Condamné à trahir par de petits arrangements avec soi-même ?



Vivre, ce serait aussi se trahir soi-même


Vivre, ce serait donc se trahir par nécessité et, parfois, malgré soi : il suffit d’observer une journée de notre existence pour constater que répondre aux différents engagements de notre quotidien nous condamne à être infidèles à nous-mêmes. Cet homme, investi professionnellement en tant que manager n’est plus le même, le soir venu, quand il s’adonne à la passion du chant lyrique. Quand il joue avec ses enfants et les accompagne dans leur scolarité, c’est encore un autre homme. « Je est un autre », disait le poète Rimbaud... Plusieurs facettes, donc, pour une seule identité, comme des pièces de puzzle à assembler pour que la silhouette se dessine. « J’ai, depuis la trahison de mon frère parti avec mon épouse, beaucoup réfléchi à la question : j’ai pardonné cet acte qui m’a brûlé le cœur pour pouvoir trouver l’apaisement ; j’ai aussi compris, bien plus tard, que vivre, c’est trahir en permanence, parce que tout évolue, y compris soi-même. » Nous constatons bien, tôt ou tard, l’éternel retour des choses... Nous serions donc engagés à nous maintenir en mouvement pour rester vivants, en évolution. La nature nous offre d’ailleurs une belle leçon : observer un arbre fruitier nous montre que les trahisons, qui passent par des étapes de mutations, sont une manière de célébrer la vie. Nous serions pourtant fidèles à nous-mêmes, par l’éternel retour des fleurs et des fruits, après être devenus, à chaque transformation, un peu morts pour nous- mêmes, afin de mieux renaître...

Un corps en mouvement
Notre corps est à l’image de nos trahisons obligées : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte impriment leurs marques ; notre apparence évolue, en nous faisant déposer les vieilles peaux au vestiaire, une à une. Tout se transforme : l’impermanence et le mouvement étudiés par les philosophes de l’Antiquité et des sages chinois nous condamneraient donc à nous trahir nous-mêmes : c’est la vie qui nous embarque, malgré nous, dans ce voyage des métamorphoses. Pourtant, quand l’apparence qui change est trop éloignée de soi, cela signifie, tout simplement, que nous nous trahissons nous-mêmes en nous rejetant. Dans la quête effrénée du regard de l’autre, nous finissons par nous oublier. La solution : se recentrer sur ses émotions, renouer avec sa sensorialité, permettre de mettre un terme à cette quête éparpillée et immature du regard de l’autre.

Remettre en cause des engagements humains et affectifs
Au fond, il en va parfois de même pour nos engagements humains et affectifs, pour deux raisons. L’adolescent est, par excellence, le sujet même de multiples trahisons: être en projet, se construire, c’est d’abord se chercher, tâtonner, tester, jouer avec la limite. Par ailleurs, l’adulte qui aura – sans le savoir – compensé des ratages affectifs par des choix amoureux de réparation sera amené à renier ses choix premiers.

Voici ce qu’en dit Annabelle : « J’ai joué le rôle d’une mère réparatrice pour mon époux qui a fini par me quitter. Après des années de travail sur moi-même, j’ai compris, en reconstruisant son passé, qu’il avait été amené à me quitter parce qu’il n’avait plus besoin de béquille. Il était devenu prêt à aimer quelqu’un d’autre. J’ai évidemment compris pourquoi ce rôle m’avait arrangée. »

De même, notre mûrissement intérieur, fruit de nos expériences, de nos échecs, de nos rencontres, nous engage à changer intérieurement, à développer de nouveaux projets et désirs que nous n’aurions pas pu envisager, parfois, plus tôt. Un temps pour « la chair, l’esprit, le cœur », disait Pascal, le génial auteur des Pensées et inventeur de la calculette... Il faut donc aller au bout d’une histoire avec nous-mêmes, professionnellement ou humainement, pour qu’une autre fleur pousse dans notre terre. Entre trahison et évolution, il n’y aurait donc qu’un pas nécessaire pour rester vivant. Parfois, des intérêts mesquins et matériels – appât du pouvoir, de l’argent – poussent pourtant un être à se renier, tel Judas reniant Jésus... Histoire de petits arrangements avec soi-même... Pourtant, la trahison relève parfois de l’évolution de soi-même, dès lors qu’on perd d’anciennes peaux ou d’anciens modes de fonctionnement, sans plus d’utilité.

                                                                                         
Yvonne Poncet-Bonissol   

 

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Trahison dans le couple et la famille

 


Violer un serment relevant du sacré

Voyager dans l’origine des mots pour comprendre
Faisons un petit voyage dans la terre d’origine des mots, pour comprendre ce qui se joue, en profondeur. Se pencher sur le mot « sacré » nous donne des informations précieuses: c’est un dérivé du nom «sacrement», venant du latin sacramentum qui signifie « serment ». Aussi, rompre ce lien par lequel on s’engage à respecter un accord revient à casser la relation qui unit ceux qui y sont impliqués. Trahir, c’est donc désinvestir le lien, au sens de couper la corde qui relie à l’autre : le mot « relier » a pour origine religare, ou ce qui relie, au sens religieux. La trahison relève donc, symboliquement du sacré.

Ne plus remplir son devoir...
Le latin nous donne bien des pistes pour comprendre que derrière le parjure, ce qui se joue relève du symbolique : c’est le cas, par exemple, de la relation qui unit les membres d’une famille partageant un patrimoine génétique. Le serment n’est autre que cette promesse solennelle, qui est un acte en soi, puisque promettre par les mots, c’est déjà faire, se lier, solennellement : s’engager à bien remplir ses devoirs. Enfin, pour finir notre voyage au cœur des mots, souvenons-nous que « trahir » vient du latin tradere qui signifie « livrer ». Livrer un secret reviendrait à se « délivrer » de la parole engagée, vis-à-vis d’un conjoint, ou d’un membre de la famille : c’est donc faire acte de désobéissance, parfois de libération nécessaire, comme nous le verrons. Se délivrer, mais de quel devoir ?

Des devoirs sacrifiés...
Devoir de sincérité non respecté
Laissons la parole à Laurent : « Le manque de franchise de ma sœur m’a profondément égratigné le cœur. Sans me consulter, elle a demandé à mes parents de lui faire donation de la maison de campagne familiale, sous prétexte que j’étais célibataire et sans enfant : j’ai eu le sentiment que toutes les émotions authentiques partagées dans la fratrie depuis mon enfance étaient comme rayées d’un seul trait de crayon. La franchise, l’authenticité : ces mots étaient devenus vides de sens. L’avenir basé sur une affection sans ombre m’a paru bouché. Que dire aussi de la complicité de mes parents ? Par leur silence, ils trahissaient également la confiance filiale engagée. J’ai appris cette histoire à la faveur d’une indiscrétion, six ans plus tard. » Ce témoignage révèle combien ce type de trahison détruit les fondations mêmes de l’être, en brouillant les repères : le devoir de sincérité, règle de survie de la cohésion d’une famille, est sacrifié pour des raisons d’appropriation personnelle. En profondeur, il est question d’une revanche, d’une place symbolique à conquérir, sans respect de la limite.

Manquer à tous ses devoirs...
En effet, le traître tourne le dos à toute une série de « commandements », si l’on veut bien considérer que le « contrat social » – cadre qui met en place des limites – permet aux individus de vivre ensemble le mieux possible. Trahir, ce serait donc désobéir, ne pas respecter une loi, des règles. Échapper au « surmoi » du docteur Freud... Souvenons-nous que l’infidélité dans le mariage revient à enfreindre un double commandement : pour la morale civile, être infidèle – pour les femmes – pouvait être puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’en 1945 ; les hommes étaient seulement contraints de payer une amende ! L’infidélité dans le mariage, c’est aussi, religieusement, désobéir à Dieu, se délier au lieu d’être relié... Laissons la parole à Marthe : « Quand mon époux m’a annoncé qu’il avait vécu une double vie pendant six ans avant de me quitter, je me suis effondrée. Plus tard, après avoir travaillé sur moi-même, comme je suis très croyante, j’ai pensé que cette rupture avait touché à quelque chose de sacré que nous avions engagé à l’église l’un et l’autre. J’ai aussi pensé que c’était lui-même qu’il avait trahi. » En effet, ne sommes-nous pas condamnés à nous trahir aussi nous-mêmes ?

                                                                                         
Yvonne Poncet-Bonissol   

 

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