DIEU EST MORT !


Cette première partie vise à explorer la fameuse phrase de Friedrich Nietzsche qui, très loin de confirmer, comme on l’affirma, le triomphe de l’athéisme, consacre le cœur de la transmutation des valeurs qu’il annonce au fil de tous ses livres. Ce que Nietzsche combat, avec la dernière énergie, ce n’est pas la spiritualité ou la métaphysique en général, mais la confiscation du religieux et de l’ontologique par le Christianisme, dont les valeurs fondent cette civilisation occidentale dont il proclame la fin.

Situons le problème de la « mort de Dieu » dans son contexte.
Toute la praxis de Nietzsche repose sur deux piliers : la force (comme opposée à la pitié) et la joie (comme opposée au désespoir).

Mais ces deux concepts sont ardus et pointus, car la force nietzschéenne ne se confond surtout pas avec la violence ou la cruauté, ni la joie avec le plaisir ou le bonheur.

La force est là plus proche de la fécondité et la joie, de la plénitude.
Les deux se rejoignent dans la réalisation de la « volonté de puissance » qui n’est que l’actualisation de la très aristotélicienne entéléchie et la préfiguration du principe cosmique d’accomplissement.
Parallèlement, les deux fondements de la métaphy- sique nietzschéenne, plus hénologique qu’ontologique, sont l’irrationalisme (le désir, non la raison, est la source de cette volonté de puissance qui anime tout ce qui existe : le Réel ne vise nullement à construire un projet, mais bien à déployer tous les possibles) et le processualisme (ce que Nietzsche appelle son « intuition généalogique » : tout ce qui advient et devient, provient).

Ces deux fondements, quoique singulièrement revisités, Nietzsche les doit à Schopenhauer.
Cet irrationalisme proclame que la rationalité n’est qu’un masque, un déguisement, un maquillage du Réel : une idéalisation !

Le logos cosmique n’est pas rationnel ; il est créant, improvisant, désirant, expérimentant, cherchant... Il est un logos artiste. Et l’art est une discipline, une ascèse... Un état d’âme et d’esprit... Une cohérence.

Et c’est cette cohérence, précisément, qui donne l’illusion d’une rationalité à l’œuvre.
Et Clément Rosset d’ajouter :
« La philosophie de la volonté inaugure l’ère du soupçon (...) »
Et le soupçon n’est que ceci : la claire conscience que la raison masque et déguise le désir...

Les deux illusions : la rationalité du monde et la séparation d’avec le monde.
Du point de vue de l’éthique, Nietzsche affirme que la moralité, c’est la conformité à la coutume, à la tradition, aux us, au regard de l’autre1, aux qu’en-dira-t-on. L’éthique, c’est une intention de créer les conditions – toujours précaires – de la paix et de la tranquillité avec l’autre. L’homme libre est amoral, par individualisme, et il est éthique, par sain égoïsme.

Nietzsche, dans un antikantisme jubilatoire, écrivait à ce propos :
« L’homme libre est immoral puisque, en toutes choses, il veut dépendre de lui-même et non de l’usage établi, d’une tradition : dans tous les états primitifs, de l’humanité, “mal” est synonyme de “individuel”, “libre”, “arbitraire”, “inaccoutumé”, “imprévu”, “imprévisible”. »

Voilà pour Nietzsche. En un mot, il annonce, il prophétise un âge nouveau construit sur une mystique sans ce Dieu désormais mort, sur une éthique amorale à l’inverse des valeurs chrétiennes de pitié, d’égalité, de charité, de bonté, etc., sur une aristocratie de l’esprit, sans privilège, mais non sans noblesse, sur un rejet radical et absolu de tout idéalisme, de toute idéalisation, de tout idéal : seul le réel est réel et il est ici et maintenant.

Cette annonce commence par la mort de ce Dieu trop petit, trop vieux, trop mesquin, dont l’immense cadavre en décomposition risque encore d’empuantir l’air humain pendant longtemps.

      Marc Halévy             
                                                                              

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