À la découverte du Qi

 L’idée du Qi est fondamentale dans la pensée médicale chinoise, explique Ted Kap- tchuk 1, mais aucun mot ou périphrase n’est capable de rendre convenablement sa signification. » Le terme d’énergie n’est qu’approximatif, mais c’est celui qui, dans notre vocabulaire, résonne au plus près de cette réalité. C’est donc celui que nous emploierons, puisque c’est lui qui prévaut dans le monde occidental. « Le Qi n’est pas une matière primordiale immuable », poursuit Ted Kaptchuk. C’est une notion plus évanescente, difficile à cerner pour nos organes sensoriels comme pour nos instruments de mesure. Et il ajoute : « La pensée chinoise ne fait pas de différence entre matière et énergie. Mais nous pourrions nous imaginer le Qi comme de la matière sur le point de devenir de l’énergie, ou de l’énergie sur le point de se matérialiser ».
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« L’idée du Qi est fondamentale dans la pensée médicale chinoise, explique Ted Kaptchuk 1, mais aucun mot ou périphrase n’est capable de rendre convenablement sa signification. » Le terme d’énergie n’est qu’approximatif, mais c’est celui qui, dans notre vocabulaire, résonne au plus près de cette réalité. C’est donc celui que nous emploierons, puisque c’est lui qui prévaut dans le monde occidental. « Le Qi n’est pas une matière primordiale immuable », poursuit Ted Kaptchuk. C’est une notion plus évanescente, difficile à cerner pour nos organes sensoriels comme pour nos instruments de mesure. Et il ajoute : « La pensée chinoise ne fait pas de différence entre matière et énergie. Mais nous pourrions nous imaginer le Qi comme de la matière sur le point de devenir de l’énergie, ou de l’énergie sur le point de se matérialiser ».

Nous ne sommes pas loin de ce qu’affirment les données les plus avancées de la physique lorsqu’elle présente la matière comme une « énergie condensée ». Cependant, pour les Chinois, la notion de Qi n’est pas un objet de spéculation, ni un sujet de controverse. Il est, c’est tout. Il existe « par ce qu’il fait ». Ce sont donc les conséquences de la circulation du Qi dans notre corps qui intéressent les Chinois, ainsi que son harmonie et ses déséquilibres. Ce peuple est décidément très pragmatique !

À l’origine, le taoïsme
Cette très ancienne philosophie chinoise postule que le monde est né du vide. Le Tao, c’est le principe originel qui engendre ce vide primordial d’où aurait émergé toute chose. À commencer par le Qi, ce souffle originel créateur de vie qui anime tout l’univers et qui circule dans notre corps.
Le terme Tao désigne aussi « la voie ». C’est l’ensemble des comportements, des attitudes et des pensées justes qui mènent à la vertu. Une notion qui se résume dans le titre d’un de ses principaux textes fondateurs, le Tao te king 2, que l’on pourrait traduire par « la Voie de la vertu ».

La médecine chinoise plante ses racines dans ces notions ancestrales qui tiennent à la fois de la philosophie et de la religion. Dans l’ouvrage le Tao te king, Lao Tseu écrit : « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao. » Une manière d’exprimer le caractère ineffable de ce qui sous-tend la réalité.

Trois sources pour un seul Qi
Le Qi n’a donc rien d’une matière. C’est entendu. C’est un flux, un mouvement, un écoulement, une onde... Comme une rivière qui s’alimente à la source d’où émerge son flux, il a besoin de se renouveler pour pouvoir circuler dans notre organisme jusqu’à notre dernier souffle, nourrir nos organes et nos tissus, préserver notre santé. Ce « vrai Qi » (Zheng Qi), aussi appelé Qi global ou Qi droit, se nourrit à trois sources différentes.

LE QI ORIGINEL (YUAN QI)
C’est celui que nous avons hérité de nos parents au moment de la conception (on l’appelle aussi Qi ancestral). C’est lui qui est à l’origine de notre terrain (nos forces et nos fragilités), de notre constitution physique et de notre caractère. Ce Qi essentiel siège dans les Reins*. Il correspond, dans la vision occidentale de la vie, à l’hérédité. Constitué pour partie de l’énergie venant du père et pour partie de celle venant de la mère, ce Qi assez lourd et lent circule principalement dans les méridiens les plus profonds.

LE QI ACQUIS (ZONG QI)
Il est produit à partir de l’air que nous respirons (Kong Qi) et de la nourriture que nous absorbons (Gu Qi). Les aliments sont transformés en énergie sous le contrôle de la Rate, et l’air sous celui des Poumons. L’énergie ainsi produite recharge nos organismes jour après jour. Sa qualité est très étroitement liée à celle de notre alimentation et de notre respiration. Elle circule dans tous les méridiens et nourrit tous les organes.

LE QI DÉFENSIF (WEI QI)
C’est une énergie plus légère et plus fluide, qui défend notre organisme contre les agressions extérieures. Même si ce système de protection ne correspond pas à la réalité biologique de notre système immunitaire, il est possible d’établir un parallèle entre les deux. Cette énergie circule très rapidement et nourrit tous nos tissus, jusqu’au plus superficiel, la peau.

Ces trois sources énergétiques permettent à notre Qi de se renouveler en permanence de manière à mener à bien toutes ses fonctions. Pour que le paysage soit complet, il faut lui ajouter une quatrième dimension : l’énergie Jing. C’est l’énergie sexuelle. Certains thérapeutes établissent un parallèle entre le Jing et la testostérone, hormone masculine par excellence (même si les femmes en produisent de petites quantités) indispensable à la sexualité et à la fécondité.

C’est grâce au Jing que nous pouvons nous reproduire. C’est elle aussi que nous trans- mettons à nos enfants, comme nos parents nous ont transmis la leur. La boucle est ainsi bouclée. L’énergie circule d’une génération à l’autre, assurant la pérennité de notre espèce.

L’énergie Jing a d’autres fonctions. Elle nourrit le cerveau (qui, pour la médecine chinoise, ne fait pas partie des organes majeurs), les glandes endocrines (qui produisent les hormones) et la moelle osseuse. C’est son affaiblissement naturel, au cours des années, qui nous fait vieillir.

Tous ces flux énergétiques se rejoignent et s’influencent mutuellement. Pour que le Qi reste harmonieux et puissant, il faut que chacun remplisse correctement son rôle. Lorsque l’un est perturbé, les autres en pâtissent. Si l’on rétablit son équilibre, on intervient aussi sur les autres, dans un mouvement global et permanent. Rien n’est cloisonné au niveau énergétique. Tout circule, bouge, communique en permanence...


Les paradoxes du Qi
Le Qi est ainsi bien réel, puisqu’on peut agir sur lui à travers l’alimentation, la respiration, l’acupuncture, les massages, les postures de Qi gong... Mais il est en même temps évanescent et insaisissable puisque l’on ne peut pas l’observer directement. On ne peut le percevoir qu’à travers les blocages qui entravent sa fluidité.

Dans La République 3, le philosophe grec Platon met en scène des hommes enchaî- nés dans une caverne. Ils tournent le dos à l’entrée et ne peuvent voir que leurs ombres projetées sur les parois par la lumière. Cette allégorie illustre l’idée selon laquelle le réel tel que nous la percevons avec nos cinq sens ne serait qu’une illusion, la véritable réalité étant à rechercher sur les sentiers étroits de la connaissance. La manière dont les Chinois envisagent l’énergie évoque cette histoire. À ceci près que cela ne semble entretenir chez eux aucune frustration, ni motiver le désir ardent de regarder en face cette énergie qui se dérobe dans sa nature profonde. Ils l’apprivoisent et l’équilibrent, et cela semble leur suffire. Pragmatiques, vous dis-je !



1 Dans Comprendre la médecine chinoise : la toile sans tisserand, Editions Satas, 2007.
2 Editions Marabout, réédité en 2016.
3 Ce Qi originel siège plus précisément dans une zone située entre les deux reins, le Ming men. Elle est considérée en médecine chinoise comme la « Porte » par laquelle le Tao pénètre en nous pour « planter la graine de la vie » au moment de la conception.

Dr Philippe Maslo / Marie Borrel


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