Expo / Le paysage perdu dans l'homme – Nathalie Hugues

 « After Party »
Huile sur toile
39 x 46 cm, 2014

 

Mon travail part du paysage, le paysage entendu comme ce qui se déploie tout en fixation, autant que tout territoire entend ses limites et les multiples moyens de les traverser.

Quittant l'Europe pour le Mexique je me souviens avoir presque manqué d'air devant l'impuissance de l'homme à façonner la nature dans tant d'immensité. Le paysage s'y fait rare, les lointains sont fermés, l'horizon souvent inaccessible. La nature semble n'avoir jamais cédé devant le paysage, comme un adulte qui ne se serait jamais plié aux lois de son âge et resterait sourd à toute bienséance; la nature, cette petite folle, s'enroule, s'envole, se courbe, se défait, se propage à la vitesse des orages d'été. Elle annule toute tentative d'agrément, indomptable bien que prévisible: l'homme échoue à façonner la terre, si tant est qu'il eut formé un vœu si européen.

En tant que peintre, je ne peux pas parler du paysage sans parler de sa réalité géographique, géologique, car ce sont ces visions là qui construisent en retour mes images. De ce fait, il semble qu'il n'y ait que des paysages mentaux.
Le paysage c'est la preuve toujours renouvelée du lent travail de l'homme, de l'antique travail des champs et des bêtes, de sa ténacité et de son orgueil.

D'une façon purement picturale, le paysage permet l'espace, le déploiement des plans et l'installation des figures. Mais il est aussi le lieu de l'indiscernabilité, de l'expérience matérielle de la peinture : toujours le paysage coule, sombre, s'agite, colle, s'ouvre, dégueule; On y retrouve tous les formalismes picturaux possibles comme fermentés dans un creuset de boue.

Les figures sont là souvent prises dans une activité absurde, comme si la ténacité de leurs frères à transformer la terre n'était pas suffisante sans leur propre ténacité à ériger des maisons de bois, des châteaux sans porte dessinés par des architectes-enfants et des escaliers qui ne mènent nulle part hors d'un envol sans envergure.

L'homme imprime sa verticalité à l'horizon dans une geste tant grotesque que sublime. Malgré la simplicité à première vue de mes images, on se rend vite à l'évidence de la présence d'une sourde menace. La présence de ce qui n'est pas figuré dans l'image, et qui rend le rapport au hors champ terrible.

Ces êtres peints comme des chiffons rigides (comme ils étaient perçus par les Dieux Grecs) deviennent alors des être vulnérables et pleins de courage (comme ils étaient perçus par Prométhée) : tout rapport est un rapport incomplet d'où découle l'inquiétude, seul ce qui ne se voit pas, c'est à dire le hors champ, peut venir compléter ou nier définitivement tout rapport.

Ainsi mon travail est une tentative de rendre sensible tout cela, en créant une image que l'on pourrait rapprocher de ce que Deleuze appelle « l'image-temps ». Une image persistante par sa trouble inutilité dramatique, sa légère distanciation et son abîme d'affects.

 

Texte de Nicola Bergamaschi sur les roches noires

C'est la lumière qui sent la mer, les volumes des roches qui sont tendus vers nous, vers l'abîme en effet... Et puis il y a quelque chose de froid, mais ce n'est pas une froideur symbolique, c'est comme le temps, comme le climat, aujourd'hui il fait un froid de canard, on dirait. Il y a une grande liberté dans le traitement de la matière, mais ça ne donne pas un effet de mollesse, au contraire, ça donne la sensation d'un solide qui se déplace imperceptiblement et qui pourtant, ne cesse de "revenir sur ses pas", de se confondre avec le reste. Cela m'intéresse, parce que le mouvement supposé ou le glissement ne symbolise pas un geste, ne présuppose pas un spectateur qui, dans la reconnaissance du geste (qui existe pour ses yeux), pourrait éventuellement s'accroupir et regarder ces hommes, ces montagnes comme s'ils lui étaient dédiés...

C'est plus subtil que ça, c'est plus fin, les montagnes ne céderont jamais, elles ne vont pas s'accroupir pour la beauté de nos yeux, elles glissent et la peinture est là pour faire ressentir ce glissement, pour faire entendre dans le bruissement de la nature que la montagne et les yeux de celui qui l'observe font tous partie du même glissement, que les effondrements sont la chose la plus normale du monde et pourtant ils demeurent très mystérieux. Ils ne sont tenus que sur un fil, ils ne sont reconnaissables que sur la toile où ils s'abritent, un mouvement de repos, ou peut-être un dernier effort, je ne sais pas. Cette suspension des choses se répand au deuxième plan, il y a un apaisement, qui est une suspension d'autre type en effet.

Oui, l’inquiétude.
Mais c'est une inquiétude plus apaisée. Je me demande toujours, qu'est-ce qu'il se passe là bas? Pourquoi ça m'intéresse tellement, qu'est-ce qui me rend si curieux, qui me donne envie de parcourir l'espace, d'aller vérifier du coté de mon rêve, là où les choses existent sûrement, mais dans un déplacement qui reste à faire. Il y a toujours quelque chose qui reste à faire, c'est de la neige là bas où je rêve? Le ciel, qui est gris surplombe mon rêve, il enveloppe l'air, je sais que c'est un endroit privilégié pour voir les choses, pour savoir. Connaissance intuitive qui sait disparaitre aussitôt, qui a comprit cette sagesse de la disparition, je vois l'effondrement au premier plan, c'est un peu de ça qu'il s'agit, c'est de savoir si ça tombe tout seul ou si ça soutient le reste, si les plissements deviennent liquides comme la térébenthine, si ça coule ou si ça va couler plus tard. Non, ça ne va pas couler. C'est un peu ça, la vue: voir la ruine, voir le glissement. Je pense qu'il y a beaucoup de vent, et que là- bas, même si je ne les vois pas, il y a des arbres et des ours.

 

Galerie Duboys
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75003 Paris
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Saint-Paul
Bus: 20, 29, 65, 67, 69, 75, 76, 96
Mercredi au samedi, de 14h30-19h
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