Ados : manifestations de crise affichée non maladives...

Nombre de ces bouleversements des « enfants terribles » ne présentent rien d’inquiétant ; nous distinguerons les manifestations propres à la crise, des signes vraiment maladifs.

Nombre de ces bouleversements des « enfants terribles » ne présentent rien d’inquiétant ; nous distinguerons les manifestations propres à la crise, des signes vraiment maladifs.

Les changements ne sont que le signe de la croissance, du raz de marée hormonal, et d’une éducation réussie. Si les parents sont parfois désarçonnés, ils tenteront, avec souplesse et sens de l’échange spontané, de maintenir leurs positions pour rassurer sur la fiabilité des repères mis en place durant l’enfance : le jeune être ne fait rien d’autre que de tester la solidité de ce socle. C’est un peu comme s’il mettait des coups de pied sur le sol de la maison parentale, afin de pouvoir construire ses propres murs, plus loin, fort de ces fondations. Au fond, l’adolescence serait un voyage intérieur qui mène à soi, par des chemins plus ou moins escarpés ; il s’agirait de passer à autre chose, d’apprendre à marcher vers la terre de la maturité physique, intellectuelle, psychique et affective : ainsi, décollé psychiquement de ses parents, le jeune construira sa juste place dans la société. Ce serait cela, l’adolescence : un cheminement dans un couloir qui relie la terre de l’enfance à celle de l’âge adulte. Cela ne va donc pas sans crise (changement) ni tremblement de terre intérieur pour celui qui dit adieu au temps de l’enfance.

Pour qui sonne le glas de l’enfant : accepter le temps de crise, au sens de « changement »

En effet, ce passage entre deux états, de l’enfance à l’âge adulte, même si celui de latence se voit aujourd’hui avancé, marque une étape décisive, celle de la fin de l’enfance à laquelle l’intéressé, comme ses parents, doit dire au revoir. Souvenons-nous que le terme « adolescent », du latin adolescere, signifie « grandir ». Rappelons aussi les paroles de Rousseau, dans Émile ou De l’éducation : « Mais l’homme, en général, n’est pas fait pour rester toujours dans l’enfance. Il en sort au temps prescrit par la nature ; et ce moment de crise, bien qu’assez court, a de longues influences. » Gestion de crise à prévoir (le mot « crise » vient du grec et signifie précisément « changement, décision, choix »). Il faut donc accompagner, avec discrétion, cette période délicate durant laquelle un enfant accède progressivement à la puberté. Le recul des rites qui ont marqué les anciennes civilisations et nos propres sociétés traditionnelles ajoute à la difficulté. En effet, hormis des commémorations à valeur historique, rien n’est proposé dans la société laïque pour officialiser, comme cela se fait par des cérémonies ou des actes dans les familles croyantes, ce qui rend concret ce passage à l’âge d’adulte. Dans ce vide, les jeunes bricolent dès lors leurs propres rites symboliques : pratique du tatouage, langage qui leur appartient en propre, réunions entre adolescents, voire relations virtuelles, sous la forme de réseaux et de sites de conversation à thèmes divers. Si ces pratiques ne sont ni excessives ni durables, ni autodestructrices, elles ne sont pas pathologiques. Nous reviendrons sur leurs dérives.

Limiter les prolongations d’une crise qui s’éternise...
Cependant, la crise semble parfois se prolonger indéfiniment, pour des raisons propres à la famille et à la société, à sa santé économique et à ses valeurs. Nous tenterons d’analyser ces faits. Combien, à l’instar de Tanguy dans le savoureux film de Chatiliez, restent accrochés comme des petits poissons à la baleine : éternels grands adolescents sans réelle autonomie, financière, psychique, affective, qui ne coupent pas le cordon, même si certains le souhaiteraient. De jeunes adultes sont d’ailleurs obligés, pour raison économique, enfant sous le bras, de revenir au foyer familial, avec les tensions que cela provoque...

Nous avons tout fait pour qu’il prenne son indépendance : nous l’avons accompagné dans ses études, nous avons financé son logement proche de l’université, accueilli ses amis et ses petites copines, encouragé ses projets personnels, accepté certains moyens de communication offerts par la nouvelle technologie, portables, jeux vidéo, ordinateur et Internet, sites de conversation virtuelle. Pourtant, il n’y a rien à faire, il ne prend pas son envol, joue les prolongations pour réussir ses examens... C’est un adolescent attardé, maintenant âgé de 21 ans.

Le témoignage d’émilie, mère attentive, est édifiant et illustre certes un problème de société : en temps de crise, d’incertitude, de précarité, la tendance va à la régression rassurante, au repli dans le cocon. Pourtant, trop tarder à déployer ses ailes relève parfois d’un sevrage qui n’a pas eu lieu : un parent peu accompli personnellement trouvera son compte, parfois, à retarder le départ du jeune. À la maison, l’usage non limité des outils de la haute technologie et d’Internet peut renforcer cette dépendance régressive, dans ce cas. Françoise Dolto a bien souligné, par le passé, qu’il fallait, le plus vite possible, accompagner les adolescents vers l’autonomie en les incitant à assumer des responsabilités à l’extérieur, par un travail, un job d’étudiant, leur donnant une autonomie financière minimale : celle-ci indique que la séparation psychique se construit. Encore faut-il que les parents y soient prêts psychiquement, et aient pu renoncer à la maîtrise absolue rassurante : ils ne seraient donc que des tuteurs, aidant la jeune plante à devenir elle-même. Ils ne sont plus simplement les guides de vie de l’enfance, mais sont dès lors engagés à se mettre à distance, par une présence discrète et disponible.

Yvonne Poncet-Bonissol

 

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