L'intrigue du livre de la Genèse

Le livre de la Genèse, premier livre du pentateuque qui, en hébreu, est la Torah Mosheh, ne cesse d'intriguer depuis des millénaires. Déjà, à l'époque talmudique, il est relaté qu'un courant mystique très ancien, existait : le Maassé bereshit, les « actes du commencement » Ce courant était parallèle, voire concurrent, à un autre, celui du Maassé merkabah qui voulait décrypter les secrets du « char » divin tel qu'Ézéchiel le décrit au début de sa prophétie.

Ce livre merveilleux et mystérieux de la Genèse, attribué, comme il se doit, à Moïse lui-même, a, en fait, été rédigé peu après le retour d'exil de Babylone. Les dix tribus du vieux royaume d'Israël avaient déjà disparu. Les deux tribus du royaume de Juda (d'où dérive notre mot juif qui vient de Yéhoudi, habitant de Yéhoudah) furent déportées massivement « sur les rives de Babylone », de 597 à 538 avant l'ère vulgaire. Libérés de cet exil lors de la conquête de Babylone par les Perses de Cyrus, les Juifs retournèrent sur leur Terre, reconstruisirent le Temple de Jérusalem et mirent par écrit ces récits que la tradition orale véhiculait encore, mais que la déportation avait mis en péril.

Le livre de la Genèse raconte la cosmogonie hébraïque, pendant de celle, grecque, d'Hésiode. Elle puise à des sources lointaines, probablement sumériennes, dont on retrouve aussi des traces dans les cosmogonies assyrienne et babylonienne. Lorsque la Torah nous dit qu'Abraham, le premier patriarche, naquit et vécut à Our qu'il quitta, et lorsque l'on sait que Our fut la capitale des Sumériens, remplacés, ensuite, par les Akkadiens, il ne faut guère d'imagination pour comprendre que l'Abraham biblique n'est autre qu'un Abram-l'Akkadien en exil, portant avec lui la cosmogonie de An-le-solaire, Enlil-l'aérien et Enki-le-terrien qui devaient être ses Élohîm à lui.

Mais la cosmogonie relatée dans le premier chapitre du livre de la Genèse est tout sauf un copier-coller. Elle puise aux sources sumériennes – comme d'ailleurs toutes les civilisations mésopotamiennes et même égyptienne –, mais elle structure ces éléments à sa façon en y ajoutant beaucoup de son cru : les sept jours ; les quatre « éléments » préexistants : la ténèbre, l'abîme, le souffle des Élohîm et l'eau (cf. Genèse. 1-2) la Lumière que crée la parole divine alors que, partout ailleurs, la Lumière précède les dieux ; le repos sabbatique ; l'apparition des astres le quatrième jour. Tout cela fait de la Genèse biblique une cosmogonie fort originale quoi qu'en pensent ceux qui, par mode ou par inimitié, passent leur temps à tenter de retirer au peuple juif la paternité de ses propres écrits sacrés ; ceux qui se demandent : « comment un peuple si petit et si misérable a-t-il pu avoir le génie – et l'audace de le revendiquer – d'écrire le livre le plus traduit et le plus vendu au monde ? Bref...

Le livre de la Genèse est un livre difficile. Difficile parce qu'il a été rédigé en hébreu ancien, qui est une langue sémitique difficilement traduisible dans les structures linguistiques indo-européennes. Un seul exemple suffira pour le comprendre : le temps – et donc la conjugaison – indo-européen est divisé en trois: passé, présent, futur. Les langues sémitiques ne connaissent pas cette tripartition, mais utilisent une conjugaison binaire distinguant ce qui est accompli de ce qui est inaccompli. Ainsi, les deux premiers verbes conjugués de la Genèse (« Il créa » de Genèse, 1-1 et « le terre devint tohu et bohu » de Genèse, 1-2) sont au mode accompli : c'est fait, terminé, clos. En revanche, tous les autres verbes du récit sont au mode inaccompli que l'on doit rendre, en Français, par un futur. Ainsi, il faut traduire Genèse, 1-3 par « Et il dira : "dieux, il adviendra une lumière" et il adviendra une lumière ».
Autre particularité linguistique de l'hébreu ancien : il ne connait ni le verbe « être » ni le verbe « avoir ». Ainsi, toutes les traductions qui expriment HYH par « être » sont tout simplement fausses, puisque ce verbe signifie «devenir, advenir »... et cela change beaucoup de choses.
Afin de rendre le propos concret, je souhaite donner, ci- après, une traduction extrêmement littérale des premiers versets du premier chapitre de la Genèse. On mesurera ainsi la distance – pour ne pas dire le gouffre – qui sépare la réalité hébraïque des traductions faussaires.
« En un commencement, Il créa des dieux avec le ciel et avec la terre.
« Et la terre devint vide et consternante, une ténèbre [est] au- dessus des faces de l'abîme et un souffle des dieux [est] palpitations au-dessus des faces de l'eau.
« Et Il dira : "dieux, il adviendra une lumière" et il adviendra une lumière.
« Et Il verra des dieux avec la lumière, comme [c'est] beau, et Il séparera des dieux entre la lumière et entre la ténèbre.
« Et Il nommera des dieux pour la lumière du jour et pour la ténèbre. Il avait nommé "nuit", et il adviendra un soir et il adviendra un matin, jour un.
« Et Il dira : "dieux, il adviendra un espace au milieu de l'eau et il adviendra une séparation entre eau pour eau."
« Et Il fera des dieux avec l'espace et Il séparera entre l'eau qui [est] du dessous pour l'espace et entre l'eau qui [est] du dessus pour l'espace et il adviendra ainsi.
« Et Il nommera des dieux pour l'espace du ciel et il adviendra un soir et il adviendra un matin, jour deuxième... »
On comprend qu'un tel texte original puisse donner des urticaires aux monothéismes tardifs – chrétiens et musulmans, surtout – alors que le récit est proprement polythéiste (Élohîm est le pluriel de ELH qui signifie indifféremment divinité, dieu ou déesse). Un polythéisme apparent qui dissimule le « Il » impersonnel qui est à l'œuvre dans cette cosmogonie. La Kabbale, qui est la tradition mystique et ésotérique du judaïsme, reconnaîtra dans ce «Il» le En Sof, le Sans-fin, l'Illimité, qu'Anaximandre le présocratique milésien reprendra sous le nom d’Apeiron avec le même sens en grec.
Derrière le polythéisme littéral du texte se cache un monisme de fait qui alimente, dès leur source, le panthéisme ou le panenthéisme du kabbalisme et du spinozisme.

Le travail de Jean-Pierre Soula se place à un carrefour. Lieu symbolique et magique par excellence, le carrefour est lieu de rencontre improbable, placé sous la protection ou le patronage de Ganesh en Inde et d’Hermès en Grèce.

Hermès, dieu d'origine égyptienne (Hermès vient de l'égyptien Har-Moses qui signifie engendré de lumière), messager des dieux, protecteur des voleurs et des savants, tous hommes de rencontres et de carrefours, fastes ou néfastes.

Jean-Pierre Soula, dis-je, se place au carrefour de deux mystérieux chemins : celui du livre de la Genèse et celui d'un drôle de bonhomme, Fabre d'Olivet.

Antoine Fabre d'Olivet (1767-1825) était un protestant cévenol. D'abord révolutionnaire ardent, puis journaliste, il se passionna pour la théosophie et la philologie avant de créer un culte nouveau qu'il appellera la théodoxie (du grec théos et doxè qui donnent « vision de Dieu »).

Sa passion philologique le poussa vers l'étude de l'hébreu qu'il aborda en autodidacte. Il crut avoir découvert sous l'hébreu « apparent » un « vrai » hébreu qu'il réinvente totalement. De là, naquit son œuvre maîtresse : La langue hébraïque restituée. Le titre complet est: La langue hébraïque restituée et le véritable sens des mots hébreux rétabli et prouvé par leur analyse radicale. Rien que cela !

Il y donne sa traduction des premiers chapitres de la Genèse dont je ne résiste pas au plaisir d'extraire les premiers versets. Que l'on juge :
«Premièrement-en-principe, il-créa, Élohîm, l'ipséité-des- cieux et-l'ipséité-de-la-terre.
« Et-la-terre existait puissance-contingente-d'être dans-une- puissance-d'être : et-l'obscurité-était sur-la-face de-l'abîme ; et- le-souffle de-Lui-Dieux était-générativement-mouvant sur-la- face des-eaux.
« Et-il-dit, Lui-l'Être-des-êtres : sera-faite lumière ; et-(sera)- fut-faite lumière... »
Il mourut, foudroyé par l'apoplexie...

Sa tombe, au cimetière du Père-Lachaise, porte une colonne brisée, typique du Rite Écossais Rectifié.
Derrière mon ironie bien amicale pour son hébreu réinventé, se cache, en fait, une réelle admiration pour Fabre d'Olivet car cet homme du siècle des Lumières, franc-maçon sincère (ordre dans lequel s'enracinent, d'ailleurs, à la fois, sa quête spirituelle et sa rencontre avec l'hébreu si souvent utilisé dans les mots de passe et mots sacrés de la franc-maçonnerie). Cet homme a initié une véritable vogue hébraïsante et une redécouverte du texte biblique réel que les clercs chrétiens ont si longuement et traîtreusement falsifié. La Bible resurgit donc – Fabre d'Olivet est protestant, ne l'oublions pas – mais dans sa langue originale. Et les assoiffés de spiritualité – si nombreux en cette période postrévolutionnaire où la franc-maçonnerie renaît, napoléonienne, de ses cendres révolutionnaires – entamèrent un retour aux sources qui relança les études bibliques et la philologie hébraïque.
Jean-Pierre Soula relit ici la Genèse sous la loupe hébraïsante de Fabre d'Olivet. Et il se régale. Les racines bilitères inventées par Fabre d'Olivet –l'hébreu «réel» est construit sur quelques centaines de racines trilitères– lui donnent d'incroyables prétextes à cheminements spirituels et linéaments ésotériques.

Sans peut-être trop le savoir ou le vouloir, Jean-Pierre Soula utilise des moyens de décryptage du texte que ne renieraient pas certains étudiants en Kabbale.

Jean-Pierre  Soula                
                                                                              

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 Livre de la Genèse décrypté