou d’une information un secret opère comme un prélèvement : il s’agit de mettre de côté ce que l’on considère comme ne devant pas être visible, pas être su ; cela relève alors du non-dit. Ce que l’on ne peut supporter soi-même, car intolérable, qui fait souffrir, relève du secret de famille. Garder la chose pour soi, ne pas en faire la confidence à quelqu’un à qui l’on accorderait foi, confiance, estime. Et ceci, en croyant protéger l’autre, un peu comme les médecins prêtaient serment à Delphes afin de préserver les intérêts d’une famille possédant la connaissance médicale. Dans le cas d’un non-dit, l’événement - vol, crime, folie - ou l’existence d’un être étaient parfois frappés du sceau du silence, par peur que l’honneur, la respectabilité soient entamés, en des époques où la morale était un carcan... Les petits bonshommes noirs de La Nausée sartrienne devaient faire motus et bouche cousue, pour éviter que la famille ne se voit salie aux yeux du monde... Nous verrons que l’enfant ou le petit-enfant se sentant mis à l’écart, « mis à part » de l’aveu risque de le vivre comme une blessure rouge : il pensera ne pas mériter la confiance, et perdra celle que pourrait lui inspirer le parent. Tout se passe comme s’il s’agissait donc de main- tenir le voile posé sur un événement, de le plonger dans les « eaux oublieuses » de Léthé, le mythique fleuve. Il s’agirait, si l’on poursuit l’examen de la petite enquête étymologique, d’éviter la présence d’un « témoin » relais d’un fait ou d’un événement relatif à l’histoire d’un parent, pour mettre à l’abri du jugement ou de la souffrance. « Secret », ou « séparé »... Nous verrons que ce qui est séparé, c’est la vie psychique de la personne qui vit habillée des voiles du secret, et aussi celle de l’enfant ou de la personne vis-à-vis desquels il n’est pas com- muniqué. Le psychanalyste Serge Tisseron évoque, dans Secrets de famille, mode d’emploi, ces clivages : « En effet, lorsqu’il existe dans une famille un porteur de secret, ce n’est pas seulement lui qui est «divisé». Tous les autres membres de la famille sont amenés, sous l’effet des com- munications tordues qu’il leur impose, à se couper en deux à leur tour. »

Faire silence : le prix à payer pour une intériorité, une liberté de penser, une intimité
Pourtant, si non-dits et secrets de famille peuvent peser lourd, gageons que tout n’est pas voué à l’absolue trans- parence, et notamment ce qui concerne la vie du couple.

Un jardin secret en soi : cultiver son intériorité et une pensée propre
L’invitation à se retirer dans « l’arrière-boutique » proposée par ce ringard Montaigne1, au temps des humanistes, reste d’actualité et de façon cruciale : notre époque a organisé la messe quotidienne très vendeuse du grand déballage de l’intime et de l’émotion bon marché de monsieur et madame Tout-le-monde... Chacun est invité à mettre son âme à poil, à exhiber son petit moi dans tous ses états, pour les chasseurs et voyeurs d’images, devant le grand écran qui donne en spectacle les misères ordinaires des « vraies gens ». A croquer sans modération, pour s’en repaître au kilo, et jusqu’à l’écœurement : cela se vend si bien et cela donne tant l’impression d’exister, d’être remarqué... Souvenons-nous de l’ouvrage La société du spectacle de Guy Debord, qui rappelle que l’image est plus prisée que la chose en elle-même. Le spectacle des passions ordinaires est de mise, l’exhibition des affaires de la vie intime est jugée naturelle et prescrite comme un médicament sans ordonnance : plus question de se réserver, la pudeur est un mot puritain bon pour les frustrés et les rigides... Il convient donc, dans ce contexte posé, d’affirmer que le secret a droit de cité, et que nous ne sommes pas obligés d’être des spectateurs voyeurs du loft télévisé à perpétuité, si nous voulons préserver notre intériorité profonde. Il importe donc de se protéger des caméras qui visent à la sacro-sainte transparence, si nous ne voulons pas être dépouillés de notre être singulier. Cesser de vouloir échapper à soi, y faire face, malgré les grands vents de la vie, pour être une personne qui non seulement cultive son intériorité, mais est aussi capable de penser, et donc d’être un sujet responsable. Un sujet tout court. Remettons Montaigne à la mode : cultivons le secret de la méditation et de la réflexion dans le retrait, loin du monde exhibitionniste et tapageur. Choisissons les pensées que nous voulons communiquer et celles que nous souhaitons mettre en retrait, pour cultiver notre différence. C’est à ce prix que nous développerons une pensée propre, et donc une liberté de jugement.

Une alcôve intime pour deux à l’abri des regards...
S’il est bien un secret, qui fait partie des secrets de famille à cacheter de cire, c’est celui de la vie intime, dans le couple. Non, la scène inaugurale où papa fait l’amour à maman n’est pas à jeter en pâture aux enfants, en guise d’éducation sexuelle dans la famille. Mots d’humour, qui veulent dire qu’une intimité ne se chante pas sous tous les toits, et qu’à l’heure des démonstrations des people qui n’ont plus de secrets pour nous, il est bon de réserver nos ébats. On se souvient du récit intense
 

Yvonne Poncet-Bonnissol

 

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