Comprendre la pensée de l’enfant

L’enfant d’âge préscolaire comprend les choses de son point de vue. Il est persuadé que tout le monde pense comme lui et voit le monde comme lui. C’est ce que Piaget1 appelle l’égocentrisme intellectuel. Il ne s’agit pas d’égoïsme, mais bien d’un stade normal du développement au cours duquel l’enfant se fonde uniquement sur son point de vue pour aborder les situations.


L’enfant d’âge préscolaire comprend les choses de son point de vue. Il est persuadé que tout le monde pense comme lui et voit le monde comme lui. C’est ce que Piaget1 appelle l’égocentrisme intellectuel. Il ne s’agit pas d’égoïsme, mais bien d’un stade normal du développement au cours duquel l’enfant se fonde uniquement sur son point de vue pour aborder les situations.

Voici une expérience fort simple utilisée pour étudier cettecaractéristique de l’enfant : ondéposedevantlui, sur une table, une maquette représentant trois montagnes de couleurs et de formes différentes. On lui demande ensuite de choisir, parmi une série d’illustrations, celle qui représente la scène qu’il voit, ce que la plupart des enfants réussissent à faire entre 2 et 4 ans. Puis, on demande à l’enfant de choisir l’illustration qui montre comment une autre personne ou une poupée, assise devant lui de l’autre côté de la table, voit la scène ; les enfants choisissent souvent la même photo, car ils sont incapables de comprendre que les autres voient les choses selon une perspective différente de la leur.

Le jeu de cache-cache illustre également bien cette caractéristique. Souvent, vers 3 ans, l’enfant ne cache que sa tête. Comme il ne peut voir les autres, il présume que les autres ne peuvent pas le voir non plus.

Si on demande à l’enfant pourquoi le soleil brille, on peut s’attendre à une réponse en rapport avec lui, du genre : « Pour que je puisse voir » ou « Pour que j’aie chaud ».

Lorsqu’il parle au téléphone, l’enfant de 3 ans croit que son interlocuteur voit la même chose que lui. Il est dès lors parfois difficile de comprendre ce dont parle l’enfant.

Maman parlait toujours derrière moi quand je parlais au téléphone
Quand j’étais petite et que je parlais à grand-maman au téléphone, maman parlait toujours derrière moi. Si je disais à grand-maman : « Elle dort », maman disait : « Oui, tu as couché ta poupée dans son lit. » Si je disais: « J’ai tout mangé », elle disait : « Oui, tu as tout mangé ton spaghetti. » On dirait qu’elle avait peur que grand-maman me comprenne pas. Grand-maman a pourtant de bonnes oreilles.

L’enfant considère également les autres enfants de la famille par rapport à lui. Ainsi, il peut dire combien de frères et sœurs il a, mais pas combien d’enfants ont ses parents. Il a aussi du mal à concevoir que son père est également le fils de grand-maman, le frère de son oncle et l’oncle de sa cousine. Il a de la difficulté à considérer les gens en dehors du rôle qu’ils jouent pour lui, ce qui complique l’apprentissage des liens familiaux dont il sera question plus loin.

Papa, c’est un papa, pas un oncle
Maude appelle papa « mon oncle ». Ça me fait drôle. C’est son père qui est un oncle. Papa, c’est... un papa.

L’égocentrisme intellectuel disparaît progressivement vers l’âge de 4 ans et l’enfant commence à pouvoir envi- sager les choses comme étant extérieures à lui. Il se sert alors de sa perception visuelle pour comprendre la réalité de façon intuitive.

Il a une pensée intuitive
L’enfant d’âge préscolaire a du mal à établir des liens logiques entre plusieurs éléments. Sa pensée est intuitive : il trouve réponse à ses questions en associant deux éléments sans tenir compte du nécessaire lien causal entre les deux. L’enfant peut dire, par exemple, qu’il suffit d’aller à la banque pour avoir de l’argent. Il ne comprend pas qu’il faut d’abord en avoir déposé.

Son raisonnement s’appuie sur ses perceptions, ce qui explique les associations étonnantes que fait parfois l’enfant d’âge préscolaire. Il peut croire, par exemple, que le lait d’une maman noire est du lait au chocolat ou que les bébés sortent du ventre de leur mère par le nombril. L’enfant a spontanément tendance à trouver des analogies entre des objets ou des phénomènes pourtant étrangers les uns aux autres.

En fait, quand l’enfant ne comprend pas une notion, il se sert de son imagination pour trouver une explication. Et il y a une explication à tout pour l’enfant d’âge préscolaire !

Je vais avoir un autre cousin
Marise, la maman de Maude, ma cousine, va avoir un nouveau bébé. Maman m’a demandé si je savais quand il allait naître. J’ai répondu : « Ben... à sa fête ! » Maman a eu l’air surprise que je sais ça.

Les fêtes d’anniversaire servent à souligner notre naissance : il est donc évident que nous naissons... le jour de notre fête !

Pour comprendre un nouveau concept, l’enfant l’associe aux expériences qu’il a vécues qui s’en rapprochent le plus. Pour comprendre la déficience physique2, par exemple, l’enfant ira puiser dans ses expériences de la maladie. Un enfant de 4 ans peut ainsi croire que la déficience physique est contagieuse puisqu’à cet âge il conçoit que la maladie s’attrape par contagion et que le seul fait d’être à côté d’un enfant malade peut le rendre malade lui aussi. Il relie cette conception à la déficience. Voilà un bel exemple de sa pensée intuitive.

De la même façon, l’enfant peut associer la paralysie des jambes à une fracture et la surdité, à une otite. Il peut ainsi penser qu’un plâtre peut guérir une jambe paralysée et s’imaginer qu’une personne sourde a toujours mal aux oreilles, comme quand il fait une otite.

Si on utilise des comparaisons pour expliquer une déficience à l’enfant, il faut veiller à bien les choisir pour éviter qu’il fasse des liens erronés. Ainsi, un enfant dont les jambes sont paralysées ne peut être comparé à une voiture brisée ; la voiture peut être réparée par le mécanicien ou être envoyée à la casse et remplacée. Aucune de ces deux options ne s’applique à l’enfant handicapé.

Pour faire comprendre une déficience à l’enfant, on peut lui faire expérimenter de façon concrète la situation vécue par la personne ayant cette incapacité. On peut par exemple lui demander de dessiner avec de gros gants pour simuler des difficultés de coordination, mettre un bandeau sur ses yeux pour simuler la cécité, attacher un bras à son tronc pour expérimenter une amputation ou une paralysie.

L’enfant a également du mal à saisir la permanence du handicap, puisqu’il lui suffit généralement de garder le lit pour recouvrer la santé quand il est malade. Il pense ainsi que la personne dont les jambes sont paralysées n’a qu’à se reposer pour pouvoir se remettre à marcher.

Le petit garçon dans sa chaise
Aujourd’hui, au magasin, j’ai vu un petit garçon assis dans une chaise avec des roues. Il marchait pas, il roulait avec sa chaise. On marchait depuis longtemps et j’aurais aimé ça avoir une chaise comme lui moi aussi. Je l’ai dit à maman qui m’a répondu d’un air pas content : « Voyons, Mathilde, ce petit garçon est dans un fauteuil roulant parce qu’il ne peut pas marcher. Il est handicapé. »
C’est un mot que je connaissais pas. J’ai demandé à maman :
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire qu’il a eu un accident ou autre chose et que ses jambes ne fonctionnent plus.
— Comme quand l’auto de papa est brisée ?
— Pas tout à fait. On ne peut pas réparer ses jambes. Il ne pourra jamais marcher.

Je comprends pas. Mathieu, un ami de la garderie qui bouge beaucoup, s’est cassé une jambe, une fois. On lui a mis du plâtre dessus et elle a guéri. Pourquoi on met pas du plâtre sur les jambes du petit garçon ? Si ça a marché pour Mathieu, ça pourrait marcher aussi pour lui.

Comment il fait pour dormir ? Peut-être qu’il dort avec sa chaise, mais ça doit être difficile de la mettre dans son lit. Peut-être qu’il reste dans sa chaise et qu’on lui met un oreiller.

J’avais un peu peur d’attraper sa maladie. Peut-être que mes jambes auraient arrêté de marcher si je l’avais touché, mais j’ai pas osé demander à maman. J’aurais aimé ça avoir une chaise comme lui, mais je pense que j’aurais trouvé ça plate de toujours rester assise. J’ai suivi maman sans rien dire.

Je me demande si on peut se casser la tête. Je pense que oui. Maman répète tout le temps à Valérie de mettre son casque quand elle fait du patin à roues alignées. Ça doit être pour pas qu’elle se casse la tête. Moi aussi, avec ma bicyclette qui a des petites roues, je dois mettre un casque. Mais moi, c’est moins dangereux : je tomberais pas de haut.

Quand on a la tête cassée, on doit pas être capable de penser. Avec une jambe cassée, on peut pas marcher. Avec une tête cassée, on peut pas penser. Ça veut dire que si ma tête était cassée, je pourrais pas continuer à faire mon journal. Il faut que je fasse attention pour pas que ça arrive.

Il centre son attention sur un seul aspect de la situation
L’enfant porte son attention sur un seul aspect de ce qu’il perçoit au détriment de tous les autres. Si on lui présente deux boules de pâte à modeler de la même taille, l’une bleue, l’autre rouge, et qu’on lui demande de faire plusieurs petites boules avec la pâte bleue, l’enfant dira qu’il y a dorénavant plus de pâte à modeler bleue, centrant son attention sur le nombre de boules.

De même, s’il voit un enfant de 4 ans plus grand qu’un autre de 5 ans, il affirmera que le premier est plus vieux. Dans son esprit, «plus grand» veut dire « plus vieux » : il se fonde uniquement sur la taille pour analyser la situation.

Face à un enfant en fauteuil roulant, il se peut qu’il s’attarde uniquement à l’inutilité des jambes et qu’il pose des questions pour le moins étonnantes.

Et pourquoi on lui coupe pas les jambes ?
Si ses jambes sont trop malades pour guérir avec un plâtre, pourquoi on les coupe pas ? Mamie Louise avait un orteil très, très malade qui guérissait pas et le docteur lui a coupé. Et si ce petit garçon peut pas marcher, pourquoi il met des souliers ? Il en a pas besoin. J’ai pas osé demander à maman pasqu’elle avait pas l’air contente de mes questions.

De telles remarques peuvent sembler cruelles à l’adulte, mais l’enfant cherche simplement à trouver une explication à une situation qui ne lui semble pas logique.

Il donne vie à tous les objets
L’enfant d’âge préscolaire considère que tout ce qui bouge est vivant et que les objets ont une âme, des intentions, des sentiments. C’est ce qu’on appelle la pensée animiste. Il peut ainsi déclarer que la table qu’il vient de heurter est méchante. Il peut penser que les arbres souffrent quand on casse des branches, qu’une pierre qui roule du haut d’une pente est vivante et que le vent souffle sur les nuages pour les faire bouger. L’enfant peut ainsi à coup sûr se représenter le vent avec une grosse bouche qui souffle très fort. Il utilise principalement cette pensée animiste pour expliquer des phénomènes naturels (soleil, lune, vent...).

Le vent était pas content
Hier, le vent était pas content. Il soufflait très, très fort sur les nuages. Il les poussait loin. Puis il s’est calmé ; il est pas allé dans sa chambre (il en a pas), mais il a quand même arrêté de pousser les nuages. Et là, les nuages étaient contents ; ils bougeaient doucement.

Francine Ferland

 

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