Estime de soi : les besoins des enfants de 3 à 6 ans

                                                                                                                  Pour être en mesure d’aider les enfants de 3 à 6 ans à développer une bonne estime de soi, il importe de connaître leurs besoins, de même que les défis qu’ils doivent relever durant cette période de la vie.
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Pour être en mesure d’aider les enfants de 3 à 6 ans à développer une bonne estime de soi, il importe de connaître leurs besoins, de même que les défis qu’ils doivent relever durant cette période de la vie.

De façon générale, on peut dire que l’enfant de 3 à 6 ans passe de l’affirmation à l’âge de l’imaginaire *. Au cours des mois précédents, il a d’abord appris à s’affirmer en s’opposant ainsi qu’en faisant de petits choix personnels, ce qui lui a permis de prendre une certaine distance par rapport aux adultes. Cela l’a amené à être plus volontaire et un peu plus autonome. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur cette autonomie naissante qu’il peut passer maintenant à l’âge de l’imaginaire.

Cette période préscolaire se caractérise par un foisonnement de nouvelles activités qui sont dorénavant possibles étant donné que l’enfant possède une plus grande maîtrise de son imagerie mentale. En effet, il est capable, vu son développement intellectuel et sa plus grande maturité affective, d’une représentation mentale plus évoluée ; cela lui permet de faire des liens entre les choses, d’exprimer ses propres besoins et désirs ainsi que de résoudre certains conflits conscients ou inconscients. Il a le sentiment, grâce à une meilleure représentation mentale qui nourrit dorénavant son monde imaginaire, de prendre possession des choses qu’il imagine et, ayant le pouvoir de les conserver mentalement, d’exercer un contrôle sur elles. Ce monde imaginaire devient très important, parfois même envahissant, et on observe chez l’enfant une prédominance de la subjectivité sur l’objectivité. Ce qui explique en grande partie l’intérêt qu’il porte aux comptines et aux histoires.
Raffolant de rituels et de formules magiques qui lui procurent autant de plaisir que d’angoisse, il découvre le pouvoir des images mentales. Doté d’une imagination débordante, il tente d’apprivoiser le monde par des jeux symboliques tout en apprenant à faire de nouveaux apprentissages. Son jugement devient graduellement plus nuancé et plus ouvert aux opinions des autres ; cela se manifeste au fur et à mesure qu’il noue des relations avec des adultes et de petits camarades qu’il admire et auxquels il s’identifie.

Le rôle des adultes significatifs
Entre 3 et 6 ans, la pensée magique amène l’enfant à considérer les adultes de son entourage comme de véritables héros. Il leur attribue un pouvoir absolu et il considère que leurs gestes et leurs paroles ont force de loi : « Mon éducatrice l’a dit, bon ! » Cette pensée hétéronome se manifeste par rapport à toutes les figures d’autorité : direction d’école, policier, pompier, etc. On constate que les paroles et les attitudes de l’adulte à son égard influencent grandement son estime de soi. Ainsi, quand son éducatrice le félicite et l’encourage, l’enfant a une bien meilleure opinion de lui-même. Le contraire est tout aussi vrai. Des propos humiliants ou des sarcasmes peuvent anéantir son image de soi. Le pouvoir qu’a l’éducatrice est immense et on comprend bien qu’il ne doit être
utilisé que pour souligner les forces de l’enfant. L’éducatrice joue également un rôle central pour guider le tout-petit vers une perception plus objective de la réalité. Tout en évitant de le ridiculiser lorsqu’il transforme la réalité avec ses fabulations et ses exagérations, elle peut souligner l’originalité de ses images et de ses idées et lui rappeler, mais sans le blâmer, la réalité objective. Ainsi, l’enfant apprend que l’imaginaire est un monde valorisé auquel il lui est tout à fait permis d’accéder, mais que la réalité est différente. L’enfant se sent alors respecté dans ses activités mentales, créatrices et intellectuelles, et il prend conscience en même temps du caractère inéluctable du réel.

La période qui s’échelonne de 3 à 6 ans est celle des tentatives de séduction par lesquelles l’enfant cherche principalement à séduire l’adulte de sexe opposé. Nous sommes ici en plein conflit oedipien, en pleine découverte de l’identité sexuelle. Il est donc très important que l’éducatrice reconnaisse les tentatives de séduction, qu’elle les accepte et qu’elle souligne au petit garçon qu’il est aimable et charmant, mais qu’elle l’aime comme un petit garçon et non pas comme un amoureux. Une telle attitude rassure l’enfant sur sa capacité de séduction et augmente son estime de soi. La petite fille de cet âge cherche à imiter son éducatrice comme modèle d’identification et d’initiation au monde féminin. Aussi l’éducatrice doit-elle l’encourager et valoriser ses tentatives d’identification. Cette attitude confirme la petite fille dans sa valeur.

Il est tout à fait normal que l’enfant de cet âge cherche parfois à manipuler l’adulte pour obtenir des satisfactions immédiates. On doit reconnaître ces tentatives de manipulation et ne pas les juger mauvaises ou répréhensibles. En effet, l’éducatrice doit même accepter qu’il y ait une certaine forme de manipulation, mais ne jamais avoir l’impression de perdre le contrôle de la situation. Une attitude de souplesse mêlée de fermeté rassure l’enfant sur sa capacité d’avoir un certain pouvoir sur l’adulte. Cela n’empêche pas qu’il faut être absolument ferme à certains moments sur des valeurs ou des règles de premier plan. C’est de cette façon, grâce à une éducation basée sur la cohérence, la stabilité, la fermeté et la souplesse, que l’enfant fera le passage du principe de plaisir au principe de réalité.

Il importe de s’attarder un moment sur la question du langage des enfants. À l’âge de l’imaginaire, ceux-ci, en règle générale, ont un langage bien développé. Par contre, quelque 15 % d’entre eux éprouvent des difficultés d’articulation et d’expression. Malgré ces difficultés, ces derniers cherchent naturellement à s’exprimer et à se faire comprendre et il faut prendre le temps de les écouter réellement. Dans le cas contraire, ils peuvent facilement se sentir dévalorisés.

Au cours de cette période de vie, les enfants développent, à partir d’une curiosité d’abord sexuelle, un vif intérêt intellectuel qui les amène bientôt à s’interroger sur la nature des choses, sur les phénomènes et leurs fonctions. C’est l’âge des « pourquoi ? ». Le fait de répondre à ses questions inlassables démontre à l’enfant qu’on accorde de l’importance à ses interrogations et que la curiosité
et les apprentissages spontanés sont permis et même valorisés. 

Une éducatrice a souvent la charge de tout un groupe d’enfants du même âge et elle peut difficilement entretenir des rapports individuels continus avec chacun. Il n’en demeure pas moins que chaque enfant a besoin de vivre une relation individualisée avec son éducatrice. Mais cela ne signifie pas qu’il faille accorder une attention exclusive à chaque enfant. Cela veut dire plutôt que l’éducatrice doit faire naître chez tout enfant le sentiment qu’il est important à ses yeux — même s’il est membre d’un groupe — et qu’il a un statut privilégié du fait qu’il est unique. Cette relation individualisée se manifeste de plusieurs façons et à plusieurs moments : quand l’éducatrice sourit à l’enfant, quand elle lui met la main sur l’épaule ou quand elle lui caresse les cheveux. Quand l’éducatrice lui sourit,
l’enfant se dit : « Elle n’a souri qu’à moi, je suis donc important pour elle ». Ces gestes et ces paroles simples, qui s’adressent directement à l’enfant, augmentent le sentiment de sa valeur personnelle.

L’importance des petits camarades
L’égocentrisme de l’enfant de cet âge est tout à fait normal. Son développement intellectuel ne lui permet pas encore de différencier son point de vue de ceux des autres. Il est centré sur un seul point de vue, le sien, et il est tellement occupé par ses propres besoins et désirs immédiats qu’il ne peut pas considérer comme vraiment importants ceux des adultes et de ses camarades.

Les enfants de cet âge ne coopèrent pas vraiment ; ils font surtout des coopérations. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer deux enfants de 4 ans dans un carré de sable. On constate qu’ils jouent l’un à côté de l’autre, de façon parallèle, mais pas ensemble. C’est chacun pour soi. On ne peut donc pas faire vivre à ces tout-petits de véritables activités de coopération. Celles-ci demandent, en effet, qu’on se décentre de soi et qu’on puisse faire cohabiter nos désirs et nos idées avec ceux des autres dans la poursuite d’un projet commun.

Toutefois, cette période est celle où se produisent de nombreux apprentissages d’habiletés prosociales qui préparent la socialisation. Dans sa recherche d’identification ou d’identité personnelle, l’enfant a tendance à imiter et à se conformer aux comportements de la personne qu’il admire, qu’il s’agisse d’un adulte ou d’un autre enfant. Un autre enfant peut effectivement lui servir de modèle. De façon plus précise, l’enfant a besoin d’entretenir des relations privilégiées avec au moins un ami. Il s’identifie à ce dernier, il intériorise peu à peu ses traits de caractère, y compris ses limites, et il construit progressivement sa propre image de soi.

L’éducatrice joue un rôle central dans l’apprentissage des habiletés prosociales en favorisant régulièrement des activités nécessitant la communication et la collaboration entre les enfants. Dans cette perspective, il est important qu’elle arrête fermement les comportements destructeurs, hostiles ou antisociaux et qu’elle aide régulièrement l’enfant à se décentrer peu à peu de son point de vue pour tenir compte de la présence de l’autre. Pour y arriver, des activités de partage doivent être planifiées ainsi que des projets collectifs. De plus, l’éducatrice doit montrer au tout-petit à communiquer et, en particulier, lui apprendre à écouter.

Écouter, doit-elle expliquer, c’est regarder l’autre quand il parle, observer son comportement non verbal, décoder le sens de ses paroles et poser des questions quand on n’a pas compris. Il importe aussi qu’elle lui enseigne comment s’exprimer clairement, c’est-à-dire comment mettre des mots sur ses idées, ses besoins et ses sentiments.

Dans les microsociétés que sont les groupes d’enfants, les conflits relationnels sont inévitables. Il faut donc faire apprendre des stratégies de résolution de conflits qui ne font ni gagnant ni perdant. À cet effet, l’éducatrice doit expliquer des façons acceptables d’exprimer besoins et sentiments ; elle doit aussi montrer comment négocier et comment partager. Le respect de soi et de l’autre est une valeur fondamentale que l’éducatrice doit transmettre par ses attitudes et ses moyens éducatifs. Ce n’est qu’au terme d’un long apprentissage que l’enfant pourra intégrer cette valeur et, par voie de conséquence, faire éclater son égocentrisme au profit d’une conscience sociale.

Au sujet des apprentissages
L’âge de l’imaginaire se caractérise par une grande évolution des capacités intellectuelles. En effet, la représentation mentale et les opérations intellectuelles qui s’acquièrent durant cette période deviennent de puissants instruments d’apprentissage. L’enfant a dorénavant accès à un nouveau monde de connaissances, à tout un domaine symbolique et intellectuel qui dépasse les réalités concrètes et immédiates. Il est maintenant capable de se représenter mentalement les choses et les événements, et d’agir par la pensée pour les comprendre tout en développant graduellement son jugement personnel.

Un nouveau monde d’apprentissages s’ouvre à l’enfant et celui-ci y accède surtout par le jeu. Les jeux purement moteurs (courir, grimper, sauter, etc.), les jeux symboliques (représenter un objet ou une personne par autre chose, faire semblant de..., etc.), les jeux de construction (casse-tête, encastrement, LEGO®, etc.) et les jeux de règles (jeux éducatifs et de socialisation avec procédures et règles) jalonnent son développement. À l’âge de l’imaginaire, ils permettent de réaliser une multitude d’apprentissages et d’acquérir de nouvelles habiletés et connaissances.

Il faut recourir aux activités ludiques pour développer la fierté des enfants et favoriser leur estime de soi. C’est ainsi que l’éducatrice a pour tâche primordiale de donner des feed-back positifs réguliers aux enfants : à tous ceux qui parviennent à de nouvelles habiletés motrices ou physiques, à ceux qui font preuve d’imagination dans leurs jeux symboliques, à ceux qui manifestent de la créativité
ou de l’ingéniosité dans leurs constructions et à ceux qui comprennent et exécutent bien les consignes dans les jeux éducatifs. De façon complémentaire, mais nécessaire, il faut réactiver souvent, par la parole ou par le recours à des procédés comme la photographie ou le dessin, les petits succès que les enfants vivent au cours des activités. C’est de cette façon qu’ils peuvent garder en mémoire le souvenir de leurs succès ou acquérir la conscience de leur valeur personnelle.

Les motivations et le rythme de développement propres à chaque enfant doivent absolument être respectés. Il faut éviter le piège des apprentissages trop précoces ; ceux-ci n’ont rien à voir avec les besoins réels des tout-petits et ne sont souvent qu’une réponse au narcissisme et au besoin de fierté des adultes. En imposant des programmes d’apprentissage trop précoces, on brusque les rythmes
développementaux des enfants tout en leur faisant vivre un stress indu. On tue le plaisir d’apprendre, on suscite une rigidité intellectuelle et on réduit la créativité en bloquant la vie imaginaire.

Si on accorde trop d’importance aux objectifs pédagogiques, on fait savoir en quelque sorte à l’enfant qu’on l’apprécie surtout pour ce qu’il fait et non pas pour ce qu’il est. Pour favoriser son estime de soi, il faut s’attacher surtout à sa démarche ou à son processus d’apprentissage plutôt qu’au résultat atteint. Ainsi, quand un enfant n’obtient pas le résultat prévu, on doit prendre le temps de lui expliquer que ce n’est pas lui comme personne qui est en cause, mais les moyens et les stratégies qu’il a utilisés. En accordant le droit à l’erreur, on se place en position de dédramatiser les situations et de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un échec personnel.

Les enfants de l’âge de l’imaginaire, de la période qui s’étend de 3 à 6 ans, doivent apprendre à se comporter comme de véritables apprentis sages. On doit les amener à être de petits expérimentateurs qui acceptent de faire des erreurs et qui s’appuient sur elles pour développer d’autres moyens de réussir. Par cette approche, on les aide à acquérir une régulation et une souplesse de la pensée. Ce n’est pas une tâche facile, car la majorité des enfants de moins 5 ans manifeste souvent une forte rigidité intellectuelle. En effet, ils ont peine à concevoir qu’ils ont commis une erreur et sont convaincus de toujours utiliser le bon moyen. La pensée égocentrique de l’enfant de cet âge l’empêche souvent de modifier, d’ajuster ou de corriger ses moyens et ses actions. Il est d’autant plus important de refléter à l’enfant la réalité objective, sans le blâmer et le déprécier, mais en préservant son amour-propre et sa fierté. On favorise également l’estime de soi du tout-petit quand on l’encourage à être autonome et quand, par exemple, on lui fait faire le choix de certains moyens ou de certaines activités tout en lui confiant des responsabilités à sa mesure. En soutenant l’enfant dans sa créativité et dans ses initiatives personnelles, dans ce qu’il « ose faire » et dans ce qu’il « ose dire », on lui fait acquérir beaucoup de confiance et on fait éclater certaines de ses inhibitions. Entre 3 et 6 ans, les tout-petits disposent d’un riche imaginaire qu’il ne faut pas inhiber par l’obsession de la performance, par des règles d’apprentissage prédéterminées et imposées ainsi que par des résultats « attendus ». L’imaginaire de l’enfant doit pouvoir s’exprimer. Mais l’enfant doit aussi être amené à distinguer l’imaginaire du réel.

 

 

Germain Duclos

 


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Quand les tout petits apprennent a s'estimer