La naissance de Jésus un siècle avant notre ère : une hypothèse ancienne


Concernant la naissance de Jésus un siècle avant l’ère chrétienne, thèse que nous soutenons et développons, et qui n’est en aucun cas une exclusivité de l’auteur, cette idée ayant déjà été proposée par des écrivains anciens. À leur époque, cette thèse n’était supportée que par la source juive, ce qui ne pouvait constituer une preuve irréfutable. En dehors des sources juives (Talmud), druzes et théosophiques, bien des chercheurs ont entrepris des investigations sur cette énigme et ont apporté des faits nouveaux allant dans le sens d’une naissance de Jésus bien antérieure à celle donnée dans les Évangiles. Notons tout d’abord G. R. S. Mead qui lança la première grande impulsion en publiant, en 1909, son livre Jésus a-t-il vécu cent ans avant l’ère chrétienne ? Malheureusement, l’au- teur s’est uniquement appuyé sur le Talmud pour qui Jésus est un contemporain du roi Alexandre Jannée. Un peu plus tard, en 1926, le Pr Strömholm, de l’Université d’Upsal, soutenait que Jésus avait vécu plusieurs générations avant saint Paul. Bien d’autres savants se sont attachés à soutenir cette thèse, mais sans grand résultat. Parmi toutes ces recherches, on notera aussi celle du R. P. N. G. Drinkwater à qui l’on doit un cahier de l’Église catholique libérale dans lequel se trouvent des preuves significatives qui mériteraient d’être plus amplement développées. En voici un extrait :
« En tant que rapportée par des auteurs chrétiens, la tradition manichéenne suppose également que Jésus a vécu un siècle avant la date reçue. Les Actes d’Archelaüs18, rédigés au plus tard au début du ive siècle, et Ephraïm le Syrien, qui naquit vers 306, trente ans seulement après la mort de Manès, établissent tous deux que Manès vint trois cents ans après Jésus. Comme Manès naquit vers 215 de notre ère, cela implique que Jésus mourut environ vers l’an 85 avant notre ère. Si nous acceptons l’indication de l’Évangile selon laquelle Jésus avait environ trente-trois ans19 à sa mort, cela situerait Sa naissance autour de 118 av. J.-C.20. »

Nous avons peut-être une autre preuve dans les Oracles sibyllins qui, selon Charles, furent entièrement écrits en Égypte, en 130 au plus tard. Ce sont des textes juifs remaniés par une main chrétienne mais de l’Église primitive, et dont l’étude nous permet d’enregistrer un grand nombre de connaissances du plus haut intérêt. L’un de ces oracles évoque un Maître qui ne peut être que Jésus (ou le Maître de justice essénien), et dont l’apparition nous ramène un siècle avant notre ère puisqu’il fait référence à un mur d’enceinte construit jusqu’à Joppé, lequel ne peut être que celui construit par Alexandre Jannée, aux environs de 86 avant notre ère, dans le but de contenir le prince séleucide Antiochus XII :
« Mais lorsque la terre de Perse sera tenue quitte de la guerre, de la peste et des gémissements, alors en ce jour-là existera la race divine et céleste des Juifs bienheureux qui habitent la cité de Dieu placée au centre de la terre, et dont la plus grande enceinte fortifiée s’arrondira jusqu’à Joppé. Ils seront exaltés jusqu’aux nues ténébreuses. L’on n’entendra plus le son de la trompette appeler au combat et ils ne seront plus exterminés par les mains furieuses de l’ennemi, mais elle élèvera d’éternels trophées avec les dépouilles des méchants.

Alors on verra encore un homme exalté venu du ciel qui étendit les mains vers un bois très fécond, le meilleur des Hébreux, qui un jour arrêta le soleil en proférant une belle formule avec des lèvres pures21. »

Bien que le texte nous parle de Josué, ce n’est pas lui le « meilleur des Hébreux », en tout cas pas encore ! Celui « qui fut crucifié, et qui pour cela étendit ses mains vers un bois fécond », c’est le Maître de justice essénien subissant l’ultime sacrifice sur le bois et répandant, par le biais de sa résurrection, la grâce de nous élever vers le Père. Ce bois devenu fécond n’est plus synonyme de mort, mais de vie éternelle. S’adressant au Maître essénien de Qumrân, Isaïe s’y réfère en ces termes : « Il sortira un rameau de la souche de Jéssé, et un rejeton fleurira de ses racines. Et sur lui reposera l’esprit de Yahvé... » Si l’on accepte la véracité de certaines traditions hétérodoxes et gnostiques, Jésus aurait été dans sa vie précédente Josué, fils de Nûn, d’où le rappel de certains événements (l’arrêt du soleil par exemple) en vue de nous permettre d’identifier les deux personnages. De plus, du point de vue de leur nom, les deux ne font qu’un puisque Josué est le nom hébreu de Jésus.

Les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur la période allant de la résurrection du vrai Jésus à celle de la naissance du faux peuvent avoir quelques aperçus dans Jésus, sa véritable histoire22, ainsi que dans le fascicule du R. P. N. G. Drinkwater23 qui établit en quelques exemples la preuve qu’aucun apôtre n’existait au ier siècle de notre ère et qu’Irénée fut l’un des premiers Pères fondateurs de l’Église à mettre au point l’histoire du pseudo-Jésus. Dans ce sens, les Actes des Apôtres vont permettre à l’Église de Rome de confirmer et finaliser son histoire et de mettre au point sa nouvelle théologie.

En voici un exemple typique : pour Paul, toutes les fonctions – d’ordre spirituel autant que matériel – nécessaires à la vie de l’Église devaient être remplies par des hommes que Dieu (le dieu en chacun) avait qualifiés par un don de l’Esprit, en un mot des êtres spirituels en étroite communion avec leur âme. Dans cette conception, il ne pouvait y avoir de ministère stable, car chaque initié était un instrument de la volonté de cette âme. C’est le ministère charismatique qui caractérise donc les groupes pauliniens.

De leur côté, les Pères imposent une conception différente et opposée. Le pouvoir de l’âme (ou de l’Esprit) est fonction d’un rite, le baptême et l’imposition des mains. Qu’il soit saint ou non, l’apôtre est l’instrument non de l’âme, mais de l’Église. Cette manière de voir sera bien ancrée au début du iie siècle puisque Barnabas (5, 9) souligne que Jésus avait choisi comme apôtres les pires pécheurs qui soient, et que leur autorité ne dérivait pas de leurs qualités mais uniquement de la mission divine qui leur a été confiée. Il est clair que les rédacteurs des Actes sont contre Paul car, tandis que pour ce dernier on est apôtre parce qu’on a reçu l’Esprit, ce qui ne peut se réaliser avant d’avoir atteint sagesse et perfection, pour les rédacteurs des Actes, on reçoit l’Esprit parce que l’on est apôtre. Cette idée qui prévaut encore dans l’Église est la cause profonde des problèmes du Vatican dont la préoccupation est moins de chercher la pureté intérieure et la sainteté que de faire fonctionner cette vaste entreprise.

Dans les Actes des Apôtres, l’Église traite de l’activité des « Douze » et met Pierre en position de favori. Alors que si on lit Paul, c’est Jacques qui semble être le vrai chef de l’Église primitive. Selon le R. P. Drinkwater :
« On note, à l’appui de cette thèse, le contraste entre la position de Pierre dans les premiers chapitres, et sa position dans les derniers. Au temps de Paul, c’est le Jacques que Paul a connu, c’est-à-dire Jacques le Juste, et non Pierre, qui est le chef de l’Église, fait que les commentateurs n’ont jamais expliqué de façon satisfaisante. Ainsi, Paul place Jacques avant Pierre, dans Gal. II, 9, de même les hésitations de Pierre à Antioche, à propos des Gentils convertis, sont attribuées à des messages envoyés par Jacques. Tandis qu’au Concile de Jérusalem tenu à propos des mêmes problèmes, c’est Jacques et non Pierre qui emporte la décision finale24. Lorsque, dans les années suivantes, Paul visite Jérusalem pour la dernière fois, il est clair, encore, que c’est Jacques qui est à la tête de l’Église25. Dans : Act. I et II, d’autre part, c’est Pierre (dans ce cas, le Pierre originel et non celui connu de St Paul), qui est à la tête des affaires26. Jacques le Juste, comme la thèse présente nous le faisait escompter, n’est même pas nommé, si ce n’est qu’il est nécessaire, pour la thèse orthodoxe, qu’il soit inclus dans la vague référence ambiguë aux “frères”, dans : Act. I, 14, un point à l’égard duquel il y a des objections, ainsi que nous l’avons vu27. »

Le R. P. Drinkwater a posé ainsi de nombreux points d’interrogation en ayant à l’esprit la naissance de Jésus à l’époque de Jannée. Le dernier exemple que nous lui empruntons va dans ce sens et nous donne de claires réponses :
« Luc n’affirme pas non plus être écrit par un témoin oculaire, et son préambule rédigé avec soin28 implique que l’auteur s’est servi de sources écrites. Dans Luc IX, 10, Jésus et ses disciples se retirent dans une “cité” appelée Bethsaïda, selon le texte reçu, mais il y a de nombreuses variantes, et on ne peut douter que le texte exact soit : “Village de Bethsaïda”. On ne se retirerait pas dans une ville, pour y être dans l’intimité, comme ce pourrait être dans un village à la campagne, non plus que, deux versets plus loin, Jésus n’aurait pas envoyé les “multitudes” dans le village et le pays voisin, en disant : “car nous sommes dans un endroit désert”, s’ils avaient été auprès d’une ville29.
Quoique Luc se serve de Marc, ce passage, dans Luc, n’est pas de ceux qui dérivent de Marc. Il s’ensuit que Marc et Luc rapportent tous deux, d’une façon indépendante, que Jésus visita Bethsaïda quand c’était encore un village, c’est-à-dire avant v après J.-C.

Un autre texte reçu, Luc IV, 44, établit que Jésus prêcha dans les synagogues de “Galilée”, mais le contexte montre que c’est “Judée”, et non “Galilée”, qu’il faudrait lire ici.

À partir du verset 3, Jésus venait d’aller à Capharnaüm, une ville de Galilée. Ainsi en lisant “Judée”, sept versets plus loin, cela implique que la Galilée faisait partie de la Judée. Cela n’était pas vrai au temps de Pilate, puisque le pays avait été partagé en unités administratives : Judée, Pérée, Samarie, Galilée, Tétrarchie de Philippe.

Sous Jannée, par contre, l’ancien royaume de Judée de David avait été restauré. Sous son règne, tous ces districts faisaient partie de la Judée, nom qui est invariablement employé par Josèphe pour se référer au Royaume juif étendu, en cette ancienne période, sous le roi Jannée. Il demeura intact jusqu’à quelques années après la mort de Salomé Alexandra30. »

Tous ces enseignements regroupés vont dans le sens de la conception juive d’un Jésus bien antérieur à celui des Évangiles. Avoir découvert l’énigme historique essentielle de la vie de Jésus n’est pas en soi exceptionnel, mais dérive tout simplement de la révélation d’une nouvelle source, ajoutée aux deux précédentes, celle des manuscrits de la mer Morte, sans laquelle je n’aurais pas trouvé les éléments suffisants pour mener cette enquête à son terme.

Évidemment, les savants archéologues catholiques qui ont été les premiers sur le site, le R. P. de Vaux en premier lieu, ont très large- ment minimisé l’importance des écrits en ce qui concerne de pos- sibles révélations concernant l’origine de l’Église. Mais il n’en reste pas moins vrai que l’Église fut très inquiète de cette découverte qui risquait de mettre à mal bien des dogmes, et cette inquiétude s’est largement manifestée par l’attitude du R. P. de Vaux envers le professeur André Dupont-Sommer, pourtant mondialement connu comme un pionnier de l’étude des manuscrits de la mer Morte. Cela s’explique par le fait, maintenant avéré, que Dupont-Sommer allait dans le sens, aujourd’hui admis par la plupart des chercheurs, d’une origine essénienne du christianisme31, et par le fait encore plus grave que le professeur osait faire des rapprochements entre le Maître de justice essé- nien et Jésus-Christ. Tout cela n’est pas de l’histoire ancienne et l’Église reste vigilante envers tous ceux qui annoncent des révéla- tions acquises grâce aux manuscrits de Qumrân.

Notre thèse s’oppose donc évidemment à la chronologie des Évangiles, mais cela n’est plus aussi important que jadis, en tout cas depuis 1965, où la constitution Dei verbum a fini par reconnaître qu’il fallait distinguer entre la « vérité » de l’enseignement de l’Église relatif au salut et « l’historicité des événements » rapportés dans les Écritures. Comme le souligne Jacques Giri, « en fait, il n’y a plus guère aujourd’hui que les Églises fondamentalistes américaines pour croire que tous les textes bibliques doivent être pris au pied de la lettre ».

À l’égal de Lionel Rocheman, moi aussi j’aimerais citer André-Marie Gérard, à qui l’on doit le Dictionnaire de la Bible dûment revêtu de l’Imprimatur et du nihil obstat. À propos du mot « Évangile », il écrit :
« (Ce ne sont) “nullement (...) des biographies du Christ absolument complètes, rigoureusement exactes dans les moindres détails événementiels ou chronologiques, et rapportant les propos du Maître avec une précision sténographique”.
(Les évangélistes s’attachent) “à rendre fidèlement le message divin, bien plus qu’à contrôler avec rigueur les circonstances et les dates sans importance pour la signification du message32”. »

Si le lecteur a bien lu ce qui vient d’être écrit, il comprendra du même coup qu’il est vain de se chamailler sur des détails d’ordre historique ou sémantique, lesquels, jusqu’à ce jour, n’ont fait qu’attiser les haines et susciter les affrontements entre les chercheurs, les savants et l’Église.

Avoir créé un pseudo-Jésus au ier siècle de notre ère aura nécessité de la part des Pères fondateurs non seulement une intention délibérée de taire la vérité de son existence historique un siècle avant notre ère, mais aussi et surtout celle d’imposer la présence d’un pseudo au ier siècle en interpolant les Écritures saintes si nécessaire, d’où la complexité des Évangiles sur le plan historique. Ce qui fait dire à Henri Guillemin :
« Au total, nos informations scripturaires sur la Résurrection, les réflexes des uns et des autres, les apparitions, l’Ascension, etc., aboutissent, pour l’enquêteur diligent, à ce qu’il faut bien appeler un sac d’embrouilles, vulgairement un “pétrin”, une complète pagaille33. »

Cette interpolation des écritures a commencé à l’époque d’Irénée de Lyon34 pour atteindre son apogée avec Eusèbe de Césarée, un érudit qui disposa pour cela de la vaste bibliothèque de l’école de Pamphyle. Vers 313, Eusèbe est élu évêque de Césarée et finit par gagner l’estime de l’empereur Constantin. Celui-ci a connu le christianisme par son père et sa mère Hélène en est très éprise, mais Constantin reste avant tout un militaire et un politicien opportuniste et ambitieux qui restera païen et ne sera baptisé qu’à sa mort. Sa préoccupation majeure était de protéger Rome attaquée de tous côtés. L’empereur Claude avant lui avait cherché à mettre sur pied une religion de salut unique pour tout l’empire, religion qui bien entendu serait subordonnée au maître de cet empire. Constantin décida de concrétiser ce désir, sachant qu’une religion d’État lui permettrait de stabiliser et de canaliser son peuple. Ne pouvant choisir le culte de Mithra importé à Rome par les légionnaires de Pompée, culte dont il était un fidèle mais qui était une religion dénuée d’ambition expansionniste, Constantin se tourna vers le groupe des chrétiens qui se montraient zélés et prosélytes. Pour atteindre ses objectifs, Constantin trouva en Eusèbe la personne idéale et ce dernier en devint le panégyriste officiel avec un accès libre à son imposante bibliothèque privée. Reste que l’un et l’autre devaient savoir qu’il n’existait pas de Jésus au ier siècle, alors que l’Église en formation s’efforçait d’un imposer un et que par conséquent ils devaient l’un et l’autre s’associer dans ce qui allait devenir la plus grande falsification de l’histoire chrétienne. Disposant d’une documentation exceptionnelle, Eusèbe va ainsi finaliser une nouvelle histoire de l’Église sous le titre Histoire ecclésiastique, une reconstitution imposante de l’histoire chrétienne, revue et recom- posée par lui afin de faire correspondre les nouveaux dogmes de l’Église à la volonté de l’empereur. Avec ce matériel, Eusèbe est désormais à même de finaliser l’histoire du pseudo-Jésus. Il est l’historien de cette primitive Église que peu de gens connaissent, le copiste et le diffuseur des Évangiles canoniques. Sous sa direction, une nouvelle Bible, désormais officielle, fait son apparition. Elle sera expédiée par séries de cinquante exemplaires aux divers évêchés de l’Empire romain35, non sans avoir au préalable fait disparaître les anciennes copies non conformes. Cette falsification fut rendue possible du fait que l’empereur païen Dioclétien avait déjà commencé le travail en faisant détruire tous les livres chrétiens.

Selon Daniel-Rops, le Canon catholique ne sera pas fixé avant Constantin ; pour beaucoup d’historiens, ce sera plus tard encore.

« Au ive siècle, écrit-il, cette liste est définitivement sûre. Des catalogues en ont été découverts datant de 359 (en Afrique), de 363 (en Phrygie), de 367 (en Égypte, publié par saint Athanase), en 382 (concile romain du pape Damase). Quand, en 397, à Carthage, le concile que domine la grande figure de saint Augustin en publie un à son tour, le plus notoire, il ne fait que sanctionner une tradition ancienne36. »

Les chrétiens des trois premiers siècles n’éprouvaient aucun intérêt pour Jérusalem, considérée comme ne possédant plus aucun lieu saint où l’on pût adorer Dieu. Selon les premières constatations d’Eusèbe de Césarée, Jérusalem était vide de toute signification théologique. C’était une ville déchue depuis la mort du Christ dont les Juifs s’étaient rendus responsables. Mais il existait de grandes fraternités de nazaréens, d’ébionites et de gnostiques en tous genres, qui eux exaltaient la Terre sainte où avait vécu le Seigneur Jésus-Christ, et l’on vit peu à peu se développer une vraie ferveur populaire. Les pèlerins cherchèrent désespérément des traces de la vie de Jésus dans tout le Moyen-Orient.

Lorsque l’empereur comprend l’intérêt de faire de cette religion en plein essor une religion d’État, il commence par faire de la Jérusalem oubliée le centre spirituel de son royaume, un pendant de Constantinople, sa capitale politique. Pour cela, il commence à modeler la ville pour qu’elle devienne celle du Christ. Avec l’aide d’Eusèbe de Césarée, devenu son bras droit, la Terre sainte va voir réapparaître des églises qui seront érigées au rythme des grands conciles. Selon l’exégète Klaus Bieberstein de l’Université de Fribourg, dans Le Monde de la Bible d’octobre 1999, c’est de cette façon que « les chrétiens pourront ainsi littéralement parcourir leur credo ; “Jésus est né et s’est fait homme” : une basilique est construite à Bethléem. “Il a souffert et a ressuscité” : on construit la double église du Martyrium et de l’Anastasie, le futur Saint-Sépulcre, en souvenir des souffrances et de la résurrection. “Il est monté aux cieux” : une basilique est érigée sur le mont des Oliviers en souvenir de l’ascension », etc.

Sous la plume d’Eusèbe, les douze apôtres prennent vie et deviennent les médiateurs de l’Esprit saint, les élus incontournables dont la parole a le pouvoir de rendre le Christ présent dans l’hostie, et d’ôter les péchés. Il affirme la supériorité de l’Église de Rome sur toutes les autres, met en place une lignée apostolique aboutissant à Pierre qui pourtant n’a jamais mis les pieds à Rome, et modifie les écrits afin de donner l’impression que Jésus est contemporain du ier siècle, et ainsi de suite.

« On a écrit, ces derniers temps, beaucoup de savants ouvrages pour réfuter cette ridicule prétention37. Entre autres, nous retiendrons The Christ of Paul de M. G. Rober, qui la démolit d’une manière tout à fait habile. L’auteur prouve, 1°, qu’aucune Église n’avait été fondée à Rome avant le règne d’Antonia le Pieux ; 2°, que comme Eusèbe et Irénée concordent tous les deux à dire que Linus fut le second évêque de Rome, aux mains duquel “les bienheureux apôtres” Pierre et Paul confièrent l’Église après l’avoir construite, ce n’a pu avoir lieu qu’entre 64 et 68 ; 3°, que cet intervalle tombe pendant le règne de Néron, car Eusèbe affirme que Linus resta en fonction pendant douze ans (Ecclesiastical History, livre III, c. 13), ayant commencé son épiscopat en 69, une année après la mort de Néron, et qu’il mourut lui-même en 81. À la suite de cela, l’auteur affirme, sur des preuves irréfutables, que Pierre n’a pas pu être à Rome en 64, puisqu’à cette époque il était à Babylone, d’où il écrit sa première Épître, dont la date a été fixée, par le Dr Lardner et d’autres critiques, précisément à cette année-là. Mais, à notre avis, son meilleur argument consiste dans la preuve qu’il n’était pas dans le caractère du pusillanime Pierre de risquer un voisinage si proche de Néron qui, à ce moment-là, “donnait en pâture aux bêtes féroces de l’Amphithéâtre la chair et les os des chrétiens38”. »

Une telle interpolation des écrits n’est pas le fait d’un seul homme, mais de toute une génération d’évêques et de responsables de l’Église, dont l’apothéose est atteinte à l’époque d’Eusèbe qui est reconnu comme un expert en falsification. Ce qui ne signifie pas qu’après lui les écrits ne furent pas souvent arrangés, mais que l’essentiel de l’histoire de Jésus était définitivement établi, hormis des adaptations nouvelles au gré des conciles.

Pour en revenir à Constantin, nous avons l’exemple de Socrate Scholasticus, historien sérieux du ve siècle, qui accuse Eusèbe de pervertir délibérément les dates historiques afin de plaire à l’empereur.
Une autre preuve nous vient des fragments de la Cosmogonie de Bérose, qu’Eusèbe a réécrite en la truffant d’interpolations. Cela fit réagir Georges Syncellus, le vice-patriarche de Constantinople, qui injuria Eusèbe pour son audacieuse falsification de la chronologie égyptienne. Il est bien établi désormais qu’Eusèbe n’épargna pas les tables synchroniques égyptiennes de Manéthon, à tel point que Bunsen39 l’accuse d’avoir mutilé l’Histoire de la façon la moins scrupuleuse.

Quant à l’empereur Constantin, lui aussi est loin d’être un saint contrairement à ce que le laisse entendre l’Église40. Difficile de croire qu’il eut une vision du Christ, lui qui continua d’infliger la crucifixion aux esclaves coupables de délation envers leur maître, qui fit assassiner sa femme Fausta en la noyant dans de l’eau bouillante, qui a fait massacrer son jeune neveu et deux de ses beaux-frères, qui a tué son propre fils Crespus et noyé un vieux moine ! Malgré tous ses crimes, et bien d’autres, Eusèbe, qui voit en Hélène, la mère de Constantin, une alliée puissante et riche pour le développement de son Église, dira de son fils Constantin : c’était « le plus respectueux de tous les Souverains, le seul de tous ceux qui ont régné depuis le début des temps à qui Dieu universel et Tout-Puissant ait octroyé le pouvoir de purifier la vie humaine » ! On croit rêver !

En l’an 325, Constantin réunit le premier grand concile de l’Église universelle à Nicée, concile important puisqu’il ouvrait vraiment la période qui consistait à bâillonner tous ceux qui s’opposaient aux dogmes nouvellement conçus de la grande Église naissante, dogmes opposés à tout ce qu’enseignaient la Gnose et le nazaréisme encore très présents. De ce concile, la religion sortira mutilée, interpolée, dénaturée et complètement transformée. Ce concile, qui se disait œcuménique, élimina de sa réunion près de neuf cents prélats ! Sur plus de douze cents évêques qui se présentèrent, trois cent dix-huit seulement prirent part à cette corruption de la doctrine de Jésus. Le prêtre Arius va être le premier à en payer les frais, lui qui osa avoir des doutes (tout à fait justifiés !) quant à l’interprétation que faisait l’Église-mère de la Trinité et de la nature du rapport entre le Christ et Dieu. Par conséquent, au comble de l’intolérance et de la liberté de penser, les évêques Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée, avec Arius, furent destitués pour leur attitude d’arianistes. Ce concile, qui mit le mot « fin » sur la pure doctrine de Jésus, était une pure mascarade, car même Sabinus, l’évêque d’Héraclée, reconnaissait que « à l’exception de l’Empereur Constantin et d’Eusèbe Pamphilus, tous ces évêques n’étaient que des créatures simples et illettrées, qui n’y comprenaient rien du tout ». C’était aussi l’opinion de Pappus et de quelques autres.

À partir de Constantin, l’Église impose sa conception du christia- nisme moderne et définira ses grands dogmes entre 325 et 787, les établissant sur un bloc doctrinal inamovible et intouchable. Pour af- firmer l’origine divine des dogmes inventés par les évêques, on pré- tend qu’ils viennent en ligne droite de Jésus. Afin de régler le sort de Nestorius, le concile d’Éphèse, en 431, s’exprime ainsi : « Notre Seigneur Jésus-Christ a décidé, par cette très Sainte et présente assemblée, que Nestorius est étranger à la dignité d’évêque. » On peut dire que les décisions prises par les sept premiers conciles œcuméniques vont désormais faire autorité pour l’Église de Rome et la plupart des Églises orientales. Pendant cette période vont être établies définitivement les bases doctrinales d’une nouvelle religion qui n’est plus accueillante et égalitaire, mais intolérante et exclusive pour tout ce qui n’entre pas dans le cadre strict de sa doctrine. Cet état d’esprit persistera jusqu’au pape Jean-Paul II, comme le montre son Catéchisme de l’Église catholique.

Du point de vue doctrinal, sachant le peu de différence existant entre les esséno-nazaréens christianisés et la nouvelle Église de Rome, les chrétiens incapables de supporter l’idée même que d’autres religions que la leur puissent exister, ou que certaines aient une doctrine similaire à la leur, crurent bien faire en pénétrant dans les temples païens pour en détruire les statues de dieux et déesses comme le firent plus tard les musulmans en Inde.

Lorsque l’empereur Constantin érigea en 313, par l’édit de Milan, la nouvelle foi en religion d’État, les persécutés se muèrent en persécuteurs41. C’est pour de tels « crimes contre la paix publique » que les chrétiens furent livrés aux supplices des arènes publiques. Par la suite, les chrétiens se montreront tout aussi féroces en plus d’être injustes (cf. l’Inquisition et les différentes croisades). Ils s’efforceront de détruire systématiquement tout ce qui pouvait porter ombrage à leur foi et en premier lieu l’école de théosophie éclectique des néoplatoniciens fondée par Ammonius Saccas à Alexandrie, alors un lieu de rencontre fraternelle des religions grecques et orientales. Cette école compta dans ses rangs des êtres aussi purs qu’érudits. Citons Plotin, Porphyre, Jamblique, Longin, Origène, Clément d’Alexandrie, Celse et tant d’autres flambeaux de la sagesse antique. Le christianisme romain n’aurait pas survécu longtemps si l’école néoplatonicienne n’avait pas été âprement agressée par les premiers Pères fondateurs de l’Église romaine. Construire une vie de Jésus sur le papier est une chose, en donner des preuves concrètes en est une autre ! N’oublions pas que Jérusalem avait été entièrement détruite en l’an 70, que le Temple avait été incendié et la ville entièrement rasée, à l’exception des tours du palais d’Hérode et d’une partie du mur occidental. D’après Josèphe, exception faite de ces restes, « il ne parut plus aucune marque qu’il y eût eu des habitants » (La Guerre des Juifs, liv. VII, chap. I, part. I). Tout était nivelé et même les arbres avaient été entièrement abattus. C’est sur cette terre nouvelle qu’Hadrien fit construire une nouvelle cité rebaptisée Ælia Capitolina. Les Juifs n’avaient pas le droit de pénétrer dans la ville et s’il existait un groupe de judéo-chrétiens, il devait être bien discret et se tenir dans les environs de Jérusalem, et non dans la nouvelle capitale. Parmi ces groupes commencèrent à poindre des différences de conception et deux groupes vont se distinguer : les nazaréens chrétiens d’un côté, et les juifs orthodoxes de l’autre, chacun ayant son idée sur l’histoire de Jésus et du Christ. Puis ceux de tendance chrétienne vont être progressivement rejetés des synagogues. En effet, en dehors de leur idée à propos de Jésus, les nazaréens christianisés n’éprouvaient aucun intérêt pour le Temple, car pour eux le véritable temple était, selon la formule d’Origène, l’« âme du fidèle ».

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18 Actes d’Archelaüs (controverse avec Manès), à la librairie anté-nicéenne C. W. Mitchel ; St Ephraïm ; réfutation de Manès, 1912, vol. II, p. XCVIII, XCIX 209.
19 Nombre évidemment symbolique comme l’explique la Doctrine Secrète, vol. I, p. 49. : « Tridasha ou Trente, trois fois dix en nombre rond ; ou, pour mieux préciser, 33 – nombre sacré – se rapporte aux divinités védiques. Ce sont les Adityas, les 8 Vasus, les 11 Rudras et les 2 Ashwins, fils jumeaux du Soleil et du Ciel. C’est le nombre racine du Panthéon hindou, qui compte 33 crores, c’est-à-dire 330 millions de dieux et déesses. »
20 N. G. Drinkwater, La Date du ministère du Christ et les Manuscrits de la mer Morte, p. 2.
21  Oracles sibyllins V, 247-259.
22 Dans cet ouvrage (aux pages 300-310), je pense avoir donné assez de preuves démontrant que Pierre, non seulement n’est pas celui qu’on pense, mais qu’il ne mit jamais les pieds à Rome ! Et je citerai aussi le père Congard : « On ne peut guère, du point de vue historique et critique, parler d’un “épiscopat” de Pierre à Rome, ni de la “consécration” par lui d’un successeur car l’épiscopat monarchique n’existait pas encore » (Encyclopedia universalis, article « Papauté »).
23 La Date du ministère du Christ et les Manuscrits de la mer Morte.
24 Act. XV, 19.
25 Act. XXI, 18.
26 Act. I, 15 – II, 14, etc. Cf. Mat. XVI, 18.
27 La Date du ministère du Christ et les Manuscrits de la mer Morte, p. 13.
28 Luc I, 1, 4. Ceci apparaît clairement dans la traduction Moffat.
29 B. H. Streeter, Les Quatre Évangiles, The Four Gospels, a study of origins treating of the manuscript tradition, sources, authorship, and dates, St Martin’s Press, 1961, p. 568-570.
30 La Date du ministère du Christ et les Manuscrits de la mer Morte, p. 20-21.
31 C’était et c’est encore l’opinion officielle de l’Église qui, à l’égal de Daniel-Rops, n’admet pas que le christianisme ait des origines de nature initiatique donc ésotérique : « Le christianisme n’est en rien une religion d’initiés ni une secte. Il n’a jamais ressemblé aux communautés d’Esséniens ni aux Pythagoriciens, ni à ces groupements de mystes qui, à Éleusis, vénéraient Déméter, ou, un peu partout dans l’Empire, adoraient Isis, Sérapis ou Adonis » (Jésus en son temps, p. 434).
32 L. Rocheman, Jésus, énigmes & polémiques, p. 25.
33 H. Guillemin, Malheureuse Église, Éd. du Seuil, 1992.
34 Il est celui qui le premier parlera abondamment des quatre Évangiles dont il fut
le concepteur.
35 « Le Vaticanus semble être un des exemplaires que l’empereur Constantin reçut vers 340 de saint Athanase. Le Sinaïticus serait un des cinquante manuscrits qu’Eusèbe, évêque de Césarée, rapporte avoir faits pour l’empereur Constantin et sur son ordre, sans doute vers 331 ; ces cinquante copies furent offertes par l’empereur aux principales églises » (Jésus en son temps, p. 30).
36 Ibid., p. 28.
37 À savoir que saint Pierre aurait subi le martyre à Rome !
38 Isis Dévoilée, vol. III, p. 143.
39 C. K. J. Bunsen, Egypt’s place in universal history, an historical investigation..., Longman, 1859, I, p. 200.
40 « La réalité des faits est moins simple, et il ne faut pas prendre au pied de la lettre les historiens chrétiens Eusèbe, Socrate, Sozomène, Théodoret, Orose, même saint Jérôme, qui le représentent sous les traits d’un chevalier du Christ pourfendant les idoles, jetant bas les temples, établissant sur la terre le Royaume de Dieu » (Daniel-Rops, Histoire de l’Église du Christ, vol. II, Les apôtres et les martyrs, p. 355).
41 « Quelque cinquante ans après Constantin, il sera infiniment douloureux de voir un christianisme tout-puissant se faire, à son tour, intolérant et persécuteur, traquer les païens, assimiler l’hérésie et le schisme au crime et les faire châtier par l’État » (Daniel- Rops, II, L’Église des apôtres et des martyrs, p. 367).

     Michel  Coquet              
                                                                              

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