Ne plus se laisser manipuler

Dans nos relations amoureuses ou amicales, au travail, chez le commerçant... nous sommes manipulés en permanence (et nous manipulons tous aussi un petit peu, avouons-le !). C’est un fait. Depuis quelques années, c’est aussi un sujet à la mode. Livres, magazines de presse féminine ou de management, sites de coachs et autres gourous de la communication... tous essaient de décrypter ce phénomène. Pourquoi aujourd’hui parle-t-on de plus en plus de la manipulation (et des pervers narcissiques) ? La manipulation serait-elle le fléau de nos sociétés modernes ? Ce qui est sûr, c’est que, si elle a toujours existé, elle bénéficie aujourd’hui d’un terrain propice à son expansion. Celui-ci résulte de plusieurs facteurs :


• La perte de l’autorité. C’est notamment le cas dans la famille. L’autorité paternelle traditionnelle a fait long feu. L’autorité parentale est devenue presque taboue et la question de la punition, voire de la fessée, de plus en plus suspecte (pour être peut-être un jour interdite par la loi ?). Les parents sont avides de conseils et de stratégies éducatives pour obtenir, sans s’épuiser physiquement et moralement, ce qu’ils désirent de leurs enfants. Autrefois, on ordonnait ; aujourd’hui, on manipule. On développe des stra- tégies éducatives et pédagogiques pour ne plus avoir à faire preuve d’autorité. La manipulation éducative devient la condition sine qua non pour collaborer et non plus se faire obéir ! À la répétition continue des mêmes consignes (« Lave-toi les dents », « Va te coucher »...) se sont substituées des stratégies plus subtiles (« Est-ce que tu veux te coucher à 19 h 30 ou à 20 h ? »). Le chantage classique (« Si tu es sage, tu pourras regarder la télévision »), lui, a été remplacé par des paroles plus ambiguës (« Es-tu capable de montrer autant de gentillesse qu’hier soir ? Cela te permettrait de regarder la télévision »). Quant aux menaces (« Si tu ne finis pas ton assiette, tu seras privé de dessert »), elles se sont transformées en insinuations moins agressives et moins directes (« Le dessert se gagne après avoir passé l’étape du plat principal »). Entre autres stratégies manipulatoires !

Dans l’univers du travail aussi, l’autorité est souvent vécue comme une entrave à la liberté d’autrui. Pourtant, il existe une hiérarchie qui doit exercer sa fonction d’autorité. C’est face à ce dilemme que s’est développée une kyrielle de stratégies managé- riales qui déguisent les injonctions et les ordres en propositions collaboratives. Qu’est-ce donc sinon de la manipulation ?

Ce mouvement « d’évitement » de l’autorité se retrouve également dans la gouvernance politique qui, sous un régime démocratique, a le devoir de respecter l’avis populaire majoritaire mais, pour autant, doit aussi imposer des lois impopulaires pour réfor- mer. Machiavel n’est pas très loin. Son livre Le Prince doit sans doute faire partie des indispensables dans les écoles en sciences politiques...

• La compétition croissante et omniprésente dans tous les domaines de la vie. La compétition exacerbée pour la réussite sociale, tant professionnelle que familiale et même de couple, impose des règles émergentes que l’on doit suivre. Pour y faire face, des stratégies inédites de conquête de la réussite voient le jour. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être bon pour réussir. Il faut paraître. Il faut être meilleur que l’autre coûte que coûte. Pour y parvenir, il faut assujettir l’autre, le manipuler pour obtenir ce que l’on veut de lui, quitte à le nier pour parvenir à ses fins.

• L’individualisation de la société. L’image sociale de chaque individu est devenue prépondérante : chacun se doit de défendre et d’imposer avant tout son image. Comme Narcisse tombe amoureux de sa représentation dans l’eau de la rivière, les nouveaux codes sociétaux imposent un culte de l’image individuelle dans lesquels beaucoup, à l’instar de Narcisse, peuvent se noyer. C’est là le cœur de la question pour le pervers nar- cissique, pathologie emblématique et représentative de ces nouvelles émergences sociétales. Toutes ces contraintes mul- tiplient les pathologies liées au narcissisme. D’innombrables stratégies manipulatoires se développent pour faire exister cette fameuse image de soi qui ne reste, au final, qu’une image spéculaire dépendante de ce que renvoie le miroir social. Les contraintes sociétales fonctionnent sur le mode du miroir mais il s’agit d’un miroir déformant. Elles renvoient une image qui n’est pas toujours en harmonie avec ses propres valeurs mais qui deviennent des lois. Autrefois, l’individu était envisagé dans son ensemble, il se définissait par son appartenance au groupe : il était avant tout le membre d’une famille. La pression sur son individualité était beaucoup moins grande car il était d’abord membre d’un groupe d’appartenance. Autrefois, on parlait de ménage ; aujourd’hui, il faut être performant pour faire exister son « couple ». On ne se posait pas de questions sur la parentalité. L’éducation était conçue comme un tout, et envisagée dans le cadre de la famille. Aujourd’hui, alors que l’isolement social augmente, l’individu se retrouve seul face à lui-même et se doit d’assurer dans tous les domaines de sa vie. La pression sociale est énorme : il faut être un bon parent, un bon amant, réussir sa vie professionnelle... et tout cela en même temps. Chaque fonction est surinvestie et on doit être parfait partout. L’individu, pour s’adapter ou pour défendre son image sociale, prend alors les atours du manipulateur afin de combler une représentation sociale qui peut parfois être défaillante. Ou alors, il devient une cible parfaite pour un manipulateur patenté, plein de promesses illusoires : « Tu dois être comme ci », « Tu dois faire comme cela »...

Cet ouvrage vise à vous faire prendre conscience que, si la manipulation est un mode de communication ordinaire dans nos sociétés, elle ne doit pas pour autant être acceptée comme telle. Poussée à l’extrême, elle peut en effet arriver à étouffer certains individus, au point d’annihiler leur identité propre. Repérer les petites manipulations ordinaires est la première étape pour réussir à déjouer les stratégies de plus grande ampleur.

• Dans la première partie, nous verrons que la manipulation est omniprésente dans la société, que ce soit dans la sphère professionnelle ou privée, notamment dans la vie amoureuse. Dans tous les cas, les stratégies mises en œuvre par les manipulateurs sont les mêmes. Même si les buts du manipulateur sont différents, le scénario est souvent identique, organisé en plusieurs phases successives. Autant d’informations nécessaires pour repérer et comprendre ce qui se joue dans certaines de nos relations, afin de réussir à mieux s’en prémunir.

• Dans la deuxième partie, nous brosserons, en parallèle, les portraits du manipulateur et du manipulé. Surtout, nous verrons que l’idée de distinguer d’une part le méchant manipulateur et d’autre part sa pauvre victime est un peu simpliste et ne reflète pas vraiment la complexité de la situation. Prendre conscience qu’il existe en chaque victime une certaine part de complicité, même inconsciente, est essentiel pour reprendre la situation en main.

• Dans la troisième partie, nous vous donnerons quelques clés pour dire stop à la manipulation, pour vous sortir de l’emprise avant que celle-ci ne fasse trop de dégâts.

Cette démarche passe par un certain nombre de techniques et d’exercices autour de l’assertivité, de l’affirmation de soi et de la communication écologiquement responsable, respectueuse de soi et des autres.

Antoine Spath

 

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