Temps de houle et de grand vent sur le navire “Night “ familial...

Du haut du phare, temps de tempête annoncé, temps de changement, temps de « crise » : « Adolescence en vue ! » crie le capitaine, à savoir le parent, dirigeant le navire familial sur des eaux qui s’agitent, en s’accrochant au gouvernail... Soudain, cela craque, les vagues et le grand vent font tanguer fort la petite famille sur les flots : l’enfant vous regarde avec d’autres yeux, du haut de son corps qui se transforme, ses goûts s’affirment, sa parole dit autre chose que la vôtre, ses émotions sont à fleur de peau.



Du haut du phare, temps de tempête annoncé, temps de changement, temps de « crise » : « Adolescence en vue ! » crie le capitaine, à savoir le parent, dirigeant le navire familial sur des eaux qui s’agitent, en s’accrochant au gouvernail... Soudain, cela craque, les vagues et le grand vent font tanguer fort la petite famille sur les flots : l’enfant vous regarde avec d’autres yeux, du haut de son corps qui se transforme, ses goûts s’affirment, sa parole dit autre chose que la vôtre, ses émotions sont à fleur de peau.

Parfois, il se pose en adversaire, parle haut et fort, sait tout mieux que tout le monde, joue les redresseurs de torts, ou encore affiche la mine du grand silencieux, indifférent, derrière son hublot. Ou bien il ne fait que passer, comme Belphégor, rasant les murs de la maison, se faufilant très vite hors de la cuisine. Parfois, il conserve son attitude un peu suspecte de « premier de la classe ».

Vous qui étiez un repère, un réconfort en paroles et en baisers tendres, vous êtes soudain passé de mode, vous n’êtes plus à la page, vous êtes has been. Le capitaine n’est plus ce qu’il était. Cela commence parfois tôt, avec ces « adonaissants » fleurissant comme des crocus, dans un contexte général trop stimulant. « Que sont mes parents devenus ? » semble marmonner l’adolescent, la bouche amère ou sarcastique, comme un Villon qui donnerait la main à Vian... Il faut dire que, après le raz de marée de la fin des années soixante, le temps des comportements parentaux rigides, de l’autoritarisme à la hussarde, est révolu : aussi, désorientées, des générations de parents ont parfois confondu permissivité et respect de l’être à considérer comme une personne que l’on doit accompagner mais qui a besoin d’un cadre, de règles, ces socles pour se construire. Sinon, l’angoisse naît, se développe et explose comme un geyser à l’adolescence, âge où il s’agit de vérifier la solidité de cette terre première, en l’éprouvant.

Au fond, dans l’enfance, et plus tard, l’autorité juste sera celle qui passe par l’exemple d’une vie en accord avec les valeurs transmises : quand le lien parental est en bonne santé, la crise débouchera d’autant moins sur des révoltes dures si ces racines, les règles posées, sont profondes, et reposent sur des convictions authentiques, des comportements justes et non préfabriqués. Le jeune, autour de 12 ou 13 ans, met parfois l’autorité au placard : les clones d’Antigone contestent le pouvoir, décident de désobéir à Créon, le maître de la cité. Il remet donc en question le monde de son enfance, de façon active ou passive, parfois masquée : en fait, le jeune interroge les premiers adultes de sa vie, ses cadres, pour tenter de s’envoler, de s’émanciper. Cette période de changement sonnera l’heure d’un réveil, et sera à la mesure de ce qui s’est joué durant l’enfance.

Cela ressemble à une expérience de chimie : il s’agit de transformer son état d’enfant en état d’adulte, en se décrochant du milieu familial. L’adolescent est en chantier, il engage un travail sur lui-même. Rien d’alarmant dans tout cela : il ne faut pas confondre crise (changement qui passe parfois par des « révoltes » passives ou actives non maladives) et pathologies lourdes, s’exprimant par plusieurs symptômes qui se répètent et durent, persistent et signent. Disons, sans jeter la pierre, que cela relève alors d’une problématique familiale : le jeune ne vit pas comme un électron libre, mais dans un groupe où la santé psychique familiale est son « bouillon de culture ». Ces changements doivent être pris en considération par la famille, éternel soutien de celui qui veut s’en émanciper, mais en a besoin – telle est l’adolescence, âge du « soleil noir », de l’oxymore, c’est-à-dire du paradoxe : vouloir le blanc et son contraire.
Mon fils, ma fille, soudain étrangers, parfois « ennemis intimes »

Vous ne le reconnaissez plus, cet « attrape-cœurs », il est soudain étrange et comme étranger, ce post-enfant devenant grand qui s’enferme dans sa chambre comme dans un temple sacré et imprenable, où des images nouvelles sont placardées contre les murs : vedettes de cinéma, sportifs de haut niveau, chanteurs, mais aussi créatures virtuelles. Le monde des people étale ses modèles : la société offre l’illusion que chacun peut accéder au statut de vedette ou d’artiste, fait croire que tout a la même valeur. Remettre les pendules à l’heure s’avère donc nécessaire. Écrans, téléphones portables, nouveaux joujoux à double tranchant du high-tech deviennent, quant à eux, des outils de communication très prisés. Nous réfléchirons sur leurs dangers et l’encadrement dont ils doivent faire l’objet. Enfin, rien n’est plus incontestable que les nouveaux maîtres à penser : les « copains d’abord », chers à Brassens. Il faut leur ressembler, être comme eux.

Ce qui se joue, dans tout cela : un désir d’autonomie profond, qui appelle en même temps qu’il effraie. Voici venu le temps où « prendre un enfant par la main » n’est plus qu’un souvenir. C’est une véritable épreuve, nous le verrons, pour les parents, renvoyés à eux-mêmes, en tant qu’individus, et parfois désemparés. Leur adolescent leur tend aussi le miroir de ce qu’est leur couple, en teste la solidité : en s’affranchissant, il les oblige eux-mêmes, sans le vouloir, à faire une sorte de bilan. La crise traversée par l’enfant qui grandit, si elle se prolonge ou se transforme en état dépressif latent ou explicite, doit donc engager les parents à s’interroger sur eux-mêmes.

Ce changement intérieur peut s’exprimer à travers différentes postures : grand solitaire romantique retranché, songeur quasi indifférent s’isolant, grand révolté brandissant un « non » systématique comme un étendard, ombre qui apparaît juste au moment de se coucher ou de s’alimenter... Notons enfin que certains demeurent égaux à eux-mêmes. Quelles qu’en soient les formes, on évitera de dénoncer ces comportements, en se dégageant du « tu » accusateur d’un père fouettard, en préférant responsabiliser le jeune : lui parler de ce qui dérange son entourage, si ses attitudes sont trop négatives ou irrespectueuses. Expliquer que le respect est une question de réciprocité, qu’il n’y a pas de droit sans obligation...
 

Yvonne Poncet-Bonissol

 

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